Accueil d’un patient dans un centre de dialyse privé à Gammarth, Tunis. Crédit : DR

En Tunisie, 1605 malades attendent une transplantation rénale, 1600 une greffe de cornée et une cinquantaine de malades par an sont en attente d’une transplantation hépatique et cardiaque, a fait savoir Tahar Gargah, directeur du Centre national pour la promotion de la transplantation d’organes (CNPTO). Sept opérations de greffe cardiaque, 31 greffes rénales et dix greffes du foie ont été effectuées en 2019 grâce aux donneurs, a-t-il affirmé. « Le fossé entre le nombre de malades en attente d’une transplantation et les donneurs demeure grand malgré les progrès accomplis en la matière », a-t-il déploré.

L’insuffisance rénale : une facette d’un combat douloureux

En Tunisie, 12 milles malades souffrant d’insuffisance rénale subissent trois à quatre fois par semaine une dialyse pour survivre, a affirmé Farid Aidi, de l’Association Tunisienne des Insuffisants Rénaux (ATIR). «Le degré d’insuffisance rénale varie de 1 à 5. A partir du stade 3, les malades auront besoin d’une greffe de rein », a-t-il expliqué.

Subissant une dialyse, Farid Aidi est inscrit depuis 20 ans dans la liste d’attente d’un don de rein. Le représentant associatif déplore d’ailleurs « la qualité des centres de dialyse et l’absence d’un centre étatique couvrant le sud tunisien où les malades sont obligés de se déplacer à Sousse», fustige-t-il. Et de poursuivre : « Ces manquements s’ajoutent aux défaillances des médicaments immunosuppresseurs importés de l’étranger alors qu’ils sont indispensables comme anti-rejet d’une transplantation rénale ».

Pour le directeur du CNPTO, les souffrances générées lors du parcours de dialyse font que le don d’organes est « une question vitale pour les malades. Si la dialyse aide les malades à patienter pour la greffe de rein, pour ceux qui attendent un don de cœur ou d’un foie, c’est une question de vie ou de mort », insiste-t-il.

Promouvoir la culture du don d’organes

12 mille Tunisiens ont mentionné qu’ils sont donneurs dans leurs cartes d’identité nationale en 2019. Ils étaient 10 milles en 2017, se félicite Tahar Gargah.  « Mais la culture de don d’organes n’est pas assez ancrée», alerte-t-il.

Selon lui, il faut une approche «participative » et « globale » pour encourager le don d’organes. « Il s’agit d’une problématique sociétale et pas seulement de santé publique ». Le directeur du CNPTO estime que des lacunes subsistent au niveau des postes de police pour promouvoirl’inscription « donneur » sur la carte d’identité. « Il faut la génération massive des imprimés dans les postes informant sur cette option et que les agents la proposent eux-mêmes et simplifient les procédures la concernant. Pour le moment, ce n’est toujours pas le cas, mais nous œuvrons avec le ministère de l’Intérieur pour améliorer les choses », souligne-t-il.

En absence d’une mention « donneur » et d’une volonté explicite de la personne décédée refusant un tel don, c’est à la famille de donner son accord pour le prélèvement d’un organe sur une personne en état de mort encéphalique (absence permanente et définitive de l’activité cérébrale) conformément à la loi 91-22 du 25 mars 1991. « Contrairement aux préjugés sur les risques de trafics, les prélèvements et les transplantations sont strictement encadrés par loi », affirme Tahar Gargah.

Il balaye les appréhensions concernant une éventuelle manipulation des listes d’attente. « Au-delà de l’aspect moral, scientifiquement parlant ce n’est pas possible. D’abord, il faut une compatibilité sanguine et cellulaire entre le donneur et le receveur. Et c’est exceptionnel. Ensuite, l’opération nécessite l’intervention de plusieurs acteurs. Un tel trafic nécessite qu’ils se mettent tous d’accord, ce qui n’est pas concevable », avance le directeur du CNPTO.

Pour promouvoir la culture du don, dix coordinateurs en prélèvement et transplantation des dons d’organes sont installés dans les hôpitaux de différentes régions. Ils ont bénéficié de formation en communication et psychologie afin de pouvoir convaincre les familles des personnes en état de mort encéphalique de donner leur accord pour le don d’organes. « Le nombre des coordinateurs n’est pas élevé au regard de l’arrêt des recrutements dans la fonction publique mais les résultats sont en nette amélioration. Le taux de refus des familles était de 98% en 2012. Il est de 40% en 2019. Les hôpitaux de Rabta et de Nabeul enregistrent les plus grands taux de réussite », a fait savoir Hechmi Temimi, coordinateur général prélèvement et transplantation des dons d’organes. Travaillant au CNPOT, c’est le seul qui chapeaute les formations des coordinateurs après avoir suivi lui-même une formation de deux ans à Paris.

Selon Hechmi Temimi, les réticences des familles des personnes en état de mort encéphalique ne sont pas dues essentiellement aux convictions religieuses. « C’est le manque de confiance dans le système de santé en général et les interrogations autour de la mort encéphalique qui se posent d’abord. L’élément religieux intervient en troisième lieu généralement », explique-t-il.

Pour convaincre les familles d’accepter le don d’organes, le coordinateur général souligne qu’il faut apporter des réponses à toutes les questions des familles, utiliser un jargon approprié pour endiguer leurs craintes. « Il est important de noter que le prélèvement d’organes ne se fait qu’après la signature d’un procès-verbal de la part de deux médecins hospitaliers constatant, après une batterie d’examens complémentaires, l’état de mort encéphalique. Ces deux médecins ne font pas partie de l’équipe de prélèvement et transplantation », précise Hechmi Temimi. Il met l’accent sur le fait que le don d’organes est régi par les principes de gratuité, d’anonymat et de sécurité, et ce dans le respect du corps de la personne décédée et de la volonté des familles.