Ordonnée par le président de la République, Kais Saied, la consultation nationale a démarré officiellement le 15 janvier. Hébergée sur le portail e-istichara.tn, ladite consultation a été enclenchée le 1er janvier « dans le but d’effectuer une opération blanche pour évaluer la performance du site et faire d’éventuelles rectifications afin de répondre au mieux aux aspirations des Tunisiens », a affirmé Sana Yousfi, du ministère des Technologies à Nawaat. C’est « au nom du peuple » que Saied a lancé cette consultation nationale. Et c’est en son nom qu’il a pris le virage du 25 juillet et qu’il continue à diriger le pays à coups de décrets.
Peu d’inclusion, trop d’inégalités
Pour être considéré comme faisant partie de ce peuple, il faut avoir plus de 18 ans, disposer d’une ligne de téléphone portable en son nom et d’un accès internet. Tant pis pour les nombreux citoyens et citoyennes qui ne remplissent pas ces cases parce qu’un jour, ils ont commis l’irréparable en demandant à un parent de prendre une puce à leur place. Tant pis pour ceux qui ne savent pas naviguer sur internet ou qui n’y ont pas accès. Or 45% de la population est dans ces situations, d’après l’estimation du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES). Ceux-là n’auront ainsi pas leur mot à dire dans l’impulsion des nouvelles institutions prétendument démocratiques.
Idem pour les Tunisiens à l’étranger. Le procédé permettant leur participation patine toujours. A cette inquiétude quant à une consultation qui se veut « participative » et reflétant « une conception commune de l’avenir de la Tunisie », le ministre des Technologies, Nizar Ben Néji a une réponse toute faite : ceux n’ont pas accès à internet ou à des ordinateurs, ils peuvent se diriger vers les maisons de jeunes. D’autres mécanismes de participation seront mis en œuvre afin d’assister les Tunisiens dépourvus des moyens techniques pour donner leur avis, nous dit-on. Qu’en est-il des citoyens n’ayant pas un niveau cognitif leur permettant de déchiffrer aussi bien la forme que le fond de la consultation ? Selon le ministère des Affaires sociales, le taux d’analphabétisme est de 17,7%, soit environ 2 millions de citoyens tunisiens.
Pour participer à cette consultation, les internautes doivent s’inscrire avec le numéro de leurs cartes d’identité sur le portail. Un code secret est envoyé par SMS pour leur permettre de répondre aux questions. Cette opération est hautement sécurisée, «assurant l’aspect individuel et confidentiel» de la participation de chaque citoyen, rassure la représentante du ministère des Technologies contactée par Nawaat. C’est d’ailleurs ce ministère en collaboration avec les opérateurs téléphoniques, le Centre national de l’informatique et l’Agence Nationale de Sécurité Informatique (ANSI) qui dirige cette consultation. D’après la même source, un accord de partenariat a été conclu entre ces différentes parties avec l’implication de l’Instance Nationale de la Protection des Données Personnelles (INPDP).
Saied droit dans ses bottes
Après avoir accédé à la plateforme, quelques informations sont requises comme l’âge du participant, son genre, son niveau d’études, son activité ou encore son gouvernorat. Puis il sera possible de répondre aux différentes questions posées. Elles sont réparties sur six axes : affaires politiques ; qualité de vie ; économie ; affaires sociales ; développement durable ; éducation et culture. Il s’agit d’un questionnaire à choix multiples (QCM). Dans certains cas, l’utilisateur ne peut cocher qu’une seule réponse. Dans d’autres, trois au maximum. Un champ consacré à l’expression libre est disponible pour permettre aux utilisateurs de développer leurs opinions.
Dans le premier axe de ladite consultation consacré aux réformes politiques et électorales, les questions sont assez vagues. En témoigne la question sur la vision des participants concernant l’avenir du pays. Ils sont appelés à choisir entre la vision d’un pays « moderne, tolérant et ouvert sur le monde », « une Tunisie démocratique consacrant la sécurité et la souveraineté », « un Etat de droit » ou encore « un pays garantissant le travail, la liberté et la dignité nationale ». Un participant aspirant à un avenir assurant l’ensemble de ces choix se retrouve contraint à choisir seulement trois parmi eux. Par contre, le brouillard se dissipe lorsqu’il s’agit du choix du régime politique. L’internaute est ainsi mieux orienté. Il est appelé à choisir entre un régime parlementaire, un régime présidentiel ou un régime mixte. Saied ne perd pas le nord.
Pour réformer la vie politique en Tunisie, deux choix se présentent aux utilisateurs du portail : amender la Constitution ou élaborer une nouvelle. Le participant peut aussi choisir entre la réforme de la loi électorale, celle de la loi régissant les partis politiques ou le maintien du statu quo. En outre, le chapitre consacré aux réformes politiques sonde les Tunisiens sur la possibilité de retirer leur confiance à un député n’ayant pas accompli sa mission.
Les critiques formulées par une grande partie de la société civile sur cette consultation ne semblent pas faire fléchir la détermination du président de la République à assoir son projet. Les Tunisiens auront jusqu’au 20 mars pour le cautionner ou le rejeter. Les résultats de la consultation seront complétés par les travaux d’un comité d’experts. Des réformes constitutionnelles seront soumises ensuite à un référendum le 25 juillet. A noter que jusqu’au 02 février, 119.385 Tunisiens ont participé à cette consultation dont 92.307 hommes et seulement 27.078 femmes.
When an imbecile runs tunisia
It is not a fiction it is a reality.
Cette consultation est biaisée ne serait-ce que par la focalisation sur le gouvernorat de résidence de la personne consultée considéré comme “région”(ce qui est faux); des problèmes de fond tels que la réforme des secteurs de la santé et de l’éducation nationale doivent être traités à l’échelle du pays entier et non de chaque gouvernorat. Le développement économique requiert une coordination des programmes au niveau de chacune des sept grandes régions du pays ainsi qu’une mise en cohérence au niveau national. Les questions relatives au nombre et à la qualité des équipements culturels ou de loisirs du gouvernorat sont l’affaire des administrations locales qui disposent de tous les éléments de réponse.