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Plus il avance, plus il s’enfonce. Pour rectifier la trajectoire, il a emprunté les chemins les plus tordus. Et ils ne l’ont mené qu’à de plus en plus d’isolement. Souvent seul, parfois mal accompagné, son action s’est de plus en plus subjectivisée. Les constitutions, c’est tout ce qu’il connait. C’est ce qu’il a toujours enseigné. C’est donc ce qu’il nous servira. Sa perception prophétique des enseignants, revendiquée par la poésie arabe si chère à son cœur, l’a poussé dans une mission sacrée. Et à force d’y croire et de réclamer le caractère divin de sa mission dans ses discours, il a perdu le nord, se croyant capable de créer sa propre Qibla. A chaque prophète son message. Le sien est ce draft de Constitution.

 

Du vilain canard au loup solitaire revanchard

 

Il a prêché son contenu depuis 2011, l’a développé en 2012, peaufiné entre 2013 et 2014 et répété des milliers de fois depuis. Ses collègues, les responsables politiques et autres élus lui ont souvent tourné le dos. Et ce, malgré la fréquence de ses passages au journal de 20h de la première chaîne du service public. Mais l’isolement ne peut qu’entraîner la subjectivisation. Du coup, le régime politique, le mode de scrutin, les institutions régaliennes, tout est devenu personnel. Une question de revanche. Celle d’un enseignant qui a pris la retraite sans grimper haut dans les échelons, sans une véritable reconnaissance de ses pairs, sans maitriser leurs codes sociaux ou intégrer leurs dynamiques associatives. Outsider ? Il ne l’est pas. C’est plutôt le vilain canard qui s’est radicalisé, forcé à devenir une brebis galeuse, puis un loup solitaire.

 

Le Président, L’Intouchable

 

Résultat : un draft de constitution imposant un régime présidentialiste. Le chef de l’Etat aurait ainsi des pouvoirs jupitériens. Les gouvernements, c’est lui qui les désigne. Et avec un nouveau système bicaméral, le pouvoir législatif serait éparpillé sur deux assemblées : le conseil des régions et l’assemblée des représentants du peuple. La première est élue. La deuxième ne l’est pas. Du moins, ce n’est pas précisé dans le draft publié le 30 juin au JORT. Quasiment impossible de faire chuter les gouvernements désignés par sa majesté, puisqu’il faut les deux tiers des deux assemblés pour y parvenir. Intouchable, selon la constitution de Saied, le président est irrévocable, contrairement aux députés. Aucun contrôle sur la présidence de la République ne serait ainsi exercé. Même pas par la Cour constitutionnelle, dont les membres sont désignés par sa sainteté.

 

L’arbitraire, encore et toujours…

 

Quant aux droits et aux libertés, ils sont conditionnés par l’humeur de l’Exécutif, tributaires des « bonnes mœurs », de « la sécurité nationale » et autres facteurs relevant de l’au-delà. Ainsi, le président est le libre arbitre. D’ailleurs, le contenu du préambule et son style l’attestent. Une simple dissertation valorisant le rôle de Saied, le plaçant comme le faiseur de moments historiques et le sauveur du peuple et de la révolution, écrite dans le même style de ses discours et avec les mêmes éléments de langage.

 

Détournement de la volonté populaire

 

Dans la foulée, il poursuit son hold-up sur un slogan populaire révolutionnaire tout en l’amputant comme il a toujours fait. « Le peuple veut… », au lieu de « Le peuple veut la chute du régime ». Et ce régime est encore en place et il a la peau dure.

Ni le mode de scrutin, ni les articles constitutionnels ne peuvent le déboulonner. Et ses piliers sont la corruption et la répression. Les corrompus, Saied leur a offert la réconciliation pénale. Les oppresseurs, Saied préfère leur tapoter sur l’épaule. Lui qui n’a, à part les tours de magie constitutionnelle, que des matraques de police dans son sac souillé. Il a fait un détournement de la volonté populaire, de la dignité et la justice sociale à des joutes élitistes juridistes.

Ce dont il est inconscient, c’est que les célébrations de son coup de force du 25 juillet tout autant que les 2,7 million d’électeurs au deuxième tour, qui l’ont amené au Palais de Carthage, se moquent des articles constitutionnels. Ils sont au contraire lassés de ces débats perçus comme malvenus. Ils n’ont pas de comptes à régler avec les profs de droit et les enseignants de sciences juridiques. Ils veulent plus de dignité et d’égalité. Ils veulent manger à leur faim alors que l’inflation a atteint les 7,8% en mai 2022. L’érosion du pouvoir d’achat finira par s’accentuer au rythme des hausses des prix des céréales, des denrées alimentaires de base et du carburant. Conditions d’octroi des dettes obligent. FMI, Banque mondiale, Union européenne, États-Unis et autres créanciers guettent. Le chômage grimpe à 16,1%. Le déficit de la balance commerciale atteint les 2157,5 million de dinars. Quant à l’espoir, il n’est pas loin du zéro. Les centaines de migrants qui prennent la mer pour l’Italie le manifestent. Et la fuite des médecins, ingénieurs et autres cadres, jeunes et moins jeunes, le prouve. Sauve qui peut.