La polémique continue autour des jardins d’enfants coraniques qui auraient ouvert de manière anarchique un peu partout dans le pays. Les différents ministères se rejettent la faute et il est vrai qu’il est difficile de tirer les responsabilités au clair. Tour de table de la situation.
Depuis quelques temps le ministère des Affaires de la Femme et de la Famille (MAFF) est attaqué : des jardins d’enfants coraniques ouvriraient un peu partout sans aucun contrôle. Leur programme ne serait pas du tout adapté aux enfants âgés de 3 à 6 ans, les locaux ne respecteraient pas les normes, les « éducateurs » ne seraient pas formés et même pas rémunèrés correctement.
Différents institutions existent, avec différents statuts et dépendant de différents ministères. Mais finalement le problème concerne tout le monde : car il s’agit en fait de jeunes enfants à qui on donnerait un enseignements inadéquat.
Le MAFF aurait reçu des réclamations de la part de parents et de citoyens qui se plaignent d’une trentaine d’établissements dans le pays, des établissements qui auraient été ouvert par des associations. Personne n’a pu recenser le nombre exact d’établissements mais il y aurait au moins une centaine ouverts par des associations qui donneraient des cours de religion aux enfants en dehors de tout contrôle de l’enseignement et de la pédagogie. Pourtant la prise en charge des enfants en bas âge est réglementée en Tunisie et suivant les structures différentes institutions sont responsables.
Les jardins d’enfants dépendent du MAFF. Ils peuvent être ouverts par des personne diplômées qui acquièrent un local, récupèrent le cahier des charges pour les jardins d’enfant au MAFF et commencent à exercer sous son contrôle. Ces jardins d’enfants ont un cahier des charges précis et dépendent du ministère des Affaires de la femme et de la famille pour le programme et les activités ; du ministère de l’Intérieur pour le certificat qui atteste que le local est aux normes ; du ministère de la Santé qui inspecte les lieux et contrôle la santé du personnel et du ministère des Finances pour le contrôle de leur activité financière, le versement de la CNSS et le paiement de leurs employés, car ces jardins d’enfants sont des d’entreprises, comme l’explique Nabiha Kamoun, présidente de la Chambre nationale des jardins d’enfants et des crèches. Il existe même une convention collective qui régit le travail du personnel encadrant les enfants. Des éducateurs qui sont au moins titulaires d’un niveau bac + 3.
Ces jardins d’enfant ont un programme mis en place en fonction de la psychologie des enfants et sont appliqués selon une certaine pédagogie. Il y a également, dans le programme, de l’éducation civique et religieuse.
Il y a dans le pays environ 6000 établissements pour la petite enfance qui dépendent du MAFF. Le ministère a à sa disposition 28 inspecteurs et 104 adjoints qui veillent au respect des normes. Un nombre insuffisant pour contrôler tous les établissements du pays. Toutefois le ministère essaie de garder la main sur ces institutions, mais ne peut en aucun cas contrôler les jardins d’enfants qui ne sont pas sous sa tutelle. Impossible de passer la porte d’un jardin coranique ouvert par une association donc.
Un autre type de structure accueillant les enfants, existe en Tunisie : il s’agit des koteb qui dépendent du ministère des Affaires Religieuses pour des enfants de 3 à 6 ans. Il y a un programme spécifique et précis et les enseignants sont formés à la pédagogie et à la psychologie. Reste que comme l’explique le chargé des koteb au sein du ministère des Affaires religieuses il y a eu quelques dépassements qui sont en train d’être réglés. Des civiles auraient commencé à donner des cours de chez eux et des personnes non formées auraient pris la place des enseignants dans certaines écoles. Le ministère a mis en place un comité qui est en train de travailler sur le cadre juridique pour voir comment contrôler ces quelques koteb.
Mais le vrai problème est ailleurs car ces deux types de structures sont contrôlées. Ce qui n’est pas le cas des nouveaux jardins d’enfants coraniques ouverts par des associations. Des associations qui n’ont qu’à s’enregistrer auprès du premier ministère. Elles ouvrent ensuite des jardins d’enfants et donnent des cours de religion aux enfants, mais sans respecter le cahier des charges qui régule les lieux qui accueillent les enfants ni le programme et la pédagogie adéquats. Il y a un double dépassement ici. Ces associations n’ont pas le droit d’ouvrir de jardin d’enfants et leur programme n’est pas aux normes.
Le MAFF est censé intervenir car, en ce qui concerne la pédagogie de l’enfance, c’est lui qui est en charge. Or lorsque le MAFF envoie ses inspecteurs ceux-ci se voient refoulés car il faut en réalité passer par le ministère de l’Intérieur, le Premier ministère et les gouverneurs pour contraindre une association à être inspectée, voire les contraindre à cesser leur activité. Il y aurait déjà eu plus d’une trentaine de « plaintes » oral de la part des parents dans toute la Tunisie et le phénomène concernerait plus d’une centaine d’association donnant des cours aux enfants.
Contacté le porte-parole du ministère de l’Intérieur explique que depuis mai 2011 c’est le Premier Ministère qui délivre les autorisations pour les associations et que cette affaire n’est pas du ressort du ministère de l’Intérieur.
Le Premier Ministère a l’air d’avoir pris la mesure du phénomène et explique qu’il y a effectivement des associations qui ouvrent avec le but affiché de faire des séminaires mais qui changent leur activité alors qu’elles n’ont pas le droit d’ouvrir des jardins d’enfants. Quand ces associations le font elles dépassent le but définit dans leur statut.
En plus de poser problème du fait des idées transmises il peut y avoir des problèmes de sécurité et des problèmes sanitaires dus à l’inexistence de contrôle des locaux et des techniques de travail des employés. En réalité les jardins d’enfants sont soumis à des normes strictes et leurs activités ont un coût. Si bien que le fait que des jardins d’enfants illégaux voient le jour est une forme de concurrence déloyale, comme l’explique Nabiha Kamoun. Elle pointe également du doigt les écoles privées qui se mettent à recevoir les enfants avant leur entrée en école primaire et les koteb qui étendent leurs heures d’ouverture.
Car même si certains parents semblent être d’accord avec les préceptes enseignés par ces jardins d’enfants coraniques illégaux la question de la sécurité et de la qualité de l’encadrement reste posée. « Ici les gens se servent de la religion pour se faire de l’argent, explique Nabhila Kammoun, le tout sans respect des normes. »
Les jardins d’enfants doivent respecter des normes, travailler dans certaines conditions et rémunérer correctement leur personnel. Chose que les jardins d’enfants coraniques, ouverts par des associations, et les kotebs qui étendraient leurs prérogatives, ne font pas. « J’ai discuté avec des éducateurs dans les « jardins d’enfants coraniques » et certains m’ont raconté qu’ils n’avaient qu’une indemnité de 60 dinars ou 120 dinars par mois par exemple. Dans certains kotebs se sont les parents qui donnent ce qu’ils veulent. » Alors que pour les jardins d’enfants aux normes il y a une convention collective qui réglemente le salaire et les conditions de travail des éducateurs. Avec des salaires aux alentours des 600 dinars, la CNSS et les retenues d’impôts à la source, difficile de vivre du « bon coeur » des parents.
Par ailleurs en plus d’être mal rémunérés, les éducateurs ne seraient pas formés, voire formés sur le tas, dans de nombreux jardins d’enfants illégaux. Mme Kamoun s’est vue transmettre le dossier d’une femme postulant pour un emploi dans une jardin d’enfant. Son parcours scolaire laissait à désirer. Elle avait été renvoyée de l’école en 2004 suite à un troisième redoublement, alors qu’elle était en première année secondaire et c’était présentée à un entretien d’embauche avec un diplôme décerné par le Centre islamique Abdallah Ben Massoud de Ennasr, validant une formation de onze jours pour travailler comme animatrice dans les jardins d’enfants.
Les dépassements ont donc lieu de toutes parts, d’après Nabiha Kamoun et il y a urgence à agir. Pour les écoles privées c’est le ministère de l’Education qui doit agir, pour les kotebs le ministère des Affaires Religieuses et pour les jardins d’enfants coraniques ouverts par des associations, c’est le Secrétaire d’Etat du Premier Ministère, ou toute personne ayant intérêt à agir, qui peut doit avertir de la situation. Le Secrétaire d’Etat donne alors un premier avertissement pour une période d’un mois avant d’amener l’affaire en justice pour que l’activité cesse. Il peut même y avoir dissolution de l’association.
Le MAFF a organisé une réunion interministérielle il y a deux semaines environ avec la présence du Premier Ministère, du ministère des Affaires Religieuses, du ministère de la Formation professionnelle et de l’emploi et du ministère de l’Intérieur pour discuter de la situation. Il s’agit de centraliser les moyens d’action pour mettre au clair les responsabilités et agir pour le bien des enfants. Une commission technique interdépartementale va voir le jour. Composée d’experts et de spécialistes de l’enfance, elle doit se réunir dans quelques jours pour commencer à formuler des recommandations et des propositions quant aux changements à mettre en place concernant aussi bien les structures que les attributions du secteur.
[…] de porter le voile. Selon Nabiha Kammoun, présidente de la chambre des jardins d’enfants, les jardins d’enfants coraniques dont parle Béji Caid Essebssi, ont vu le jour sous la bénédiction de Rached Ghanouchi, leader du […]