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Cette rubrique est préparée en collaboration avec Marsad.tn, l’observatoire de l’Assemblée Nationale Constituante

La semaine de l’ANC a été principalement rythmée par les auditions des ministres de la Justice et de la Famille, Noureddine Bhiri et Sihem Badi lors de séances parfois houleuses. L’article 95 de la constitution a également fait couler – à tort ou à raison – beaucoup d’encre, certains élus y voyant la porte ouverte à des organismes sécuritaires parallèles aux institutions de l’État.

Le ministre de la Justice sur le banc des accusés

Lundi 7 janvier était prévue l’audition du ministre de la Justice au sujet des affaires en cours.
L’audition de Noureddine Bhiri a principalement porté sur sa gestion controversée du ministère, notamment dans le cadre de l’affaire Sami Fehri et de la mort de deux jeunes salafistes des suites d’une grève de la faim, alors qu’ils étaient en détention. La possibilité de conflit d’intérêts au sein du couple Bhiri, dont l’épouse est avocate, a également retenu l’attention des élus (plus de détails dans notre article).

Le ministre a reconnu lors de son intervention que la justice n’est toujours pas indépendante, en raison selon lui de son historique. « Son indépendance n’est pas pour demain », a ajouté M. Bhiri lors de la séance de questions à l’Assemblée nationale constituante.

Outre les décennies de soumissions aux pouvoirs successifs, le ministre rejette la faute sur « les forces du pouvoir » et des « pressions ». Par ailleurs, il estime que cette indépendance ne peut se faire sans l’indépendance du barreau, des huissiers de justice, des greffiers de justice et des experts ; une façon de cautionner les réticences de son ministère face à un environnement dont la neutralité n’est pas acquise.

Sihem Badi malmenée par les élus

Jeudi, c’était au tour de la ministre de la Femme et de la Famille d’être auditionnée par l’ANC. Une audition particulièrement houleuse par moment et à laquelle Maya Jribi n’assistait pas. La secrétaire générale du parti Al Jomhouri s’est faite remarquer en boycottant cette séance en raison de la photo qu’elle juge « honteuse » de la ministre de la Femme avec les chaussures de Leila Trabeli. Une photo qui lui a attiré de nombreuses critiques, allant jusqu’à un virulent appel à la démission de la part de son propre frère, Azed Badi (groupe Wafa).

D’autres griefs contre Mme Badi ont aussi été émis au sein de l’hémicycle, et en premier lieu sa gestion de la petite enfance. Les députés ont ainsi des lacunes dans le contrôle des jardins d’enfants où des cas de corruption et d’abus sexuels ont été relevés, ce à quoi la ministre a répondu que ses services avaient mis en place des autorisations pour ce genre de structures, de manière justement à mieux les contrôler.

En plus des attaques de l’opposition, Sihem Badi a été critiquée par le groupe Ennahdha, qui lui reproche notamment de faire campagne contre les préceptes de l’islam dans le système éducatif. La ministre s’est défendue en ramenant le débat sur les questions pédagogiques et non idéologiques. Elle a ajouté qu’un nombre jardins d’enfants relevant d’associations refusaient de se conformer aux règles et étaient dans l’illégalité.

S’agissant de la corruption présumée au sein de son ministère, Sihem Badi a expliqué avoir remplacé tous les responsables impliqués dans des dossiers de malversation, et leurs dossiers transmis à la justice.

L’audience a aussi été l’occasion pour le parti islamiste d’émettre des réserves sur la levée probable des réserves relatives à la Convention sur l’élimination des discriminations à l’égard des femmes (CEDAW). Les élus d’Ennahdha ont ainsi estimé que la souveraineté de la Tunisie, la cohésion sociale et l’identité nationale seraient menacées par cette convention.

Crainte d’une autorisation implicite des milices armées dans l’article 95

La fin de la semaine à l’ANC a vu s’amplifier la polémique autour de l’article 95 de l’avant-projet de constitution. De nombreuses voix se sont élevées contre la rédaction de cet article portant sur les institutions sécuritaires. Dans sa mouture présentée aux élus, certains y ont vu la porte ouverte à la constitution de milices armées en raison des termes et des tournures assez flous de l’article. Parmi eux figurent les constitutionnalistes Yadh Ben Achour et Kais Saied, ainsi que de nombreux élus de l’opposition, qui se sont exprimés dans les médias.

Dans le camp gouvernemental, on défend l’article 95. Ainsi, le conseiller du premier ministre Lotfi Zitoun a écarté les craintes émises par l’opposition et justifié la rédaction de cet article. Si les institutions habilitées à être armées n’ont pas été énumérées de façon exhaustive, c’est parce qu’elles sont multiples, explique le conseiller, citant notamment le corps des Douanes, qui n’appartient ni à la police, ni à l’armée.

Cependant, Mahmoud Baroudi (bloc démocratique) a estimé que l’article 95 était loin de faire l’unanimité et a estimé qu’il ne sera certainement pas adopté en l’état.

Rached Cherif