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En Tunisie, la gestion des aires protégées est exclusivement du ressort de la Direction Générale des Forêts (DGF). Dans notre pays, ces aires protégées sont de deux types : les réserves naturelles et les parcs nationaux. La principale différence entre les deux étant la désignation d’un responsable qui gère exclusivement un parc national, alors que la formule classique pour une réserve naturelle est « clôturer et interdire ». D’ailleurs, peu de réserves sont aménagées au sens forestier du terme et leur évolution est supposée se faire en dehors de toute intervention humaine. Quatre aires protégées ont cependant le statut de « réserve de la biosphère », concept développé par l’UNESCO pour concilier conservation et activités humaines. Il s’agit des parcs nationaux de l’Ichkeul, Châambi, Zembra et Zembretta et Bou Hedma.

Selon les textes en vigueur, ces aires sont protégées à des fins de conservation de la biodiversité, de recherche et d’éducation. Soit, mais est-ce que les aires protégées tunisiennes assument ces fonctions, et quelles sont les priorités en matière de conservation qu’on peut leur assigner ? Nous allons tenter de répondre à ces questions en prenant pour exemple la gestion de la réserve de biosphère de Bou Hedma.

Pour ceux qui ne le connaissent pas, le parc national de Bou Hedma se situe à cheval entre les gouvernorats de Sidi Bouzid et de Gafsa, situation qui va avoir des conséquences sur sa gestion. Il est constitué de trois zones de protection intégrale, nommées zones 1, 2 et 3. La dernière est située dans la localité dénommée Haddej, relevant du gouvernorat de Gafsa. Entre ces trois zones de protection, des corridors de passage des animaux ont été créés à la fin des années 2000, pour permettre aux animaux, particulièrement les grands mammifères, de circuler librement entre les trois zones. Sauf qu’en 2011, les habitants de la région que les corridors empêchaient de passer à la montagne historiquement utilisée comme terrain de parcours, ont détruit les clôtures de la zone 2 et les corridors la reliant à la première et à la troisième zones. Ainsi furent créées deux zones complètement disjointes, à savoir les zones 1 et 3 sans lien physique entre elles. Par la suite, l’administration forestière du gouvernorat de Gafsa a nommé un responsable de la troisième zone, empêchant ainsi le conservateur du parc de gérer l’ensemble de l’aire protégée.

Il est important de souligner que le parc est dévolu à la conservation du gommier (Acacia tortilis), un arbre emblématique de cette région et qui lui a donné son nom (Bled TALH).

Pied de gommier dans la première zone du parc

Echecs à répétition et leçons à tirer

Au fait, le parc de Bou Hedma a été en Tunisie le premier à avoir vu l’introduction (ou réintroduction ?) de grandes espèces de Mammifères et d’Oiseaux. Les espèces sont l’Autruche, la gazelle dama et les antilopes addax et oryx, en plus de populations natives de mouflon à manchettes (population renforcée par des introductions aussi !) et de gazelle dorcas. On y a aussi introduit la Pintade de Numidie, espèce qui n’a pas longtemps tenu dans le parc et qui a disparu peu de temps après son introduction.

Les causes de la disparition de la Pintade de Numidie nous sont entièrement inconnues. Tout ce qu’on sait, c’est que l’espèce n’a pas pu survivre dans le parc, probablement sous l’effet de la prédation. Une question remonte : l’espèce a-t-elle réellement existé en Tunisie ?[1] L’Autruche introduite –au départ– au parc est l’Autruche à cou bleu qui a pourtant réussi à se reproduire et même des essais d’élevage chez des particuliers ont été tentés. On constate d’abord la disparition de l’espèce du parc, et les tentatives d’élevage chez les particuliers ont échoué eux aussi. La disparition de l’espèce est probablement liée aux pressions de prédation, mais aussi à d’autres facteurs non pris en compte par les conservateurs (maladies, structure génétique des individus introduits, consanguinité…). Il n’y a pratiquement pas eu d’évaluation de l’expérience de l’élevage des Autruches chez les particuliers. La reproduction en captivité des Autruches a au moins été étudiée chez certaines populations[2], pourtant les conservateurs ne semblent pas au fait des résultats obtenus et des manières dont les populations devraient être gérées !

Gazelle dorcas, adulte accompagné d’un jeune

L’espèce actuellement introduite au parc est qualifiée d’Autruche à cou rouge. On ne comprend pas pourquoi l’Autruche à cou bleu a été remplacée par la seconde, considérée comme mieux adaptée à nos conditions. Pourtant, la reproduction et le maintien de cette espèce au parc ne sont pas garantis, vu que le suivi scientifique de cette récente introduction n’est pas assuré… Indépendamment des noms donnés aux populations d’Autruche présentes en Tunisie[3], les populations introduites méritent d’être suivies dans leurs lieux d’introduction. Un manuel de suivi de ces populations devrait être développé, au vu des observations et des données recueillies concernant le succès ou l’échec de leur reproduction.

Concernant la gazelle dama, les détails concernant sa disparition peuvent être consultées dans un article précédent[4].

D’autres opérations d’introduction (ou réintroduction) ont échoué dans d’autres sites. Nous ne sommes pas au courant des détails, raison pour laquelle nous ne pouvons pas les citer[5]. Il serait utile de tirer les leçons nécessaires de ces échecs, pour que d’autres ne suivent pas et que des opérations similaires n’aboutissent pas à des résultats regrettables.

Gestion des herbivores et des prédateurs

Il est une tendance globale –si elle existe- dans les parcs nationaux, est le dénombrement mensuel des grands herbivores, à savoir les gazelles, les antilopes et les Autruches. Ces dénombrements, quoiqu’utiles, sont incomplets et n’ont pas été généralisés à l’ensemble des aires protégées. Les effectifs des sangliers, par exemple, ne sont pas déterminés, tout comme ceux des carnivores ou des populations en liberté du mouflon à manchettes.

Les espèces vivent dans des espaces clos, ayant évidemment une capacité de charge limitée. Et par conséquent, des transferts de population sont parfois nécessaires pour ne pas atteindre ces capacités limites. Mais, si ces opérations ont lieu, elles posent le problème du « choix » des individus à transférer (sexe, âge, structure de la population), « hardes » entières pour les grands mammifères notamment, sans parler de la structure génétique des individus transférés.

Antilope Addax, présente actuellement dans la troisième zone

Toujours concernant les grands herbivores, comment agir lorsque le milieu présente une limite en termes de couverture végétale, pour ne pas éviter un affaiblissement des individus, l’accroissement des maladies et l’augmentation de la mortalité ? Dans certaines aires protégées, on assure un apport alimentaire (fourrage…), touchant ainsi la limite entre la domestication et la conservation. Autrement, conserve-t-on des populations pour les domestiquer, ou pour garder en elles leurs instincts naturels ?

Une alternative à cette pratique consiste à renforcer la productivité primaire en assurant l’irrigation de la végétation ou en plantant des espèces pastorales, comme cela a été par exemple le cas dans le parc de Bou Hedma. Ce genre d’option devrait être continuellement envisagé pour ne pas assister à l’effondrement des écosystèmes surtout lorsque les périodes de sécheresse se prolongent.

Concernant les carnivores, leurs effectifs semblent s’accroître avec l’accroissement des effectifs de leurs proies. Cela demeure évident, mais il arrive un stade où la pression des prédateurs limite les effectifs d’une espèce ou empêche son évolution (tel que l’impact du loup sur l’Autruche à Bou Hedma). Le recours à des empoisonnements ou au piégeage, comme cela semble avoir été pratiqué dans certaines aires protégées, n’est pas la solution, car ne se basant sur aucune donnée quantitative. D’autant plus qu’il rend obligatoire l’intervention humaine dans la gestion des espèces protégées. Il est alors nécessaire que les effectifs des prédateurs soient comptabilisés régulièrement dans les aires protégées, par des méthodes appropriées et fiables, quitte à assurer la formation du personnel chargé de ces dénombrements.

Ceci est aussi valable pour les populations de grands vertébrés vivant dans les aires protégées et qui ne sont pas encore dénombrées : mouflon à manchettes, sanglier, hyène rayée, sans parler des espèces de plus petite taille (renards, mangouste, genette…).

Soins donnés aux espèces protégées

Les soins apportés aux espèces animales protégées constituent une garantie pour leur bien-être. Des animaux blessés ou victimes d’accidents à l’intérieur des aires protégées ne sont parfois pas soignées, ou les soins qui leurs sont prodigués ne suffisent pas pour leur rétablissement, aboutissant souvent à une fin prématurée.

Plusieurs cas de mortalité sont relatés (cas des Oiseaux il y a quelques années, sans parler des Mammifères de toute taille). Si l’administration ne peut pas équiper les parcs nationaux de centres de soins aux animaux, elle peut former certains de ses agents à des formes de soins peu compliqués et ne nécessitant pas des interventions lourdes. Une simple salle avec des équipements minimaux peut servir à cette fin.

Dans ce contexte, il y a lieu de s’équiper de couveuses appropriées pour la couvaison des nichées d’Oiseaux dont les nids ont été désertés ou les parents tués par des prédateurs (cas de l’Autruche dont certains œufs sont déposés hors des nids ou aussi d’autres espèces d’Oiseaux, telles que l’Outarde houbara, la Perdrix…).

Mouflon à manchettes (mère accompagnée de son petit, dans un enclos à la première zone)

Que protéger en priorité ?

Question lancinante pour laquelle les réponses ne sont pas évidentes. Les espèces protégées en priorité présentent globalement les caractéristiques suivantes :

  • Une aire de répartition globale réduite. Il s’agit au fait des espèces endémiques. Chaque fois que l’aire globale de distribution d’une espèce est réduite, sa conservation est de plus en plus importante. C’est le cas, pour la Tunisie, de la gazelle de Cuvier (endémique maghrébine), de la gazelle des dunes (de l’Algérie à la Libye, avec des populations fragmentées au Sahel), du pic de Levaillant (endémique nord-africaine), de la rainette de Carthage (endémique algéro-tunisienne)…
  • Des effectifs réduits et des populations disjointes. Les effectifs réduits constituent un des risques d’extinction des espèces, et les populations présentant cette caractéristique sont le plus souvent disjointes. Dans ce cas, la gestion des ces populations comme une seule (métapopulations) constitue une garantie pour sa survie et l’assurance qu’elles constituent une seule unité de reproduction. C’est le cas par exemple des populations de mouflon à manchettes, de la tortue mauresque (ou terrestre), de la loutre d’Eurasie…
  • Une diversité morphologique et/ou génétique reconnue. Parmi les grands Vertébrés, seul le mouflon à manchettes présente cette caractéristique. On reconnaît en Tunisie trois sous-espèces qu’il faut veiller à ne pas mélanger, ce qui est loin d’être le cas, par les translocations répétées des populations.

Ceci reste valable également pour les plantes.

Tortue mauresque, première zone du parc

En appliquant ces critères aux espèces auxquelles on accorde la priorité en matière de conservation, force est de constater que nous sommes appelés à revoir nos priorités en matière de conservation et qu’il y a lieu de :

  • dresser une liste précise des espèces prioritaires en matière de conservation ;
  • cartographier les étendues occupées par les espèces concernées et leur dynamique au fil du temps. Comme ce dernier point est sensible et pourrait constituer une menace sur les espèces en question, ce genre de carte ne devrait pas être rendu public pour préserver les populations concernées.

Une fois ces mesures prises, la gestion des espèces prioritaires deviendra plus aisée et leur suivi dans le temps et l’espace en sera facilité. Les mesures supplémentaires en matière de conservation pourraient alors être menées (conservation ex-situ par exemple), sur des bases objectives et non aléatoires.

Réintroductions souhaitées

Si des réintroductions sont envisagées, pourquoi ne pas penser à des espèces au statut de conservation préoccupant à l’échelle globale ou à l’échelle nationale. Le cas de l’Outarde houbara mérite l’attention, car l’espèce se maintient encore dans quelques espaces naturels (mais jusqu’à quand ?), et son introduction dans des aires protégées est fortement recommandée.

C’est aussi le cas de la Pie du Maghreb (endémique maghrébine), connue historiquement pour avoir vécu dans la région de Bou Hedma, et représentée par une seule population en Tunisie centrale. Si l’espèce est considérée par l’UICN comme à préoccupation mineure[6], ses populations méritent d’être renforcées, du moins pour ce qui est de la Tunisie. C’est aussi le cas de nombreuses autres espèces appartenant à d’autres groupes.

Des mesures appropriées devraient être prises pour renforcer les populations reproductrices en Tunisie et dont le statut de conservation global ou à l’échelon national est préoccupant. La liste risque d’être longue pour que ces espèces soient énumérées ici. Une mesure urgente consiste à interdire la chasse ou l’exploitation des espèces qui ont tendance à se raréfier au niveau global (la Tourterelle des bois par exemple).

Gestion des déchets

Evoquer la gestion des déchets dans les aires protégées semble un non-sens. Pourtant, force est de constater que des déchets plastiques jonchent le sol un peu partout dans les aires protégées, du moins celles que nous avons eu l’occasion de visiter. Malgré la présence de poubelles, de nombreux visiteurs n’hésitent pas à jeter leurs déchets sur leur passage ou dans les espaces qu’ils occupent pendant leurs visites (sachets, canettes, emballages, bouteilles d’eau…). Ces déchets sont par la suite jetés dans l’enceinte du parc pour être incinérés par la suite (cas de Bou Hedma). Est-ce la meilleure solution pour les gérer, ou y a-t-il de meilleures solutions ?

Ce qui est certain, c’est que des sachets en plastique sont rencontrés un peu partout dans le parc. Ils sont soit le fait des visiteurs, ou proviennent de déchets déposés hors le parc, mais que le vent dissémine dans son enceinte. Procéder au ramassage régulier des sachets est une action qui devrait faire partie de la routine dans les aires protégées, pour ne pas enlaidir ces espaces, mais aussi pour éviter qu’ils ne soient ingérés par les herbivores, ce qui risque parfois de leur être fatal.

D’autres types de déchets (matériaux de construction…) sont déposés dans le parc, issus de travaux qui y ont été menés. La place de ceux-là n’est pas l’intérieur du parc, et leur transfert devrait être envisagé.

Dépôts de déchets dans le parc

Certains déchets organiques ont eu d’autres conséquences. C’est le cas de fragments ou raquettes de cactus qui ont tendance à se disséminer à Bou Hedma, surtout dans sa partie sud. Deux espèces de cactus, originellement plantées dans une vieille collection de cactus dans le parc, ont tendance à se disséminer. Leur arrachage est impératif, surtout qu’elles peuvent facilement être valorisées par la population locale (alimentation pour le bétail ou construction de haies autour des champs). Dans tous les cas, la présence du cactus dans le parc ne devrait pas s’étendre en dehors de l’espace réservé à la collection.

Cactus s’étendant au sud du parc

Les dépôts d’ordures dans le lit de l’oued Bou Hedma, au sud du parc, devraient cesser. Ces dépôts ont pour origine la nouvelle municipalité de la localité voisine du parc. Ils finiront par être déposés dans la sebkha au sud du parc (Nouail) et enlaidir tout le paysage, en plus du fait que le vent dissémine les déchets les plus légers, comme souligné plus haut. Chercher une solution à ce problème avant qu’il ne s’étende et ne s’aggrave est assez urgent.

 

NOTES

[1] Selon De Balsac H. et Mayaud N., 1962, Les Oiseaux du Nord-ouest de l’Afrique, Paul Lechevalier, Paris, 487 p., cette espèce tropicale habitait l’Afrique du Nord, mais désormais confinée au Maroc. Il n’y a pas, à notre connaissance, de preuve de sa présence en Tunisie.

[2] Voir par exemple, Kennou Sebei S., Bergaoui R., Ben Hamouda M. & Cooper R. G., 2009. Wild ostrich (Struthio camelus australis) reproduction in Orbata, a nature reserve in Tunisia. Trop. Anim. Health Prod., 41: 1427-1438

[3] Pour lever tout équivoque, la sous-espèce vivant en Afrique du Nord est la sous-espèce nominale (Struthio camelus camelus).

[4] http://nawaat.org/portail/2020/04/20/gazelles-dama-en-tunisie-les-racines-dune-disparition/?fbclid=IwAR3vAix_hJoI61MMbS2a5LiR36YyHDRpl_AI-gJ2oT3J6ffgjuCmX68Nws0

[5] A titre d’exemple, l’introduction du serval à El Feidja.

[6] BirdLife International. 2017. Pica mauritanica (amended version of 2016 assessment). The IUCN Red List of Threatened Species 2017: e.T103727118A112291895. https://dx.doi.org/10.2305/IUCN.UK.2017-1.RLTS.T103727118A112291895.en. Downloaded on 05 June 2021.