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Tard dans la nuit de jeudi à vendredi 7 août, la loi 37/2015 relative à la recapitalisation et la restructuration de trois banques publiques, la Société tunisienne de Banque (STB), la Banque de l’Habitat (BH) et la Banque nationale agricole (BNA), a été adoptée dans son intégralité, par 109 voix pour, 10 contre, et 8 abstentions. Un vote qui creuse davantage le fossé entre l’élite politique et une société civile inquiète d’une culture de l’impunité institutionnalisée.

En fin de séance plénière, 90 députés étaient absents lors du vote de cette mesure qui pourrait coûter au contribuable tunisien la bagatelle de 950 millions de dinars au total, soit 100 dinars par citoyen. Une opération destinée à secourir des établissements phagocytés par la concurrence, la mauvaise gouvernance, mais aussi par la kleptocratie de l’ancien régime.

Une procédure complexe

L’Etat s’apprête en effet à injecter à la STB un minimum de 190,8 millions de dinars, auxquels s’ajoutent 191 millions de dinars indirectement, via l’actionnariat public. Les actionnaires privés, minoritaires, seront quant à eux appelés à verser 374 millions. Comme il est peu probable que cette somme soit ainsi obtenue, c’est l’Etat qui se chargera de combler ce qui manque à la recapitalisation, ce qui porterait la facture à 757 millions pour la seule STB…

S’agissant de la Banque de l’Habitat, l’Etat est appelé à injecter respectivement 35,9 millions et 26,8 millions via la même procédure, en sus des 47,3 millions potentiels en provenance de l’actionnariat privé. Un emprunt obligataire de 90 millions est enfin requis dans le cas de la BH.

Dans le détail de la loi, on apprend que cet argent doit financer entre autres de gigantesques plans sociaux sur quatre ans, touchant un millier d’employés pour la STB : 520 départs volontaires (606 départs pour la BH) et 570 retraites anticipées, mais 1700 nouveaux recrutements de « personnel qualifié », censé moderniser la machine qualifiée d’archaïque par les rapports des bailleurs de fonds que sont le FMI et la Banque mondiale.

Un chambardement des ressources humaines, avec revalorisation des salaires, qui coûte à lui seul 142 millions, 31 millions pour la BH, sans compter la modernisation du système d’information et le renforcement du réseau des agences.

Examen bâclé et audits suspects

Examiné en commission des Finances durant les mois de juin et juillet derniers, le texte de loi n’a été soumis aux députés que mercredi 5 août, pour être étudié et voté en moins de 48 heures, en avance sur la date initiale de la plénière programmée pour vendredi. « Impossible de se pencher sur le texte en l’absence d’audit crédible permettant de connaître la situation exacte de ces banques, notamment celle de la réalité de ce qu’on appelle les dettes carbonisées », a déploré Imed Daïmi du CPR.

L’ONG de vigilance I-Watch a par ailleurs appelé l’Assemblée à suspendre la recapitalisation des banques étant donnés les « sérieux soupçons de corruption dans les opérations d’audit », appelant le ministère des Finances à rendre public le rapport intégral de l’audit de ces banques entaché par un conflit d’intérêts évident.

Ainsi I-Watch révèle que l’audit a été confié à Ficom Etudes & Conseil, un bureau d’études propriété de Mongi Baccar, le frère de Taoufik Baccar, l’un des ministres des Finances et gouverneur de la Banque centrale sous l’ancien régime de Ben Ali, afin de procéder à l’opération d’audit sur la Banque de l’Habitat. Un choix qui contrevient notamment à la convention des Nations Unies de lutte contre la corruption.

Un rapport de la Commission d’investigation sur les affaires de corruption et de malversation avait imputé à l’ex-ministre des Finances, dont le frère a donc été en charge de l’audit de la BH en 2015, la responsabilité de la dégradation de la de la situation des trois banques à travers l’annulation illégale des dettes d’un nombre d’hommes d’affaires corrompus.

Pis, Mongi Baccar est lui-même dans le collimateur des banques publiques. En 2013, la STB avait saisi une villa lui appartenant, couvrant 372 mètres carrés et édifiée sur un terrain de 666 mètres carrés, mise en vente le 12 janvier 2015 pour 756 mille dinars…

La Tunisie a-t-elle, du reste, besoin de trois banques publiques ? Certains évoquent le cas de l’ex Banque du Sud, en proie aux mêmes problèmes, devenue Attijari, et qui après sa privatisation ne cesse d’afficher des bénéfices. Quoique dans un monde dominé par des systèmes hybrides bâtards, mi-Etat providence mi-néolibéraux, cela n’empêcherait probablement pas le sauvetage par l’Etat de banques privées.

Nationaliser les pertes et privatiser les profits : tel pourrait être en somme l’esprit de la droitisation rampante qui caractérise la batterie des législations estivales appuyées par le quartet au pouvoir, préludes à l’examen de la loi dite de « réconciliation économique ».