Le spectre de la précarité plane sur les étudiants gazaouis vivant en Tunisie, depuis l’offensive de l’occupant israélien sur la Bande de Gaza, le 7 octobre.  « Nos familles ne peuvent plus nous envoyer de l’argent. Nous sommes comme des nomades. Notre avenir est incertain », lance Aysser Tah Taleb, un étudiant gazaouis inscrit à la Faculté de Droit et des sciences politiques à Tunis. « Israël a attaqué des banques dans la Bande de Gaza. Les transactions financières sont devenues impossibles. Comment pouvons-nous vivre sans l’aide de nos parents ? », s’interroge Ahmed (pseudonyme) étudiant à la Faculté de médecine de Monastir, accablé.

Des aides insuffisantes

La Tunisie accueille plus de 500 étudiants palestiniens. Certains d’entre eux bénéficient d’une bourse. Coupés de leurs familles depuis le déclenchement de la guerre, les étudiants gazaouis sont livrés à eux-mêmes en Tunisie. Pour leur venir en aide, le ministre de l’Enseignement supérieur, Moncef Boukthir a annoncé, le 24 octobre, que les étudiants palestiniens pourront se loger dans les foyers et cités universitaires au titre de l’année 2023-2024. Le ministère a décidé d’allonger le droit aux bourses universitaires pour les étudiants inscrits en master.

Une prime mensuelle d’un montant de 400 dinars sera également accordée aux 144 étudiants originaires de Gaza, et ce, durant trois mois. Cet ensemble de mesures « bien que louables ne garantissent que nos besoins les plus élémentaires », souligne Aysser.

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Au-delà de la vulnérabilité financière, les étudiants gazaouis sont extrêmement inquiets pour leurs familles restées à Gaza, exposées aux bombardements. « Nous avons beaucoup de mal à nous concentrer sur nos études. Je vais à la Faculté sans rien retenir. Pourtant, je dois bien me rattraper. J’erre, comme un corps sans âme. D’ailleurs, beaucoup d’amis palestiniens n’ont pas la force d’aller en cours. Certains d’entre eux ont perdu des membres de leur famille », se désole Ahmed.

Le ministre de l’Enseignement supérieur, Moncef Boukthir lors d’une réunion, le 24 octobre, annonçant des mesures en faveur des étudiants palestiniens – ministère de l’enseignement supérieur

Aysser comme Ahmed parviennent difficilement à avoir de nouvelles de leurs proches. Cette situation les rend particulièrement nerveux, racontent-ils. Pour soutenir les étudiants palestiniens, le ministère de l’Enseignement supérieur a invité toutes les universités à leur assurer un accompagnement psychologique. Aysser et Ahmed n’en bénéficient pas encore.

Les bonnes intentions versus la réalité

Malgré les bonnes intentions exprimées par les autorités, les étudiants originaires de Gaza ou de la Cisjordanie rencontrent des difficultés quand ils ont affaire avec l’administration tunisienne. Ils disent notamment rencontrer des obstacles dans l’obtention d’une carte de séjour.

Jamil (pseudonyme), vit en Tunisie depuis près de trois ans. Il poursuit ses études à la Faculté de Droit à Tunis. A cause de l’expiration de sa carte de séjour, il n’a pas pu retourner à Gaza: « Sans ce document, je ne peux pas aller et venir entre la Tunisie et Gaza. Du coup, cela fait très longtemps que je n’ai pas vu ma famille », regrette-t-il. C’est que l’administration tunisienne lui met des bâtons dans les roues. « Ils nous font aller et venir pour rien. Du coup, il y a un énorme retard dans l’octroi de la carte de séjour », note pour sa part Aysser.

Pour les Palestiniens qui ne résident pas dans la capitale, obtenir une carte de séjour est un casse-tête encore plus épuisant. « On nous invite à déposer notre demande à Tunis. Pour les étudiants qui se trouvent en dehors de la capitale, c’est des va-et-vient incessants entre leur lieu de résidence et Tunis », raconte Ahmed. Et de déplorer : « Ces déplacements nous coûtent de l’argent. Pourtant, certains personnels à l’administration s’en moquent. Cinq minutes de retard et on te demande de revenir. Idem quand le responsable chargé d’examiner le dossier n’est pas présent. En fait, nous sommes ballotés entre différentes administrations pour des raisons qui nous échappent. Pourtant, on devrait avoir des facilitations ». 

Octobre 2023, Mobilisation des étudiants Tunisiens et Palestiniens à Monastir – UGEP

En Tunisie, la demande d’une carte de séjour doit être faite au commissariat dont dépend le lieu d’habitation du demandeur. Sa délivrance doit avoir lieu dans un délai entre deux et trois mois, et elle est valable au maximum pour un an renouvelable.

Compte tenu des difficultés pour l’obtenir, des délais d’attente, et de sa durée de validité, la carte de séjour n’est souvent pas renouvelée à temps. Et vu le marathon administratif nécessaire pour renouveler le document, certains étudiants palestiniens basculent dans l’illégalité.

Dans ce cas, ils sont obligés de payer des amendes de 300 dinars pour les frais de renouvellement d’une carte de séjour périmée. Ils cumulent également de lourdes pénalités pour leur séjour illégal, en l’occurrence 20 dinars par semaine. « Sans le payement de ces pénalités, on ne peut pas sortir du territoire tunisien et aller à Gaza », affirme Ahmed, en colère.

Ces critiques exprimées par les étudiants palestiniens sont balayées par Imed Zoghlami, directeur général de la Police des frontières et des étrangers. « La Tunisie n’accueille pas une grande communauté palestinienne pour qu’on puisse évoquer des difficultés dans le traitement de leurs dossiers », déclare-t-il à Nawaat. Et d’ajouter : « les Palestiniens, comme tous les étrangers se trouvant sur le sol tunisien, peuvent avoir leurs cartes de séjour s’ils ramènent les papiers nécessaires. Et la délivrance de cette carte aura ainsi  lieu dans les plus brefs délais ».

A noter que l’accueil réservé aux Palestiniens a fait l’objet d’une polémique en 2018 avec la venue en Tunisie du père de l’icône de la résistance palestinienne Ahed Tamimi, Bassem Tamimi. Les réseaux sociaux ont relayé une information selon laquelle les autorités tunisiennes ont refusé la demande de visa déposée par Bassem Tamimi. Une rumeur aussitôt démentie par le ministère des Affaires étrangères, qui a rappelé par ailleurs son soutien à la cause palestinienne.

Cette obligation pour les Palestiniens d’avoir un visa pour entrer en Tunisie a été contestée par un groupe de parlementaires en 2021. Un groupe de députés, à leur tête Jamila Ksiksi, a demandé l’exemption de visa pour les Palestiniens en signe de soutien à ce peuple. Cette demande est restée sans suite.

Pourtant, les ressortissants de nombreux pays n’ont pas besoin de visa d’entrée pour la Tunisie. Mais ce privilège n’est pas accordé aux ressortissants des territoires palestiniens.

« Nous avons du mal à faire venir nos proches à cause des difficultés liées à l’obtention du visa. Ainsi, je n’ai pas vu ma famille depuis longtemps. Et la guerre qui ravage le pays rend cette distance encore plus pénible », déplore Jamil.

Contacté par Nawaat, Haykel Tlili, chargé des relations publiques au ministère des Affaires étrangères, déclare que son administration « veille » avec la représentation diplomatique palestinienne en Tunisie à assurer un bon séjour aux Palestiniens se trouvant sur le territoire tunisien. Et de poursuivre : « quant aux demandes de visa, nous les transférons à la direction générale de la Police des frontières et des étrangers. C’est elle qui traite les dossiers. L’exemption de visa pour les ressortissants palestiniens est une décision politique qui dépasse nos compétences administratives ».

Au final, à Gaza, les étudiants palestiniens étaient dans une prison à ciel ouvert. Ceux qui ont fait le choix de venir en Tunisie, risquent de se retrouver coincés dans le pays. Les discours officiels enflammés, affichant un soutien total et inconditionnel au peuple palestinien sont donc à nuancer. Puisque dans les faits, et en dépit de leur situation, les Palestiniens ne jouissent chez nous d’aucun traitement de faveur.