File d'attente dans un bureau de vote de la capitale lors des élections du 23v octobre 2011. Crédit image : Sana Sbouai | nawaat.org
File d’attente dans un bureau de vote de la capitale lors des élections du 23v octobre 2011. Crédit image : Sana Sbouai | nawaat.org

La loi qui met en place la nouvelle Instance Supérieur Indépendante pour les Elections (ISIE) fait controverse. Votée alors qu’une cabale cherchant à discréditer l’équipe de la première ISIE avait lieu, la loi semble écarter le Président pour mettre en avant le directeur exécutif, selon Kamel Jendoubi et instaurer un Conseil fait de membres sous influence, pour Rafik Halouani de Mourakiboun ; des points de vue que Hanène Sassi, députée et rapporteur de la Commission générale de la législation, en charge de la loi sur l’ISIE, ne partage pas.

Hanan Sassi
Hanan Sassi

Hanène Sassi – Députée et Rapporteur au sein de la Commission générale de la législation. « Tous les critères qui se trouvent dans la nouvelle loi garantissent la transparence et l’indépendance de l’ISIE. »

Selon Hanène Sassi cette loi a été faite via un processus consensuel et démocratique, différents projets ayant été soumis à la Commission et différentes personnalités ayant été entendues. Elle ne comprend donc pas les critiques qu’elle entend aujourd’hui et les trouve infondées.

« Pour moi le plus important est le fait que les limites de l’ancienne loi ont été corrigées dans la nouvelle loi de l’ISIE. Tout d’abord il y a séparation entre le pouvoir décisionnel et le pouvoir exécutif, ce qui n’était pas le cas avant. Le deuxième point important c’est le fait que le Président de l’ISIE n’est plus le point névralgique. »

« Une des critiques sur l’ancienne loi sur l’ISIE était qu’elle donnait trop de pouvoirs au Président. C’est un fait sur lequel tout le monde s’accorde. Le Président était décisionnaire et membre exécutif à la fois, il avait trop de tâches de travail. Les associations et les observateurs étrangers eux-mêmes ont recommandé que dans la structure de l’ISIE il y ait deux entités distinctes : les décisionnaires et les exécutants. Il est important de séparer ces deux entités et que le pouvoir de décision puisse superviser le travail du pouvoir exécutif. »

« Ainsi je pense que dans la loi actuelle le Président a toujours beaucoup de pouvoir puisqu’il signe toutes les décisions par exemple et qu’il travaille avec un Conseil de huit personnes. Ses compétences sont d’ailleurs mentionnées dans l’article 3 de la loi. »

« Dans l’article 27 nous avons détaillé les pouvoirs et devoirs du président exécutif contrairement à ce qui a été fait pour le Président. Car, en effet, tout ce qui n’est pas dans l’article 27 est donc un pouvoir ou un devoir du Président et du Conseil. Le directeur exécutif est responsable c’est pour cela que ses attributions sont clairement détaillées. Il suffit de déduire que ce qui n’est pas dans l’article 27 va au Président. Et quoi qu’il en soit toutes les décisions du directeur exécutif doivent avoir l’aval du Conseil, donc il n’y a pas d’inquiétude à avoir. »

« Parmi les choses les plus importantes c’est le processus d’élection du Conseil qui doit être mis en place de manière démocratique en séance plénière à l’ANC, même le Président de l’ISIE. Ceux qui souhaitent se présenter vont envoyer une candidature à une Commission parlementaire. Il y aura un classement des candidats ce qui permettra aux élus en séance plénière de juger selon les compétences de chaque candidat. Il y aura ensuite vote en séance plénière et il faudra atteindre les deux tiers des voix pour que le candidat soit retenu. Il n’y a donc pas à s’inquiéter car aucun parti ne peut dominer et tous les membres seront élus. Il n’y aura pas d’affectation au poste et donc pas d’affiliation possible. »

« Nous sommes en train de mettre en place une nouvelle démocratie et donc nous devons mettre en place un système qui va durer avec des institutions conformes au principe de la démocratie. Ce projet n’a pas été fait en fonction des personnes, il a été fait pour durer, dans la transparence, en toute indépendance et impartialité. Aujourd’hui une personne va prendre cette responsabilité mais elle devra ensuite laisser la place à quelqu’un d’autre, qui devra faire le reste du travail. La loi a été faite pour que l’on mette en place l’idée de l’alternance au pouvoir. »

« Tous les critères qui se trouvent dans la nouvelle loi garantissent la transparence et l’indépendance de l’ISIE. Tous les articles confirment ces principes et assurent la transparence et l’intégrité, que ce soit au niveau du choix des membres du Conseil, sur leur manière de travailler, sur les pouvoirs de l’exécutif… Tout le travail de l’ISIE doit être publié dans le JORT et sur le site internet de l’ISIE. Elle est dans l’obligation de la faire. J’espère que les gens qui vont assumer cette responsabilité seront à la hauteur des attentes des gens et nous assurerons des élections transparentes et indépendantes. »

Kamel Jandoubi
Kamel Jandoubi

Kamel Jendoubi : Président de la première ISIE « Le Président du Conseil est une entité qui a été complètement vidée de ses prérogatives pour faire plus de place à l’administratif. »

Avec son expérience de Président de la première Instance Supérieure Indépendante des Elections de l’histoire de la Tunisie, Kamel Jendoubi était aux premières loges et pose un œil critique sur la nouvelle loi sur l’ISIE.

« La loi est composée de plusieurs parties. Il y a une partie générale sur la mission de l’ISIE. La deuxième partie parle du Conseil, de sa composition, des conditions d’éligibilité de ses membres… Mais à part ça il n’y a pas de prérogatives spécifiques définies pour le Conseil. Cette absence obéit à l’idée d’écarter les gens de l’ancienne ISIE et de tout centrer sur le côté administratif, plus que sur l’ISIE en tant qu’institution. L’ISIE est pourtant composée du Conseil et de l’administration. La troisième partie de la loi parle de l’appareil administratif, dirigeait par un directeur. Le directeur travaille sous l’autorité du conseil et sous le contrôle du Président, il y a donc un lien entre eux. Mais le rôle du Président semble se réduire à un simple rôle de suivi en fait puisqu’il n’a pas de prérogatives définies, contrairement au directeur exécutif. »

« L’article 3 définit les tâches de l’ISIE. Le Conseil et le directeur exécutif se partagent l’ensemble des missions : donc d’une part le directeur partage les missions avec le Conseil et par ailleurs il a des prérogatives bien définies. Ce qui n’est pas le cas du Président. Donc d’une manière opérationnelle c’est le directeur exécutif qui prend le dessus, en effet il prépare l’organisation administrative, technique et financière de l’ISIE. Il propose au Conseil, qui délibère. Il prépare même le règlement intérieur, qu’il propose au Conseil, ce qui est normalement une prérogative du Conseil. »

« Dans cette disposition sur le Directeur exécutif on se rend compte que la moitié des dispositions sont des prérogatives du Conseil en fait et que l’autre moitié devraient revenir au Directeur. »

« La quatrième partie concerne les dispositions transitoires. Il semble il y a eu construction d’une architecture dans laquelle on a voulu introduire, par la suite, de nouveaux éléments. Il suffit de prendre un des principaux articles de la loi : l’article 5 qui décline la composition du Conseil, qui se compose de neuf membres. Le premier élément est l’exclusion du Président de la composition car la formule initiale disait que le Conseil se composait d’un Président et de huit membres. Or, pour une instance on doit avoir une vision globale de celle-ci. Elle doit se composer de deux institutions ainsi un cadre est posé. Si on explique maintenant que l’instance est composée de trois institutions : du Président, du Conseil et de l’administration alors on a une nouvelle formule. (…) Normalement une instance électorale dispose d’une institution présidentielle qui permet à l’instance de s’exprimer. Le Président doit donc en être le porte-parole, ce qui n’est pas le cas ici par exemple. »

« L’article 11 dispose que le Président de l’ISIE est son représentant légal, le président du Conseil et son ordonnateur. Mais pas son porte-parole, ni le président de l’administration. Formellement, le président convoque les réunions et il est le responsable légal, sa responsabilité est engagée. Il est également ordonnateur, donc il signe et engage les dépenses, des pouvoirs importants. Mais la substance de l’institution présidentielle c’est la parole, car c’est cette entité qui parle aux gens, aux partis politiques, à l’Etat, au Monde, et au même temps il est le président de l’administration. Là, on voit que l’instance présidentielle est vidée de ses prérogatives pour donner plus de place à l’administration. »

« La philosophie générale montre que l’on veut vider le Conseil et la Présidence, du maximum possible de leur substance en limitant leurs prérogatives. Ce qui donne l’idée que l’on veut écarter les gens. Mais finalement on fait des entorses au lieu de poser les choses clairement. On a voulu habiller une loi en fonction des personnes que l’on suppose qui vont y faire partie. En lisant la loi on ne sait pas de combien de personnes elle est composée finalement.

Rafik Halouani
Rafik Halouani

Rafik Halouani : coordinateur général du réseau Mourakiboun « Si dès le départ il y a une ISIE biaisée alors tout le processus sera entaché. »

Rafik Halouani ne se veut pas alarmiste, la loi est faible, certes, beaucoup de dispositions peuvent être changées, reste que pour le réseau d’observateurs Mourakiboun le problème principal est celui de la procédure de mise en place du Conseil.

« C’est une loi faible. Il y a un risque de se retrouver avec un collège non indépendant et de ce fait il y a un risque de perte de confiance. Car si la transparence n’est pas assurée la confiance ne le sera pas non plus. »

« En effet la transparence n’est pas une priorité dans ce texte. Or ce devrait être le cas. Par exemple il devrait y avoir transparence en ce qui se passe dans l’ISIE, la gestion financière ainsi qu’en ce qui concerne les résultats aussi bien pour leur collecte que pour leur annonce. »

« Mais la question principale est celle de la formation du Conseil : comment va t-on choisir des candidats parmi la liste de ceux qui vont se présenter si on ne fait pas une liste de critères ? Et comment va t-on obtenir la majorité des trois-quart par le consensus ? Comment toutes les tendances politiques peuvent-elles se mettre d’accord ? On peut donc avoir un blocage à tous les niveaux. La Commission en charge des candidatures doit choisir 36 personnes qui sont ensuite présentées à l’ANC pour vote en séance plénière. Mais déjà à ce niveau il y a un risque de blocage qui ne semble surmontable, à notre sens, que si les intervenants se mettent d’accord sur qui sera présent sur la liste et qui en le sera pas, parmi les 36 candidats. Nous pensons donc qu’il risque d’y avoir un partage : chaque partie prenante présentant un candidat. Cet accord entre les partis peut être une bonne chose mais il ne doit pas être tacite. Soit nous avons une instance indépendante, soit on se retrouve avec les « indépendants » de chacun. Et si demain il y a une force politique qui a les deux tiers du parlement alors elle aura une ISIE 100% à sa convenance. »

« La situation de blocage dans le choix des candidats ne peut être dépassée qu’avec la mise en place d’un consensus non déclaré entre les partis. Pour nous c’est la plus grosse faille et le plus grand reproche qui peut être fait. Le reste peut être amendé, il peut y avoir des changements dans le projet de loi. »

« En fait il n’y a pas de vision à long terme dans la mise en place des structures. Tout est basé sur l’échiquier politique existant actuel. »

« Et si dés le départ il y a une ISIE non fonctionnelle ou biaisée alors tout le processus sera entaché. Du coup on peut se demander si il y a réellement une volonté d’avoir une élection transparente, indépendante et impartiale en Tunisie ? »