Sous ses dehors un peu brouillons, le court métrage de Mouaad El Salem possède les atours aseptisés d’un morceau de vie en déflagration. Tourné plus ou moins artisanalement, avec un iPhone, c’est à la fois un segment de vie condensée en une journée, et où les choses se passent ici alors que ça pourrait être ailleurs. Entre les différents régimes d’images qu’il brasse et les espaces-temps indéterminés qu’il documente au passage, le réalisateur rumine des réminiscences peu exemptes de faux rêves, et laisse planer l’indécision sur sa condition de genre ; brossant en même temps et en sourdine un autoportrait et un portrait de groupe. S’il rebondit sur la fin d’un cycle, Ce jour ne durera pas s’essaie à tourner une page comme s’il promettait un autre départ.
On se situe ici dans un territoire intime avec son lot d’inter-dits. S’il donne lieu à une interrogation gonflée de soliloques de celui qui se serait glissé entre les mailles des filets sociaux, le court-métrage évite le potentiel tapageur d’une vie à l’ombre. Sans qu’on puisse pour autant le prendre en défaut d’étalage poseur, Ce jour ne durera pas recompose le récit de son réalisateur, son vécu en vase clos mais suspendu à un sort incertain comme si quelque chose s’attendait au tournant. En fait de mise en scène, la composition cligne de l’œil vers un geste de réinvestissement formel de matériaux, de couleurs comme de détails, réchauffant en quelques archives des images en noir et blanc, mises bout à bout comme des agrafes sur le récit. À l’écran, le montage heurté alterne émois domestiques et moments de complicité, ici un chat et là un corps dansant ou posant, dans une solitude transpercée de musique et de douleurs sous climat hostile. Pas plus qu’il n’est mis en spectacle, plutôt filtré, le vécu homosexuel n’est filmé ici pour lui-même.
Oscillant, au présent de ses images, entre la clandestinité de sa condition et la voix d’un espoir fragile, ce vécu tremble à la lisière du désir et de la peur : le désir d’être soi-même comme les autres, la nécessité de documenter avec les moyens du bord et la peur de faire un film ; la nécessité et la peur de faire la révolution. Si on se laisse guider par sa voix off, il y a pas mal de psychologie dans la façon dont Mouaad El Salem accouche son récit à la première personne, et laisse affleurer à la surface de ses confidences ce qu’il faut de courage mais aussi d’incertitude. Le motif d’un arbre arraché à son sol donne au récit un centre de gravité. Laissant son mal-être se dire de façon plus ou moins rentrée, dans la peur de quitter les siens et la nécessité de s’exiler pour s’offrir l’ailleurs qui panse, Ce jour ne durera pas reste digne dans le regard porté sur soi ou dans celui consenti sur le pays, contre le temps qui passe et avec le temps qu’il fait. S’il ne fonce pas dans le recueillement encombrant, sa sincérité est une qualité.
Bien que doté d’un bon élan, à vrai dire touchant, le film laisse une impression mitigée. En un sens, il en reste au stade d’un exercice timoré. Courageux quand il assume la fragilité de son énonciation, Ce jour ne durera pas n’en demeure pas moins lové dans une zone de confort apaisante, celle d’une voix qui plaide en appel et finit par rendre le propos revendicatif. On regrette ainsi qu’il ne déroge pas à la tendance de résorber la distance entre le « Je » et le « Nous », et qu’il se fasse porte-voix au prix d’effacer sa singularité. Sans vraiment dépasser le film-bulle peinant à s’ouvrir au monde, sa liberté formelle aurait peut-être été plus efficace s’il avait davantage cherché le contre-pied.
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