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Suite à la troisième réunion du dialogue national consacrée aux élections, le vote de la majorité des partis politiques a favorisé les élections législatives qui passeront avant les présidentielles. Cette décision met un terme au flottement que certains redoutaient, principalement l’Instance Supérieure Indépendante pour les Élections, surtout que l’ouverture de l’inscription démarre le 23 juin 2014. Maintenant, c’est au tour de l’Assemblée Nationale Constituante de fixer une date officielle pour les élections.

Alors que les secondes élections post-Ben Ali sont à nos portes, le citoyen Tunisien ainsi que la société civile ne semblent pas encore prêts pour cette nouvelle étape transitionnelle. Au-delà de la course électoraliste et des programmes des partis, l’enjeu est lié aux conditions du déroulement du vote. Mais déjà, lancée par l’ISIE pour inciter les Tunisiens à s’inscrire et à participer au vote, la pré-campagne électorale débute non sans quelques cafouillages.

«Il faut préciser que l’inscription concerne uniquement ceux qui ne l’ont pas fait en 2011. Or, l’ISIE doit préciser que l’inscription doit se faire avec ou sans élections. C’est un devoir citoyen», explique Amine Halouani, vice-président du réseau Mourakiboun.

Pour les observateurs, le problème que pose l’inscription est le fait qu’elle soit collective. En effet, contrairement à la première inscription qui était individuelle, la deuxième autorise qu’une personne inscrive sa famille (enfants, conjoint et même cousin…). Selon les professionnels, ce mode d’inscription peut orienter les élections, puisqu’il favorise une concentration des électeurs d’une façon aléatoire et inéquitable.

En attendant que la date des prochaines élections soit fixée, l’ISIE a déjà commencé les préparatifs, suivis de près par la société civile qui tente de rattraper les erreurs des élections précédentes. Parmi les grandes failles des élections d’octobre 2011, l’observation et le déroulement du dépouillement. Faute d’expérience et de moyens, la société civile tunisienne n’est pas parvenue à suivre le déroulement de l’opération électorale de bout en bout. Le nombre des observateurs n’était pas suffisant et était réparti exclusivement dans les grands centres urbains. L’opération de dépouillement et de compilation des PV a échappé à l’ISIE (spécialement à Mahdia et Béja), mais aussi aux observateurs qui ont échoué à attirer suffisamment l’attention sur les dépassements.

Pour ces prochaines élections, le réseau d’associations Mourakiboun a mis à la disposition de l’ISIE et des tunisiens une plateforme cartographique appelée « Tunisia Election Data » qui permet de visualiser les centres de vote, accessibles sur Internet. Le réseau planifie également de suivre, à partir d’un système automatique qui centralise la collecte des informations envoyées par SMS, toutes les observations. « Cette méthode permettra d’avoir plus de précision sur le déroulement des élections et donnera la possibilité d’un échantillonnage plus représentatif (564 observateurs, soit 2 observateurs par délégation). Ces outils permettront une observation à long terme, c’est-à-dire permanente et utile pour les élections futures », nous confie Amine Halouani, vice-président de Mourakiboun.

À l’instar de Mourakiboun, une coalition d’associations prévoit l’accompagnement des élections, bien avant le jour du vote et même après. Sana Ben Achour, nous explique que cette coalition qui va être annoncée, d’ici quelques jours, rassemble plusieurs ONG et associations dont, entre autres, la Ligue Tunisienne des droits de l’homme, ATIDE, l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates, le réseau Doustourna, la Ligue des Électrices Tunisiennes, l’Association de Recherche sur la Transition démocratique en Tunisie, le Syndicat National des Journalistes Tunisiens et le réseau Euro Méditerranéen des droits de l’homme.

Selon une des sources de Nawaat, d’autres ONG sont encore susceptibles de rejoindre cette coalition. D’après cette même source, il se murmure même que la HAICA pourrait y contribuer concernant le volet du monitoring des médias audiovisuels.

Cette coalition aura pour mission d’observer les trois étapes du déroulement des élections : l’avant, pendant et l’après. Cette observation s’articulera autour de quatre axes : le monitoring des médias, la redevabilité ou le suivi des promesses électorales, l’intégration de l’approche genre dans toutes les étapes des élections et le volet juridique. Cette initiative a pris, selon Sana Ben Achour, deux mois de mise en place entre formations, collecte de fonds et recrutement. Selon la juriste, le nombre des observateurs va atteindre 12 milles.

L’objectif de cette coalition est de renforcer le rôle de la société civile afin qu’elle ait un véritable pouvoir de lanceur d’alerte par rapport à la transparence et la neutralité du déroulement des élections. Nous considérons l’ISIE comme un partenaire qui doit écouter la société civile et collaborer avec elle.
– Sana Ben Achour, juriste et membre de l’ATFD

De son côté, l’ISIE déroge d’ores et déjà à la transparence dans ses activités préliminaires. Ainsi, les PV de ses réunions et la liste des responsables des bureaux régionaux ne sont pas publiés sur son site. En outre, le recrutement de l’instance a été d’emblée contesté par l’Observatoire Tunisien de l’Indépendance de la Magistrature. l’OTIM a déclaré, vendredi dernier, au sein d’un rapport rendu public, que l’ISIE a transgressé la loi électorale à plusieurs niveaux. L’observatoire ainsi que nombre de partis politiques et d’associations ont manifesté leurs réserves sur les dernières nominations des membres de l’IRIE qui, selon eux, ne sont pas neutres. L’OTIM indique dans son rapport que le règlement intérieur de l’ISIE ne respecte pas la loi électorale. Ce règlement intérieur inclut une clause disposant que les candidats doivent avoir une ancienneté de pas moins de 10 années dans leurs spécialités.

Enfin, autre faille en matière de transparence, les partis politiques ne risquent aucune sanction s’ils n’informent pas l’ISIE de la tenue de leurs meetings politiques, alors que le code électoral énonce que chaque parti politique doit en informer l’instance. Pis encore, l’ISIE n’est pas obligée de publier l’information sur les meetings des partis. « Cette faille juridique est une atteinte à la transparence qui érige des obstacles au bon déroulement de l’observation », prévient Amine Halouani, vice-président de Mourakiboun.

En réponse aux critiques de l’OTIM et des associations partenaires de l’opération électorale, Chafik Sarsar, président de l’ISIE, déclare à Nawaat que le rapport de l’OTIM n’est pas précis et exact sur différents points notamment sur celui qui concerne les spécialités. « L’OTIM nous reproche l’absence de juges administratifs dans Les IRIE alors qu’il n’y a de tribunal administratif qu’à Tunis » explique le président de l’ISIE.

Concernant les nominations, Chafik Sarsar explique que la liste publiée sur le site de l’instance est préliminaire. « Nous n’avons pas le temps pour vérifier la neutralité de tous les candidats. Pour cette raison, nous avons décidé de faire une première sélection et d’attendre les retours après publication pour rectifier. Chose qui était faite concernant plusieurs régions », ajoute-t-il.

Dans le même sens, l’ISIE reste ouverte, d’après notre interlocuteur, à toutes les critiques et réserves faites par rapport aux nominations. « Néanmoins, ces critiques et réserves – indique C. Sarsar- doivent être formulées sur la foi de documents qui prouvent que telle ou telle personne n’est pas neutre. Nous devons faire attention à ne pas tomber dans une forme de chasse aux sorcières », insiste le président de l’ISIE.

Alors que l’Observatoire tunisien de l’indépendance de la magistrature a annoncé son intention d’intenter une procédure près du tribunal administratif contre l’ISIE, cette dernière a déposé une proposition de calendrier pour les prochaines élections. Une proposition non encore validée par l’Assemblée nationale constituante, mais laquelle provoque déjà quelques polémiques.