Kais Saied n’a jamais caché ses intentions. Depuis la campagne électorale de 2019 à l’issue de laquelle il a été élu président de la République, il a toujours annoncé son projet de reconstruction démocratique. Pour lui, le processus de transition démocratique qu’a connu la Tunisie depuis 2011 a mené le pays vers une “démocratie pourrie” par les lobbies et une classe politique qui n’avait d’yeux que pour ses propres intérêts, laissant de côté “l’intérêt du peuple”.
Si le constat réalisé n’est pas totalement faux, et même si la transition démocratique n’était pas parfaite sur tous les points de vue, le projet proposé par Kais Saied n’est pas une alternative viable pour autant. La “construction par la base” est un projet politique qui en apparence souhaite mettre en place une démocratie plus responsable et proche du terrain, mais qui dans les faits ouvre la voie vers la mise en place d’une dictature.
La nouvelle constitution en vigueur en est une preuve parfaite : cette constitution a supprimé plusieurs des contre-pouvoirs qui avaient été mis en place par la constitution de 2014 et qui étaient considérés comme des acquis démocratiques, elle a aussi concentré les pouvoirs entre les mains du président de la République et vidé le parlement de tout pouvoir de contrôle sur l’exécutif. Ces élections législatives seront donc l’occasion d’élire un parlement sans réel pouvoir…
Loi électorale polémique
Le 16 septembre dernier a été publiée la loi nouvelle loi électorale pour les élections législatives. Alors que depuis 2011, un scrutin à la proportionnelle sur des listes présentées par des partis ou des indépendants avait été mis en place, cette loi transforme le scrutin en un vote sur les personnes en deux tours. Ce changement a pour but entre autres de diminuer l’influence des partis sur les élections.
Les candidats doivent obtenir 400 parrainages afin de se présenter. Ces parrainages doivent être paritaires et avec au moins 25% de jeunes de moins de 35 ans dans la liste des signataires. Néanmoins, si la parité est imposée au niveau des parrainages, elle n’est pas du tout imposée au niveau des candidatures. Résultat : sur les 1058 candidats, il n’y a que 122 femmes, soit 11,5%. Alors que la Tunisie était un modèle de parité parlementaire durant les années précédentes, nous courons aujourd’hui le risque d’avoir un parlement avec une majorité écrasante d’hommes.
L’autre polémique au niveau de la loi électorale est la question des binationaux : mis à part les candidats dans les circonscriptions de l’étranger, les binationaux n’ont pas le droit de se présenter aux élections. Une décision qui cache en elle une forme de nationalisme rétrograde et traduit infine le manque de confiance qui règne entre les dirigeants et leurs citoyens.
Enfin, l’élément le plus important à noter dans cette campagne électorale, c’est bien sûr le boycott des principaux partis politiques de l’opposition. Ennahdha, le PDL, et les partis de gauche (Attayar, Al Joumhouri, Ettakatol, Al Qotb et le Parti des Travailleurs) qui avaient déjà boycotté le référendum, refusent toujours de participer à ce qu’ils considèrent être une mascarade. Résultat : nous assistons à des élections sans opposition. Seuls des partis et personnalités qui ont soutenu le processus engagé depuis le 25 juillet 2021 participent à ces élections.
Tuer la politique pour faire vivre la démocratie
La promesse de Kais Saied était la suivante : faire vivre la démocratie, donner au peuple les moyens de se déterminer lui-même. Le résultat est malheureusement tout autre : à quelques jours de l’échéance, peu de gens se sentent concernés par ces élections. Les affiches électorales sont devenues sujettes aux moqueries sur les réseaux sociaux. Sept circonscriptions à l’étranger n’ont pas de candidat. Le débat d’idées est quasi absent de la campagne. Ces élections sont un non-événement.
Malgré tous ses défauts, la transition démocratique que le pays a connue depuis 2011 a réussi à amener des questions de fond au débat public. Cette démocratie avait permis de trancher des questions importantes sur l’identité, le régime politique, l’égalité femme-homme, le modèle social, etc. Notamment lors des débats de l’assemblée nationale constituante entre 2011 et 2014. Elle a aussi permis de dégager de grandes tendances politiques qui traversaient le peuple tunisien : l’islam politique, la famille destourienne, la gauche sociale-démocrate, etc.
Tous ces éléments constituaient l’essence même de la politique : le débat d’idée, la confrontation, la délibération, le consensus. L’existence de partis politiques permettait de structurer tout cela, et de faire vivre, infine, la politique. Les campagnes électorales étaient animées, avec des débats télévisés, des meetings politiques, un débat qui vivait aussi dans les quartiers, dans les cafés, au sein des familles.
Malheureusement aujourd’hui, mis à part quelques personnalités, une bonne partie des candidats sont des inconnus n’ayant aucune histoire militante. Nous ne savons même pas quels sont les points de clivages entre eux. Il n’y a aucune compétition ni aucun débat sur des sujets de fond, chose tout à fait normale puisque tous les candidats soutiennent le président en place et son projet.
Ces élections auront donc lieu le 17 décembre prochain, mais avant même le résultat du scrutin, nous savons d’ores et déjà que le grand perdant de cette opération est Kais Saied. Lui qui se voyait en sauveur de la démocratie, se retrouve finalement être son bourreau.
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