Réalisé en 1975, le film « Les ambassadeurs » de Naceur Ktari a été projeté le 28 septembre dans le cadre de Dream City 2023 à la salle du 4ème Art, à Tunis. Le film a décroché le Tanit d’or des JCC de 1977 et le Prix spécial du jury du Festival international du film de Locarno la même année. Et ce n’est pas un hasard s’il est programmé aujourd’hui. Le long métrage aborde en effet une actualité brûlante, celle de l’immigration, l’une des thématiques au cœur de cette édition.

L’émigration maghrébine des 70s

Le film s’ouvre sur des adieux. Une famille du sud de la Tunisie voit son fils Salah monter dans une voiture pour aller vers, ce qui semblait être à l’époque, l’autre bout du monde. Puis vient la fameuse scène de réunion à l’Office national des ouvriers émigrés où les futurs travailleurs écoutent solennellement les directives qui leur sont données avant leur départ : « si un Tunisien vole ce sont tous les Tunisiens qui seront considérés  comme des voleurs…n’oubliez pas vous êtes les ambassadeurs du pays. » Le fardeau de tout un pays est donc chargé sur leurs épaules. Et c’est dans le quartier de la Goutte-d’Or, à Paris, que la communauté tunisienne se retrouve. Elle forme une communauté résiliente et fêtarde, qui fait des cafés-hôtels son QG. 

« Les ambassadeurs » est un film qui n’a pas froid aux yeux. Le réalisateur réussit brillamment à construire une histoire avec sept personnages principaux dans une mise en scène extrêmement dense. « C’est une approche cinématographique entre le documentaire et la fiction. Comment réaliser cette symbiose? Je voulais dire que les images que vous êtes en train de voir sont la réalité. Et en même temps, je voulais créer un film de fiction qui puisse accéder à la sphère commerciale, être diffusé en salles et à la télévision », explique Naceur Ktari lors du débat qui a suivi la projection.

28 septembre salle du 4ème Art, Débat avec le réalisateur Naceur Ktari – Pol Guillard. Dream City 2023

On suit leur trajet individuel et le croisement de leurs destins sociopolitiques. Flottent au-dessus des protagonistes la question palestinienne, le travail précaire et la menace du racisme.

Le racisme tue

En 1973, il y a eu en France « l’été raciste », lors duquel une vague d’assassinats d’Arabes a eu lieu. Dix-sept morts et une cinquantaine de blessés en quelques mois. Naceur Ktari nous montre les racines de ces actes par le biais des micro-discussions entre le concierge d’immeuble et un habitant, ainsi que les réunions de quartier où les slogans d’extrême droite ont pris naissance.

Au-delà de cela, il met à nu le racisme et ses réelles motivations. Ainsi, le concierge cocu est jaloux du beau et jeune Ali qu’il perçoit comme une menace. L’alcoolique du bar d’à côté, lui, est animé par une haine anti-arabe qui lui redonne un statut dans le quartier. En somme, l’immigré parait avant tout représenter une cible facile. Facile, car à cette époque, quand un Arabe meurt, c’est qu’il l’avait cherché.  Les assassins s’en sortaient en invoquant la légitime défense.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Il est assez clair que les slogans racistes ne s’affichent plus sur tous les murs de Paris et que les actes racistes sont condamnés par la loi. Mais la problématique n’a pas disparu pour autant. Aujourd’hui, les thématiques de l’immigration, ou de l’assimilationnisme font grimper l’audimat des chaînes françaises d’infos en continu, en attisant la haine.

Les Ambassadeurs de Naceur Ktari, Dream projects, Festival Dream City 2023, Tunis.

Miroir, dis-moi qui est le plus raciste

Cinquante ans après le meurtrier été français, difficile de ne pas dresser de parallèle avec la vague raciste qui a déferlé en Tunisie. Il suffit de nous rappeler les événements qui ont eu lieu à Sfax le 3 juillet et les déportations des migrants subsahariens aux frontières. Il suffirait de remplacer « les Arabes » par « les Noirs » dans certaines répliques pour comprendre. Que se passera-t-il lorsque la communauté subsaharienne décidera de prendre la parole, de s’exprimer, et de manifester, tout comme les Arabes l’ont fait dans le film ? La programmation de ce long-métrage dans cette édition 2023 de Dream City prend tout son sens lorsque l’écran de projection se transforme en miroir pour nous rappeler l’histoire d’hier et d’aujourd’hui.