Les Tunisiens dépensent 1 milliard 468 millions de dinars en cours particuliers durant l’année scolaire, a révélé l’étude intitulée « Les coûts de l’éducation pour la société : entre l’illusion de la gratuité et la pression financière sur les familles » du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), publiée le 13 septembre. Quant aux prix des fournitures scolaires, ils ont nettement grimpé ces trois dernières années.
Des prix exorbitants
Entre 2021 et 2023, les prix des fournitures scolaires n’ont pas cessé d’augmenter, atteignant pour certains produits une hausse de 100%. De 2021 à 2023, le prix des cahiers scolaires a monté de 75%. Celui des livres scolaires a connu une hausse de 14% entre 2022 et 2023. Au total, les prix des fournitures scolaires ont enregistré une hausse de 48% entre 2021 et 2023.
La mise sur le marché des cahiers subventionnés par l’Etat est censée aider les parents à se procurer des fournitures scolaires à bas prix. Sauf que ces cahiers font chaque année l’objet de marchandages.
Mehdi est un employé de banque. Père de deux filles, l’une inscrite au primaire et l’autre au collège. Il dit avoir eu « la chance » de tomber sur une librairie vendant des cahiers subventionnés. « Son stock était limité. Puis le vendeur exigeait à demi-mot qu’on achète d’autres produits également ».
Le père de famille a dépensé environ 500 dinars en fournitures scolaires incluant les cartables et les tabliers. D’autres comme Raja, professeure dans un lycée et mère de deux enfants en primaire, se tournent vers le marché de Sidi Boumendil. C’est « une aubaine » pour les familles modestes, estime-t-elle. Les étals y vendant des fournitures scolaires sont pris d’assaut par les Tunisiens à chaque rentrée scolaire.
Rabeb ne se procure pas toutes les fournitures de ce souk. « Certains produits sont à petit prix mais de mauvaise qualité. J’achète essentiellement des cahiers ». Au total, Rabeb a dépensé environ 400 dinars en fournitures scolaires. Cette somme concerne les produits de base en attendant les fournitures réclamées par les instituteurs.
Pour les deux parents, ces frais « ne sont rien » devant les dépenses à venir consacrées au transport, la garderie ou notamment les cours particuliers.
Le fléau des cours particuliers
Pour les Tunisiens, les cours particuliers ne sont plus une option mais un choix inévitable. Réalisée auprès d’un échantillon comptant 954 élèves et étudiants résidant dans le gouvernorat de Monastir, l’étude révèle l’ampleur du phénomène touchant les différents niveaux d’études, y compris le supérieur.
Ainsi, 67% des élèves du primaire, 61% des collégiens, 80% des lycéens et 56% des étudiants inscrits dans les écoles et instituts préparatoires suivent des cours particuliers.
« Supposés soutenir les élèves ayant des difficultés d’apprentissage, les cours particuliers sont plutôt prisés par les élèves brillants », constate Mounir Hassine, auteur de l’étude et membre de la direction du FTDES lors de la conférence de presse dédiée à la présentation de ladite étude, le 13 septembre.
Parmi les élèves du primaire suivant des cours particuliers, 85 % ont de bons, voire d’excellents résultats scolaires contre seulement 2% ayant un niveau faible et 13% ayant un niveau passable. 49% des lycéens interrogés disent recourir aux cours particuliers pour améliorer leurs notes.
Dans l’écrasante majorité des cas, ce sont les instituteurs et professeurs enseignant dans un établissement public qui dispensent ces cours.
Pourtant, à chaque rentrée scolaire, le ministère de l’Education nationale ressasse son intention ferme de l’Etat d’interdire les cours particuliers en dehors des établissements éducatifs. L’actuel ministre de l’Education nationale, Mohamed Ali Boughdiri a exprimé sa détermination à lutter contre ce phénomène.
Ce discours rhétorique de fermeté n’apporte aucun résultat. « Seuls quelques enseignants ont été sanctionnés suite à des plaintes », souligne l’auteur de l’étude.
Et d’expliquer : « Il y a un marché des cours particuliers. Les éducateurs s’en servent pour arrondir leurs fins de mois. Et les parents en demandent pour garantir la réussite de leurs enfants ».
Ce marché donne libre cours à des chantages puisque certains enseignants obligent leurs élèves à suivre des cours particuliers chez eux, sous peine de les priver de bonnes notes en classe. Une certaine concurrence s’est aussi installée entre les enseignants pour avoir plus de chance de dispenser des cours. « Certains professeurs préfèrent ainsi les élèves du baccalauréat, qui suivent systématiquement des cours particuliers. Ces cours s’intensifient à l’approche de l’examen, leur permettant d’engranger davantage de gains », relève Mounir Hassine.
Le phénomène des cours particuliers sape le principe d’égalité entre les citoyens mais aussi entre les régions, estime l’auteur de l’étude. « La disparité dans les taux de réussite au baccalauréat entre les régions côtières et les régions intérieurs l’atteste », regrette-t-il.
Au final, l’éducation est loin d’être gratuite en Tunisie comme le prévoit la Constitution tunisienne et l’assure le président de la République Kais Saied. Et ce sont les parents qui supportent ses lourdes charges. La politique de l’Etat se désengage manifestement du secteur de l’éducation.
« Le budget consacré à l’éducation nationale est essentiellement destiné aux payements des salaires des fonctionnaires et non pas à l’amélioration des conditions d’enseignement dans les établissements publics », renchérit le représentant du FTDES.
La politique d’austérité prônée par l’Etat se manifeste également par le recours à des enseignants vacataires pour combler le manque de ressources humaines, dénonce-t-il. Cette situation a engendré des crises dans l’Education publique. Les grèves des enseignants suppléants réclamant leur titularisation ont perturbé l’enseignement étatique. Les élèves ont été pris en otages en étant privés de cours, d’examens et de notes.
L’inertie de l’Etat à résoudre ces problèmes structurels profitent à l’enseignement privé. « Les parents se détournent de l’enseignement public et se démènent désormais pour inscrire leurs enfants dans le privé », constate l’auteur de l’étude.
Les Tunisiens n’ayant pas les moyens d’inscrire leurs enfants dans le privé sont désemparés. Ils doivent faire face à une bien sombre perspective : celle d’un décrochage scolaire nettement plus important. Environ 69 mille élèves ont quitté les bancs de l’école durant l’année scolaire 2021-2022.
iThere are no comments
Add yours