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L’hermine n’a jamais été signalée en Tunisie, ni au Maghreb. Dans les différents travaux consacrés aux mammifères ou à la faune naturelle de la Tunisie, l’hermine n’a jamais été citée par les différents auteurs consultés[1]. Elle n’a pas non plus été signalée au Maroc[2], ni en Algérie[3]. Remarquons qu’en Algérie, l’espèce a été signalée récemment[4].

Hermine photographiée dans son milieu naturel en Tunisie

Caractéristiques biologiques et écologiques

L’hermine est un petit animal chez qui les mâles sont plus gros que les femelles. Le poids de chacun des deux sexes varie selon la région[5]. Celui des mâles atteint près de 360g en Nouvelle-Zélande ; les femelles, pesant moins, atteignent un peu plus que 220g dans le même pays. Dans des pays proches de nous, les mâles ne dépassent pas 300g, les femelles pèsent près de 200g. Le corps est petit, le pelage est roux au-dessus de la tête et du corps, et blanc ou crème sur la face ventrale. Cette couleur devient blanche dans les régions couvertes de neige en hiver, mais demeure brune dans les régions à climat doux.

Solitaires, les individus des deux sexes ne se rencontrent que pendant la période de reproduction. Cette espèce occupe une diversité d’habitats et des zones dont l’altitude varie entre le niveau de la mer (plages) et à la limite des arbres (3000 m d’altitude). Elle peut se trouver dans tout type de forêt, prairies, terrains agricoles, dunes côtières, maquis et toundra. Comme elle est vulnérable à la prédation des autres mammifères et rapaces, elle tend à chercher du couvert végétal dans les milieux ouverts mais tend à les éviter. Elle apprécie les murs de pierres et les milieux pierreux, près de l’eau.

L’espèce est active aussi bien de jour que de nuit. Les activités diurnes ont été enregistrées en été. En automne et hiver, elle est active de nuit. L’hermine est capable de grimper sur les arbres et les haies, mais aussi de nager, ce qui facilite sa dispersion. Elle vit dans un terrier souvent creusé sous les tas de pierres.

La répartition globale de l’espèce est large. Elle habite le continent nord-américain, l’Europe et l’Asie. Elle a été introduite en Nouvelle-Zélande depuis la fin du XIXè siècle[6], pour lutter contre l’expansion des lapins –introduits eux aussi- mais s’est vite étendue dans des zones où le lapin était absent et est devenue un prédateur de la faune locale du pays, causant le déclin ou l’extinction de nombreuses espèces d’oiseaux endémiques… L’hermine est considérée, en raison de son impact négatif sur les proies natives, parmi les plus néfastes 100 espèces exotiques envahissantes dans le monde[7]… En Nouvelle-Zélande, les coûts de la recherche et de gestion des hermines s’évaluent à des millions de dollars annuels[8].

L’hermine chasse ses proies au hasard de ses rencontres. C’est un des rares prédateurs qui s’attaque à des proies plus grosses que lui. Elle se nourrit essentiellement de petits mammifères (les rongeurs en particulier, mais également les lièvres et lapins), mais également d’autres types de proies lorsque ces derniers viennent à manquer : les oiseaux et leurs œufs, les reptiles, poissons, amphibiens, insectes (sauterelles, croquets…) et d’autres invertébrés comme les vers de terre. Elle se nourrit également de cadavres et de fruits, contribuant ainsi à la dispersion des espèces qu’elle consomme. Elle a tendance à cacher dans ses terriers les restes des proies qu’elle n’arrive pas à consommer en entier.

L’hermine a un mode de reproduction particulier[9]. Les femelles sont fécondées alors qu’elles sont encore au nid, à l’âge de deux à trois semaines, mais le développement embryonnaire n’a lieu qu’au bout de neuf à dix mois. Leur portée annuelle comprend de six à neuf petits. La reproduction n’a pas lieu lorsque les proies manquent pour alimenter la descendance.

Habitat de l’espèce en Tunisie

En Tunisie centrale, nous avons observé l’espèce à plusieurs reprises et à différentes périodes de l’année, mais surtout au courant de la journée, entre les mois de mai et juillet. Les milieux qu’elle habite (photo 2) consistent en une plaine attenante à des champs cultivés. L’espace est surtout couvert de touffes discontinues de Lycium shawii et de tamaris, associées ou séparées. Le milieu n’est pas fermé, et les espaces séparant les touffes d’arbustes sont couverts d’un tapis herbacé très bas, en raison de la grande pression de pâturage dans les sites occupés par l’animal, ainsi que par des touffes éparses de Chénopodiacées. Un seul des sites où l’hermine a été observée contenait une mare temporaire –asséchée depuis- où l’animal venait boire, les autres se trouvant éloignés d’un point d’eau.

Aperçu de l’habitat de l’hermine en Tunisie

Questions en suspens

L’observation de l’hermine tant en Tunisie qu’en Algérie suscite bien de questions. Si l’espèce a existé dans l’un des deux pays, ou les deux, où elle est actuellement connue, pourquoi n’a-t-elle pas été signalée auparavant ? La seule option possible, c’est qu’elle a été confondue avec la belette, ou que différents auteurs n’ont pas examiné de près des animaux. Ceci est d’autant plus difficile que les anciens auteurs chassaient les animaux et les examinaient de près, mais leurs collections ne sont plus accessibles, au moins en Tunisie, pour vérifier cette hypothèse.

Si l’introduction de l’espèce est récente, comment alors expliquer sa présence dans deux zones géographiquement disjointes (collines entre Sétif et Constantine en Algérie et Tunisie centrale), dans deux zones bioclimatiques différentes ? Il est possible que l’espèce se trouve en Tunisie dans d’autres régions, mais qu’elle n’a pas encore été détectée. La seule réponse possible à la question posée est une analyse génétique pour voir les liens entre les deux populations et leur origine possible.

Les habitats de l’espèce en Algérie et en Tunisie sont bien différents. En Tunisie, il est plutôt steppique où la végétation herbacée est peu étendue et sous pression continue (voir supra). Comme prédatrice, l’alimentation de l’hermine ne pourrait qu’être généraliste, étant donné la relative faible densité des micromammifères qui constituent ses proies favorites. Ceci dit, ce genre d’hypothèse ne pourrait être validé que par l’étude du régime alimentaire saisonnier de l’espèce dans les milieux qu’elle occupe.

Conclusions

La présence de l’hermine en Tunisie soulève la question sur la diversité, le statut et la distribution géographique de nombreux groupes animaux en Tunisie, notamment les espèces nocturnes et les carnivores en particulier. Si des techniques d’inventaire et de suivi ont largement été utilisées partout ailleurs, tels que les « camera trapping » ou les colliers émetteurs, elles restent encore très peu ou pas utilisées dans le pays, notamment dans les laboratoires de recherche. Inutile de s’arrêter sur les raisons qui nous ont amené à ce type de situation, car ces outils sont d’une utilisation très répandue et font gagner aux chercheurs énormément de temps et d’argent. Bref, l’absence d’institutions assurant un suivi régulier de notre patrimoine vivant fait que les efforts des personnes demeurent tributaires des moyens dont ils disposent et de leurs engagements sur le terrain. Il n’en demeure pas moins que nous nous trouvons dans l’obligation de faire de grands efforts pour disposer d’institutions modernes capables d’assurer un suivi de l’état de la diversité biologique du pays. Ceci est d’autant plus urgent que des espèces exotiques et invasives risquent de s’installer dans le pays. C’est le cas notamment du charançon rouge détecté il y a quelques années et dont la progression est plus qu’inquiétante. D’autres espèces constituent également un risque réel pour notre patrimoine vivant. Si nous continuons à gérer notre patrimoine comme nous l’avons fait encore à ce jour, nous nous retrouverons au fil du temps face à des situations inédites et de plus en plus complexes…

Notes

  1. Voir, entre autres : Blanc M., 1935. Faune tunisienne, 1. Mammifères. Document dactylographié, Tunis, 53 p. Etude nationale sur la biodiversité, 1998 et 2008. Chapitres relatifs aux Mammifères. Gharaibeh B.M., 1997. Systematics, distribution, and zoogeography of mammals of Tunisia, PhD Texas Tech Univ., 354 p. Posner S. D., 1988. Biological diversity and tropical forests in Tunisia, US Aid, 206 p. + annexes.
  2. Cuzin F., 2003. Les grands mammifères du Maroc méridional (Haut Atlas, Anti Atlas et Sahara): Distribution, écologie et conservation. Thèse, Univ. Montpellier II, 310 p. + annexes.
  3. Kowalski K. & B. Rzebik-Kowalska, 1991. Mammals of Algeria. Ossolineum, Varsovie, 370 p.
  4. https://www.elwatan.com/edition/culture/une-nouvelle-espece-fait-son-apparition-en-algerie-lhermine-22-02-2019
  5. Voir, entre autres, King C.M., 1983. Mustela erminea. Mammalian Species, 195: 1-8
  6. Voir à ce propos King C. M., 2017. The history of transportations of stoats (Mustela erminea) and weasels (M. nivalis) to New Zealand, 1883–92. International Review of Environmental History, 3 (2): 51-87
  7. Global Invasive Species Database (GISD) 2015. Species profile Mustela erminea. Available from: http://www.iucngisd.org/gisd/species.php?sc=98 [Accessed 14 July 2019]
  8. GISD, 2015
  9. McDonald R. A. & Harris S., 2002. Population biology of stoats Mustela erminea and weasels Mustela nivalis on game estates in Great Britain. Journal of Applied Ecology, 39: 793-805