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La création des parcs nationaux en particulier, et des aires protégées en général, est un réel acquis. L’objectif fondamental étant de conserver la biodiversité, et d’assurer des missions relevant de la recherche et de l’éducation du public. De nombreux travaux se sont focalisés sur les différentes aires protégées tunisiennes, mais certaines ont suscité plus d’intérêts que d’autres. En somme, le mode de fonctionnement des aires protégées tunisiennes est appelé à évoluer. C’est ce qui ressort de l’expérience cumulée dans le cadre de leur gestion et des dysfonctionnements constatés.

Ce qui est certain, c’est que le mode de fonctionnement adopté depuis la création des aires protégées est dépassé depuis des années. Un nouveau mode de gestion de ces espaces particuliers est appelé à voir le jour. Ceci est particulièrement vrai concernant la gestion des espèces animales présentes dans nos aires protégées. D’importants efforts de maintien ont été consentis, mais l’avenir de ces espèces est plus qu’incertain si rien n’est fait pour faire évoluer le suivi dans le temps et l’espace.

Données recueillies

Des données sont régulièrement recueillies sur les effectifs de certaines espèces, dans quelques parcs nationaux. Ces données concernent essentiellement les espèces qui y ont été introduites, notamment les grands mammifères (addax et oryx) et l’autruche. Les espèces locales concernées par ces dénombrements sont surtout la gazelle dorcas et probablement la gazelle des dunes.

Antilope Oryx

A remarquer que les données collectées par les conservateurs ne couvrent pas la totalité des aires protégées ni l’ensemble des grands vertébrés qu’elles abritent. C’est le cas du mouflon à manchettes, présent ou introduit dans plusieurs espaces, mais dont les effectifs des populations ne sont pas encore connus. D’autres espèces méritent d’être dénombrées, notamment le sanglier dont les populations ont tendance à envahir tous les espaces protégés. C’est également le cas des prédateurs de taille moyenne, notamment le loup doré, ainsi que l’ensemble des petits prédateurs (chat sylvestre, genette, mangouste, zorille…).

Gestion des données recueillies

Les données recueillies sont transmises à l’administration centrale. Elles devraient, en principe, être analysées et suivies afin de voir l’évolution des effectifs des espèces dénombrées au fil du temps. Elles donnent également une idée globale sur la structure des populations suivies (effectifs par sexe, naissances, mortalité).

Comme les aires protégées ont des superficies limitées, leur capacité de charge (nombre maximal d’animaux qu’elles peuvent contenir) est par conséquent aussi limitée. Dans le cas où les effectifs atteignent leur limite, une régulation des effectifs se produit naturellement (intensification de la compétition intraspécifique, mortalité de type densité dépendante, apparition de maladies, réduction des naissances…). D’autres possibilités sont offertes, notamment la migration et l’occupation de nouveaux territoires. Or, dans le cas présent, les animaux susceptibles de quitter une aire protégée risquent facilement d’être chassés !

Gazelle dorcas

D’autres alternatives sont offertes, au cas où les effectifs d’une espèce risqueraient d’atteindre les limites de la charge du milieu dans lequel elle vit. Des prélèvements pourraient être effectués, afin de maintenir les animaux au-dessus de la capacité limite du milieu, par des translocations (déplacement d’une partie de la population vers une autre aire protégée ou dans le milieu naturel).

Un autre paramètre devrait être pris en considération en termes de régulation des effectifs, à savoir celui du rôle des prédateurs. La dynamique proie-prédateur concernant les grands mammifères n’a jamais été étudiée en Tunisie. Naturellement, les effectifs des prédateurs, en l’occurrence le loup doré africain, suivent ceux des proies dont ils se nourrissent (grands et petits mammifères, mais aussi d’autres types de proies et même des fruits). Ainsi, schématiquement, les populations de loups prélèvent une portion des animaux protégés, mais une fois les effectifs des proies diminués, survient une grande mortalité des prédateurs.

Dans un cas ou dans l’autre, les données recueillies se devraient d’être analysées à temps, pour que des décisions soient prises, en vue d’une gestion efficiente du patrimoine vivant conservé.

Cartographie, endémisme et suivi sur le terrain

Bien que la présence des animaux n’est pas uniquement liée à l’espace occupé (ou encore « domaine vital »), elle est en partie assurée par les ressources alimentaires disponibles. Une corrélation évidente existe entre la pluviométrie et la couverture végétale. En particulier dans les régions arides, les données météorologiques sont fondamentales pour suivre et prévoir l’évolution du tapis végétal, indispensable à l’alimentation des herbivores. D’autant plus que le tapis végétal constitue également un habitat pour tous les animaux vivant dans ces régions.

Antilopes Addax

Des stations météorologiques existent dans plusieurs aires protégées, installées en particulier par des institutions de recherche. Cependant, leurs données ne semblent pas encore utilisées à des fins de gestion de ces espaces. Au cours d’une récente visite au parc de Bou Hedma et sa troisième zone de protection intégrale (Haddej), il nous a été possible de noter l’absence de toute végétation herbacée annuelle dans cette dernière partie du parc. La végétation ligneuse basse est très sèche, et l’on se demande comment les animaux vont pouvoir s’alimenter dans ces conditions, surtout qu’aucune plantation pastorale n’a été envisagée ni mise en place. Pourtant l’espace ne manque pas ! Il faut préciser dans ce cas qu’il n’y a pas de point d’eau dans cette zone, et qu’il n’a pas été envisagé d’en créer une. La situation n’étant pas récente, l’on se demande pourquoi ce genre de mesure n’a pas été pris auparavant, surtout qu’on a créé un point d’eau dans la seconde zone du parc, mais qui ne semble jamais avoir été utilisée. A préciser aussi que la seconde zone n’est plus fonctionnelle depuis quelques années, après la destruction de sa clôture (ainsi que des corridors la reliant à la première et à la troisième zone).

Bref, envisager la plantation d’espèces pastorales dans certaines aires protégées est une nécessité, surtout que la productivité primaire est insuffisante pour l’alimentation des herbivores en raison du manque de pluie et la prolongation des périodes de sécheresse. Cette pratique a été adoptée au début de la création de ces espaces, mais semble avoir été abandonnée par la suite…

L’on ne comprend pas encore pourquoi les aires protégées manquent de systèmes d’information géographique qui auraient plusieurs avantages dans leur gestion. Cet outil d’aide à la décision permettrait de suivre l’évolution de l’espace protégé au fil du temps et permettrait de voir au moins la dynamique spatio-temporelle des espèces objet de protection, tant animales que végétales.

Mouflons à manchettes, dans un enclos

Au moins certaines informations devraient y figurer, à savoir la distribution spatiale des espèces endémiques (celles spécifiques à la Tunisie ou au moins à l’Afrique du Nord). Ces espèces, encore peu ou pas considérées dans les efforts de conservation devraient, au contraire, être le centre d’intérêt de tout le système des aires protégées.

Que faire si ?

C’est souvent le cas où des questions pareilles se posent tant aux conservateurs qu’aux observateurs avertis. Des déséquilibres sont perceptibles pour des yeux avertis, et peuvent être également visibles sur des cartes. Il s’agirait notamment d’une faiblesse de la couverture végétale, d’une mortalité importante observée chez certaines espèces, tant animales que végétales, ou aussi un accroissement important des effectifs…

Les étendues couvertes par des espèces particulières pourraient être interprétées comme un signe de succès de leur maintien, ou encore du risque de leur disparition potentielle, si des interventions ciblées et appropriées ne sont pas mises en place.

Bref, la dynamique du vivant se doit d’être suivie de près et analysée avec le plus de détails possible. Ce genre d’analyse ne pourrait être efficient que s’il est corroboré par des observations minutieuses sur le terrain.

Conclusion

Les aires protégées sont créées en vue de préserver le patrimoine vivant des régions concernées. Leur gestion se devrait d’être dynamique, afin de suivre leur évolution dans le temps et évaluer progressivement leur capacité à assurer à long terme les communautés vivantes qu’elles abritent.

Compte tenu de la complexité de leur fonctionnement, des données régulières devraient être recueillies et concrétisées par des systèmes d’information géographique continuellement mis à jour.

Ces tâches ne pouvant être menées uniquement par l’administration responsable, il serait utile de :

  • Assurer une formation continue des conservateurs, afin de les familiariser avec les techniques d’inventaire et de suivi des espèces protégées ;
  • Publier les données recueillies, afin qu’elles soient accessibles à tous ceux qui s’intéressent à la conservation des espèces et leur distribution géographique dans le pays ;
  • Intégrer dans les «Conseils scientifiques», structures n’ayant pratiquement jamais fonctionné, toutes les compétences pouvant faciliter une meilleure gestion des espaces protégés ;
  • S’ouvrir sur le milieu académique, pour faire avancer les connaissances sur la biodiversité dans les aires protégées ;
  • Homogénéiser la gestion et la collecte des données dans les aires protégées.