Amnesty internationale dénonce l’usage démesuré par le régime de Kais Saied de la législation relative à la détention préventive. Dans un rapport intitulé « Utilisation abusive de la détention préventive pour réduire au silence l’opposition politique », l’organisation internationale estime que les mesures relatives à détention préventive demeurent « floues ». Elles servent de prétextes pour maintenir en prison des personnalités politiques qui s’opposent à Kais Saied, souligne Amnesty.
« Ces détentions mettent en évidence une aggravation de la régression des droits humains et de l’indépendance de la justice en Tunisie », relève l’organisation.
Usage liberticide de la loi
Le code de procédure pénale tunisien prévoit le recours à la détention préventive pour les personnes attendant leur jugement. Cette disposition devrait être « exceptionnelle », d’après la loi.
Cette mesure privative de liberté est prévue pour l’inculpé suspecté d’avoir commis des crimes ou pris en flagrant délit. Elle est prévue en cas de présence de graves présomptions. Dans cette situation « la détention semble nécessaire comme une mesure de sécurité pour éviter de nouvelles infractions, comme une garantie de l’exécution de la peine ou comme un moyen d’assurer la sûreté de l’information », indique ladite loi.
Le code de procédure pénale énonce que la mesure préventive est « obligatoirement motivée » et ne doit pas dépasser six mois. Elle doit également mentionner « les motifs de fait et de droit la justifiant ».
Mais la législation tunisienne est lacunaire. « Le Code ne définit pas ces critères, et ne fixe aucune condition minimum pour les éléments de preuve et la motivation requis afin de justifier la détention préventive. Il énonce des règles concernant la durée, le renouvellement et l’appel, notamment en fixant une durée maximum de 14 mois pour la détention ordonnée par les juges d’instruction, mais ne prévoit pas de réexamen régulier », note le rapport d’Amnesty international. Ainsi, le juge d’instruction peut ne pas fournir une réponse à la demande de mise en liberté provisoire.
Controversée, la mesure de détention préventive est désormais une épée de Damoclès au-dessus de la tête des opposants à Kais Saied, vilipende l’ONG.
Dossiers non instruits
Pour appuyer son propos, Amnesty international a enquêté sur les cas de 22 individus placés en détention provisoire pour des accusations diverses. Elle a mené des entretiens avec leurs avocats et leurs familles. L’ONG a également accédé aux dossiers relatifs aux demandes de mise en liberté provisoire pour plusieurs inculpés.
Parmi eux, des personnalités politiques et des avocats. Accusés de fomenter un « complot contre la sûreté de l’État », d’avoir commis des infractions financières ou liées au terrorisme, ces personnes sont injustement mises en détention provisoire, dénonce Amnesty.
D’après leurs avocats, les motifs justifiant leur incarcération sont « vagues ». La majorité de ces personnes sont mises en détention depuis au moins cinq mois. L’une d’entre elles est détenue depuis deux ans.
Malgré les demandes de mise en liberté provisoire concernant au moins 12 de ces individus détenus, la justice n’a libéré que deux d’entre eux en septembre dernier.
Ces mises en détention provisoire de personnalités politiques interviennent dans un contexte politique marqué par la répression.
Plusieurs membres du mouvement Ennahdha sont incarcérés en vertu de la mesure de détention préventive. Il s’agit de Fathi Beldi, Ali Laarayedh, Noureddine Bhiri, Riadh Bettaieb, Mohamed Mzoughi, Mohamed Saleh Bouallagui, Rached Ghannouchi, Ahmed Mechergui, Youssef Nouri, Mohamed Ben Salem.
D’autres personnalités politiques sont également visées par cette disposition, en l’occurrence Khayam Turki, Abdelhamid Jlassi, Lazhar Akremi, Jaouhar Ben Mbarek, Chaima Issa, Issam Chebbi, Ghazi Chaouachi, Ridha Belhaj, Bechir Akremi et Mehdi Ben Gharbia.
D’après Amnesty international, leur maintien en détention préventive constitue un abus étant donné les motifs insuffisants légitimant leur incarcération. L’organisation relève que dans ces dossiers, les juges invoquent des motifs vagues pour justifier la détention préventive, en l’occurrence la « gravité des actes attribués », des « preuves abondantes » ou encore les « besoins de l’enquête ».
« La détention préventive est facilement imposée, mais il est difficile de la contester », assène le rapport d’Amnesty.
Et il est difficile d’y remédier. Asservis par le pouvoir de Kais Saied, les magistrats ont perdu leur indépendance. Nombreux d’entre eux travaillent dans la peur, craignant les représailles du régime en place. En témoigne la situation des magistrats chargés des affaires des activistes et personnalités politiques. Les avocats de ces derniers décrivent des magistrats atterrés face au chef de l’Etat.
Dans ce cadre, l’organisation internationale a exprimé son inquiétude quant au musèlement du pouvoir judiciaire.
Par ailleurs, elle rappelle que les mesures de détention préventive constituent dans ces cas une violation du droit international. « Le droit international prévoit que les personnes inculpées d’une infraction pénale ne seront pas placées en détention pendant l’enquête ou en attendant le procès, au titre du principe de la présomption d’innocence », note le rapport.
Elle appelle les autorités tunisiennes à évaluer et à justifier réellement les décisions du maintien en détention préventive. Cette évaluation doit être régulière et se faire au cas par cas, et ce, afin de prouver que ce maintien est nécessaire et proportionné.
« Faute d’un tel réexamen périodique, tout maintien en détention est arbitraire », alerte Amnesty. Et de conclure en revendiquant la libération de toutes les personnes mises en détention de façon « illégale et arbitraire » en application de la législation tunisienne relative à la détention préventive.
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