Les gazelles dorcas et des dunes n’existent plus que dans les parcs nationaux. La première espèce était largement distribuée dans les steppes de la Tunisie centrale et à la marge du Sahara. Cependant, les populations conservées sont fragmentées et leur structure génétique risque d’être affectée si une gestion efficiente n’est pas mise en place (dérive génique liée à de faibles effectifs). La gazelle des dunes habite, quant à elle, les étendues sableuses du Grand Erg. L’étendue de ses habitats naturels et leur difficulté d’accès lui assurent une relative sécurité. Pourtant, elle a été décimée des espaces sahariens accessibles aux humains. Et pour cause : les braconniers recourent désormais à des moyens leur permettant de poursuivre cet animal dans les zones les plus reculées (quads, véhicules tout terrain, motos puissantes).
Le statut de la gazelle de Cuvier (de montagne), connue pour habiter les montagnes de la Tunisie centrale (Chaambi), est difficile à évaluer, surtout qu’aucun suivi de cette population n’a été effectué. Depuis quelques années, elle a été introduite à djebel Serdj, dans le parc du même nom. Toutefois, depuis l’installation d’un groupe terroriste à Chaambi, aucune information n’est disponible sur l’état de la population d’origine. Et le pire est à craindre une fois le spectre du terrorisme écarté. Cette situation pose le problème de la gestion des aires protégées en situation de crise, comme celle qui a prévalu à Chaambi.
Un autre grand Mammifère, le mouflon à manchettes, endémique d’Afrique du Nord, a vu ses populations morcelées, en raison de la pression de chasse qu’il a subie. Habitant les montagnes et les pentes escarpées difficiles d’accès –cequi lui a permis de persister-, ses populations allopatriques (vivant dans des espaces discontinus) ont été aléatoirement mélangées notamment pour repeupler certains parcs nationaux. Pourtant, l’espèce est connue pour être représentée en Tunisie par trois sous-espèces différentes, une notion qui semble avoir échappé aux « conservateurs »… En somme, il est urgent de dresser l’état des populations qui existent encore en dehors des aires protégées, non seulement leurs structures sociales et effectifs, mais également leurs structures génétiques.
Certaines espèces sont persécutées, surtout lorsqu’elles s’approchent des habitations ou du bétail. Nous évoquons ici les Carnivores, notamment le loup doré africain, la hyène rayée ou encore le renard roux. Les petits Carnivores ne sont pas en reste, car accusés de s’attaquer au petit élevage. C’est le cas de la genette, de la mangouste ou du chat sylvestre. Parmi les Carnivores, les espèces qui se sont raréfiées comprennent la hyène rayée, le chat sylvestre ou encore la zorille. Cette dernière est recherchée pour « soigner » des maladies réputées incurables. Les fausses croyances ont la vie dure…
Les Carnivores rares, pour d’autres raisons comprennent le lynx caracal (très peu d’observations dans le pays), le serval (introduit au parc d’El Feidja dans les années 1980, mais rares sont les observations faites en milieu naturel), la loutre d’Europe (raréfiée à cause de la dégradation/destruction de ses habitats, des dérangements et probablement de la raréfaction de ses proies). La loutre est parfois prise dans les filets des pêcheurs dans les retenues des barrages. Sa répartition atteignait la Tunisie centrale, mais elle ne semble pas pouvoir se maintenir dans cette zone. Cette espèce mérite qu’on la recherche dans ses habitats naturels et qu’un programme de conversation lui soit consacré.
Le cerf élaphe est parmi les grands Mammifères dont le statut des populations mérite d’être évalué. Il habite les forêts de chênes du nord-ouest de la Tunisie. Mais suite aux incendies qui ont affecté certains de ses habitats, il a occupé des sites en dehors de cette zone, notamment les Mogods. Dans certaines localités, le cerf est braconné. Mais il est difficile d’évaluer l’impact de ces prélèvements sur le statut des populations vivant en Tunisie.
Certaines des espèces citées plus haut atteignent en Tunisie la limite sud-orientale de leur aire de répartition globale, comme le cerf élaphe ou la loutre d’Europe. D’autres espèces très peu ou pas connues du grand public atteignent en Tunisie leur limite méridionale. Mais leur présence dans le pays demeure précaire.
Concernant le commerce, les espèces les plus affectées sont les hérissons (deux espèces), le fennec, la tortue mauresque (seule tortue terrestre en Tunisie), le caméléon, les serpents et les vipères et parfois même les scorpions, placés dans de la résine pour être vendus aux touristes. Remarquons de suite que les serpents et vipères sont vendus pour « traiter le cancer », or cette croyance est souvent réfutée par les faits, mais elle continue à alimenter un commerce lucratif visant ces reptiles. Le caméléon est commercialisé pour les autochtones pour « éloigner le mauvais œil » ! La tortue mauresque est, quant à elle, vendue aussi bien aux autochtones qu’aux touristes. Les prélèvements du milieu naturel de ces animaux leurs ont porté préjudice, et la tendance à la raréfaction se confirme de jour en jour. Le fennec est, lui aussi, vendu aux touristes ou présenté sur certains sites touristiques aux visiteurs désireux de prendre des photos en sa compagnie. On ne connaît pas avec précision l’impact de la capture du fennec sur les populations naturelles existant encore en Tunisie. Pour ce qui est des hérissons, ils sont vendus pour être consommés, quoique l’habitude de la consommation des hérissons a tendance à disparaître dans le pays…Ceci dit, le commerce des espèces naturelles, quoique interdit par la loi, est parfois tenu au vu et au su de tout le monde, sans susciter la moindre réaction. A Sousse par exemple, la vente des animaux a lieu publiquement sans que la police dite de l’environnement ne réagisse !
Et les grands Mammifères ne sont pas les seuls menacés. D’autres, beaucoup plus petits, le sont aussi. Nous pensons en particulier aux musaraignes et au rat à trompe. Les musaraignes sont représentées par trois espèces dont deux sont connues pour vivre dans un environnement boisé. La troisième n’est que très rarement signalée, mais habite les milieux arides. Le rat à trompe est, quant à lui, une espèce qui vit dans les reliefs des régions sèches. Ces espèces, et bien d’autres, sont rarement signalées ou observées dans leurs milieux naturels. Les modifications profondes que certains habitats subissent peuvent leur porter préjudice (mise en culture, pâturage excessif). Leur statut dans le pays (état de conservation, répartition géographique…) reste cependant à préciser.
Les Amphibiens et Reptiles comprennent de nombreuses endémiques. La seule endémique tunisienne est la vipère de Boehm, décrite de la région de Béni Khedeche. Les endémiques algéro-tunisiennes sont nombreuses parmi ces deux groupes. La dernière à avoir été identifiée est la rainette de Carthage, seule espèce d’Amphibien à avoir des mœurs arboricoles. Or de nombreuses espèces de ce groupe ont une aire de répartition réduite en Tunisie et souffrent de la dégradation de la qualité de leurs habitats.
Dans les faits, la destruction des habitats est la cause majeure de la raréfaction des espèces au niveau global. Mais en Tunisie, certains habitats souffrent plus que d’autres. Nous citons en particulier les zones humides qui, malgré leur importance (atténuation des effets des inondations, habitats spécifiques de nombreuses espèces animales ou végétales…), voient leurs étendues se réduire au fil du temps (comblement, mise en culture, pollution physique et chimique). Les steppes et les forêts ne sont pas en reste, car elles souffrent d’une pression continue, tant pour le pâturage, la transformation en terres agricoles, les incendies…
Le massacre gratuit d’un grand nombre d’espèces est une cause qui engage directement nos concitoyens. En effet, plusieurs espèces sont systématiquement tuées à chaque fois qu’elles sont rencontrées. C’est le cas des reptiles, de nombreux insectes et autres invertébrés, comme de certains Oiseaux et Mammifères… Même si les gens tuent par peur, surtout les espèces venimeuses ou supposées telles, ces comportements ne sont souvent pas justifiés (sites éloignés des habitations par exemple). D’un autre côté, le recours généralisé et immodéré aux pesticides en agriculture est la cause de l’appauvrissement de la biodiversité dans les agroécosystèmes.
En somme, l’état de conservation en Tunisie de nombreuses espèces animales est préoccupant. Plusieurs d’entre elles sont en voie de raréfaction. Si cette tendance est globale, cela n’explique pas tous les phénomènes constatés. Plusieurs causes sont en effet locales (braconnage et chasse excessive, destruction des habitats, incendies répétés…). Le laxisme des autorités chargées de la surveillance de la faune, le manque de formation de qualité des agents, mais aussi une législation obsolète, etc. concourent à l’amplification du phénomène.
La réduction de la conservation des espèces aux aires protégées, et en particulier aux espèces de grande taille, a empêché l’élargissement des efforts sur les espèces endémiques, ou celles jouant des rôles clés dans le fonctionnement des écosystèmes naturels. Les espèces les plus vulnérables étant celles qui ont une aire de répartition globale réduite ou celles dont la Tunisie constitue la limite de leur distribution globale. Une prise de conscience de ces faits associés à des efforts d’observation sur le terrain et des actions de conservation, pourraient ralentir cette tendance et, pourquoi pas, inverser la donne.
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