Suite au post d’Astrubal sur le forum Taht Essour de nawaat.org et les réactions qu’il a suscitées je ne pouvais que réagir à un sujet aussi sensible.

Pour dire la vérité, je n’ai pas lu les échanges qui ont eu lieu entre madame Salwa Charfi et ses détracteurs qui se sont hissés en défenseurs d’un Islam qu’ils ont piraté et dont ils ont scellé l’interprétation. J’ai appris à épargner mon temps en évitant la lecture des prêches démagogiques et quasi quotidiennes de ces défenseurs zélés de l’Islam, d’Annahdha, de Rached Ghanouchi, de Khaled Ibn al Walid et de tous les lotis de ce sacré qui n’a pas cessé, durant les quatorze derniers siècles, à se dilater dans tous les sens. Cette frange des « islamistes », non seulement instrumentalisent l’Histoire par « une construction chimérique a posteriori », selon l’expression de Mohamed Talbi, pour affermir la mainmise sur/de cette interprétation crispée de l’Islam, mais empoisonnent par là, notre future à coup d’anathèmes contre toute étude scientifique ou recherche historique désirant dépoussiérer le legs culturel de l’Islam qui est le nôtre et dont personne n’en a d’ailleurs le monopole.

Je n’ai pas aussi lu l’étude de madame Charfi sur les fatwas sur Internet. Cependant, j’estime que le monde musulman a besoin de telles études scientifiques qui essaient d’analyser notre rapport, complexe, à la religion et limpact inédit des NTIC quant à la diffusion des discours religieux. Sur cette base, je soutiens son droit fondamental à la liberté d’expression et à la recherche scientifique et académique ; et je profite de cette occasion pour lui affirmer mon soutien dans la bataille qui l’oppose à des personnes lesquelles, au nom de leur interprétation de l’Islam, œuvrent à la priver de son droit de poser les questions qui fâchent et d’y apporter les réponses, les siennes peut être, mais qui dérangent. Cette présente réaction se limite à la seule interview (voir la video ici à partir de la 21ème minute) qu’a eue madame Charfi avec TBH sur la chaîne Al Hiwar (Canal Du Dialogue Tunisien).

Je l’avoue, j’ai admiré madame Charfi et aimé son courage à aborder l’histoire de l’Islam, s’essayant à démêler certains aspects relatifs à de sombres épisodes que plusieurs veulent occulter. Ce que je regrette, dans cet entretien, c’est le glissement dangereux vers la confrontation idéologique et le discours antagoniste, lui aussi crispé, d’une gauche blessée, mais convaincue de son rôle avant-gardiste, progressiste et hautain. La réflexion, l’argumentation rationnelle et la clairvoyance ont laissé la place à cette vision simpliste des choses qui rassemble les acteurs politiques et les protagonistes sous des couleurs faussement unificatrices comme « La gauche » et « L’Islamisme » et inventent ainsi des identités collectives pour des individus et des mouvements qui sont en fait très distincts.

On voit madame Charfi sauter de l’Egypte à la Tunisie à l’Algérie, des années 50 aux années 70 à la recherche d’exemples qui soutiennent, non pas son discours scientifique et académique, mais sa bataille idéologique l’opposant à un adversaire lui aussi politique. On a même vu madame Charfi donnant l’exemple alarmiste égyptien lorsque, après les avoir libérés, Sadat tomba sous les balles des « Islamistes ». Ce fut un message tacite et codé au régime tunisien de faire attention lorsqu’il s’agit du dossier de la libération des prisonniers « Islamistes ».

Mais on ne peut que reconnaître une circonstance atténuante de taille à madame Charfi. Ceux qui ont regardé attentivement ne peuvent que constater la remarquable habilité de TBH pour entraîner son invité sur un terrain qui n’est manifestement pas celui de l’universitaire Charfi : le militantisme politique obtus de gauche. Reconnaissons, le moins que l’on puisse dire, que le militantisme politique ne fait pas bon ménage avec la rigueur académique. Tout comme THB intellectuel s’estimant « éclairé à la française », veut éduquer, à la Staline, le peuple tunisien.

Maintenant est-il peut-être utile d’être très clair sur la nature du travail de TBH. Il n’est ni choquant ni anormal que TBH soit politiquement engagé. Ce qui est en revanche dommage, c’est que, par moments, ses excès n’aident pas ses objectifs déclarés ; c’est-à-dire faire avancer le dialogue démocratique dans notre pays. Par ailleurs, nous allons encore plus loin en affirmant que le fait de consacrer une partie de son patrimoine pour un projet qui ne lui rapporte non seulement rien mais que des soucis et des emmerdes, est tout à son honneur.

Et pour cause, c’est toujours avec le même enthousiasme que nous postons, sur nawaat.org, le produit de ce travail sans égal parmi les chaînes télédiffusées et auquel par ailleurs contribuent de remarquables personnes.

Ceci est une chose que nous reconnaissons sans la moindre ambiguïté, mais cela ne nous empêche pas d’être critiques vis-à-vis de TBH et de ne pas être d’accord avec le contenu de ses messages. Ce que l’on craint c’est que si sa démarche qui s’assimile davantage à une forme de croisade, devenait de plus en plus excessive, nous nous retrouverions en face d’une chaîne « Iqra » mais cette fois-ci de gauche. Et nous serions tous perdants aussi bien les gens de gauche que les islamistes. Car, nous avons tous besoin de la crédibilité de cette bouffée d’air frais que sont les émissions de Canal Du Dialogue Tunisien.

Pour ce qui relève de ceux dont le projet est l’appropriation de l’héritage musulman, j’aimerai aborder un trait nouveau qui caractérise l’islamisme moderne (par opposition à l’islamisme classique) : le retour au puritanisme des Pieux Ancêtres (Assalaf Assalih). Ce dernier trait est pourtant non islamique allant à l’encontre même de l’esprit coranique qui appelle les êtres humains à s’affranchir de l’héritage des pères, des ancêtres et des traditions léguées. Dans ce contexte bien précis, et bien que cela pourrait paraître maladroit, voici quelques versets coraniques à titre d’illustration (parmi des dizaines que recèle le Coran) :

  • « Ils dirent : ‘Est-ce pour nous écarter de ce sur quoi nous avons trouvé nos ancêtres que tu es venu à nous, et pour que la grandeur appartienne à vous deux sur la terre ? Cependant nous ne croyons pas en vous !’ » [Coran, chapitre 10, verset 78]
  • « Quand il dit à son père et à son peuple : ‘Que sont ces statues auxquelles vous vous attachez ?’ Ils dirent : ‘Nous avons trouvé nos ancêtres les adorant.’ » [Coran, chapitre 21, versets 52-53]
  • « Ils dirent : ‘Ô Chuaïb ! Est-ce que ta prière te demande de nous faire abandonner ce qu’adoraient nos ancêtres, ou de ne plus faire de nos biens ce que nous voulons ? Est-ce-toi l’indulgent, le droit ?’ » [Coran, chapitre 11. verset 87]

Le seul héritage que le Coran revendique est le legs abrahimique en tant qu’esprit monothéiste qui regroupe tous les prophètes. Les traditions qui se sont accumulées après la mort de chaque prophète ont été fortement condamnées par le Coran. Pourquoi la tradition musulmane, dans sa portion séculaire et profane accumulée après la mort du Prophète, ne serait-elle pas à son tour condamnée selon la même logique coranique ? Cette question, à ma connaissance, n’a jamais été posée par les oulémas musulmans qui ont tous, ou presque, considéré la tradition comme partie intégrante de l’islam sinon un produit du sacré et, de ce fait, ne pouvant être assujettie à la critique, ni à la modification ou à l’abrogation. Le Coran condamne chez les peuples préislamiques leur vision d’un héritage transcendant dont ils seraient tenus de préserver la lignée. Ce phénomène de la valorisation des ancêtres a été combattu par l’islam sans jamais être neutralisé ; tant nous découvrons aujourd’hui le tort qu’il porte à la raison et à la rationalité musulmane.

L’emprise de cette culture qui sacralise l’héritage musulman n’aurait pas été possible sans l’existence d’autres principes « islamiques » qui ont été faussement et abusivement instrumentalisés pour faire passer la soumission absolue comme un devoir religieux. Selon cette logique, l’obéissance à Waliy al-Amr, au père, au mari, et à l’autorité du religieux avaient un fondement dans le Coran, la sunna, la tradition des compagnons du prophète et les docteurs de la foi. Il en résulta que la soumission à Dieu eut pour vecteur celle à d’autres seigneuries occupant les diverses sphères gérant la société musulmane. A la longue l’Obéi n’est plus Dieu, mais les seigneurs (Arbâb) parlant en Son Nom.