Marwane Mabrouki, victime de l’usage de la chevrotine par les force de l’ordre avant son admission à l’hôpital des yeux à Tunis. Marwane a perdu l’usage d’un oeil suite à ses blessures.

A la fin du mois de novembre 2012 alors que la population de Siliana manifestait son mécontentement face à sa situation socio-économique elle subissait une répression violente de la part des forces de l’ordre. Alors que Ali Laarayedh, ancien ministre de l’Intérieur, et aujourd’hui Premier ministre du pays, n’a toujours pas rendu de compte quand au déroulement des évènements, une commission indépendante mise en place à l’initiative du FTDES vient de rendre un rapport.

Mardi 19 mars une conférence était organisée à Tunis pour la présentation du rapport de la commission indépendante sur les évènements de Siliana. Dans la salle il y avait quelques blessés, parmi eux Hamdi El Brari 16 ans. Il sortait du lycée et rentrait chez lui tranquillement. Il a reçu un tir de chevrotine dans l’oeil gauche. Comme les 168 blessés recensés dans le rapport il est la victime d’un usage disproportionné et illégal de la force, par les agents des forces de l’ordre inexpérimentés, qui n’ont pas su se comporter en police républicaine et répondre de manière adéquate à une manifestation.

Pendant trois mois, une commission, composée de cinq membres :  Messaoud Romdhani, membre du comité directeur du FTDES et de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme, Néji Bghouri, ancien président du SNJT, Charfeddine Kallil, avocat, Imen Bejaoui, avocate et Romdhan Ben Amor, membre du FTDES, a recueillie les témoignages des victimes, des autorités locales, de l’ex-gouverneur de Siliana, de partis politiques, de syndicats, de députés, du ministère de l’Intérieur ainsi que de médecins, pour comprendre le déroulement des évènements des 27, 28 et 29 novembre 2012. « Le rapport se divise en trois parties : sécuritaire, politique et socio-économique. Nous y soulignons les manquements et les vicissitudes » explique Charfeddine Khallil, avocat.

De ce rapport on ne peut que conclure que la responsabilité du ministère de l’Intérieur est pleinement engagée.

Les forces de l’ordre en cause

« Nous avons concentré notre travail sur l’intervention policière et sécuritaire à Siliana en nous basant sur des assisses purement juridiques et notamment sur la loi 69-4 relative aux manifestations. L’article 31 de la dite loi parle de l’usage graduel qui doit être fait de la force. On en conclut que les forces de l’ordre n’ont pas respecté cet article » explique maître Kallil. En effet les forces de l’ordre n’étaient pas en état de légitime défense, ni en train de protéger un lieu public, donc l’usage des armes à feu n’était pas légal.

Par ailleurs maître Kallil explique qu’en plus de l’usage de la chevrotine, qui est interdite, il y a eu usage excessif des bombes de gaz lacrymogène dont bon nombre étaient périmées.

Le rapport souligne également le fait que les policiers envoyés sur le terrain n’étaient pas originaires du gouvernorat ou de la ville, ce qui explique peut-être en partie le fait qu’ils n’ont eu aucun problème à réprimer si violemment les manifestations.

Il est également fait état du jeune âge et du manque de formation de beaucoup de policiers : comment sinon comprendre qu’autant de manifestants aient été blessés dans le dos ?

Un discours politique de stigmatisation

Imen Bejaoui, avocate, explique qu’en plus de la responsabilité de la police il faut prendre en compte la responsabilité des hommes politiques. « Il y a eu des discours politiques dans les médias qui incriminaient les citoyens de Siliana, ce qui a été dangereux, puisque les citoyens expliquent qu’après avoir entendu ces discours ils sont descendus en masse dans la rue et que ces discours de stigmatisation les ont blessés et ont engendré une haine qui perdure. »

Les problèmes socio-économiques à l’origine des évènements

Plusieurs habitants de Siliana, notamment les blessés, ont fait le déplacement pour assister à la présentation du rapport de la commission. Crédit image : Journal Echaab.

« La situation de violence trouve son origine dans la situation socio-économique de Siliana. Il n’y a pas de vraies infrastructures, le chômage est très élevé… Les habitants ont crû qu’avec la révolution ils avaient le droit d’exprimer leurs demandes et leur frustration. D’ailleurs la plupart du temps les citoyens se sont exprimés de manière pacifique et sans violence. Mais le fait qu’il y ait eu des abus et qu’ils ne soient pas entendus leur donne le sentiment d’être négligés » témoigne Messaoud Romdhani du FTDES.

Les recommandations de la commission 

Lundi soir la commission a présenté son rapport à la présidence de la République, mardi matin c’était au tour de la présidence de l’ANC de prendre connaissance du rapport. « Des promesses ont été faites, mais ces paroles sont rarement suivies d’actes » déplorent les membres de la commission. D’ailleurs jusqu’à présent aucune enquête administrative n’a été ouverte au sein du ministère de l’Intérieur.

Dans son rapport la commission formule des recommandations concernant différents volets qui méritent d’être prises en considération :

  • Réforme des services et appareils de l’Etat
  • Réforme des textes de loi régissant la pratique sécuritaire
  • Mise en place de mécanismes de démocratie participative…

La commission recommande, entre autres, une prise en charge, un soutien et un accompagnement des victimes. mais également une réforme du système sécuritaire : « Au niveau sécuritaire nous demandons à ce que la police soit républicaine et applique la loi » explique Messaoud Romdhani.

Et surtout des changements sur le plan politique et socio-économique doivent être entrepris : des responsables régionaux neutres doivent être mis en place, ils doivent être à l’écoute de la population et mettre en place un agenda clair. « Le gouverneur doit être neutre et indépendant pour traiter la société civile sur un pied d’égalité et non favoriser son parti politique » explique Messaoud Romdhani du FTDES.

« Nous ne précisons pas les responsabilités pénales individuelles dans ce rapport, ce n’est pas le rôle de notre commission. Notre rôle est plutôt de souligner la responsabilité des organes de l’Etat, dont celle du ministère de l’Intérieur qui a besoin d’une vraie réforme » explique Charfeddine Kallil. De ce fait une plainte va être déposée afin que les différents points mis en avant dans le rapport soient pris en considération par l’instruction ouverte au Kef.