«On récolte ce que l’on sème», dit le dicton. Encore faut-il disposer des semences nécessaires. Rien de moins évident, dans un contexte fortement marqué par le réchauffement climatique et la guerre en Ukraine. Ainsi, selon un sondage diffusé en septembre par l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE) et l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP), 67% des agriculteurs tunisiens craignent une pénurie de semences en vue de la saison agricole 2022-2023. Des craintes partagées par les agriculteurs de pays comme la France ou le Maroc, qui doivent également faire face aux conséquences de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, des acteurs majeurs du secteur. En Tunisie, des agriculteurs ont ainsi dû différer les semailles, faute de semences et d’engrais. Car ces graines sont essentiellement issues de l’importation. Dans le secteur des céréales, « le taux de couverture en semences certifiées serait au mieux aux environs de 16%», affirme une étude traitant de la sécurité alimentaire, effectuée par l’Institut Tunisien des Etudes Stratégiques (ITES) en mars 2019. Or ces semences, le plus souvent hybrides, sont gourmandes en engrais et en pesticides, pas toujours disponibles sur le marché. La baisse du cours du dinar, les rend en outre d’autant plus coûteux. Autant de facteurs convergents, qui ramènent la question des semences locales au cœur des enjeux.
Ainsi, le ministre de l’Agriculture, des ressources hydrauliques et de la pêche, Mohamed Elyes Hamza, a déclaré le 27 octobre que son département travaille sur des programmes de recherche dans le domaine des semences, à travers la préservation des espèces locales et le développement de nouvelles variétés, à haute productivité et luttant contre la sécheresse. Sauf que dans les faits, les initiatives ne sont pas toujours vraiment encouragées.
En avril dernier, les événements se sont bousculés lorsque le ministère de l’Agriculture a multiplié les pressions sur Hafedh Korbaa, un paysan du gouvernorat de Monastir. Cet agriculteur, conscient des limites des semences hybrides, s’est investi dans la préservation et la distribution de semences paysannes, premier maillon de la chaîne alimentaire. Une initiative qui n’a pas plu aux autorités sous prétexte que les semences doivent être inscrites dans le catalogue officiel. Chaque semence doit, en effet, être homologuée et enregistrée pour pouvoir être diffusée et cultivée. Deux grands domaines régissent l’utilisation et l’échange de semences : les droits de commercialisation et le droit de propriété intellectuelle.
L’appropriation du vivant
Ainsi, pour cultiver, échanger ou encore commercialiser une variété, toute semence doit être inscrite au Catalogue Officiel. « Mais pour qu’elle puisse l’être, la semence doit répondre à la norme dites DHS [D comme distinct, H comme homogène et S comme stable] », explique Fredj Kaouach, coordinateur de projet de semences paysannes au sein de l’Association Tunisienne de Permaculture (ATP). « Or, les semences paysannes ne peuvent pas répondre à ces critères ! Ce n’est qu’un prétexte pour les exclure du circuit commercial ». En parcourant le catalogue officiel on constate effectivement que la grande majorité des semences enregistrées sont hybrides. C’est-à-dire issues du croisement de deux lignées génétiques très distinctes pour donner naissance à une première génération très productive. Mais ces graines issues des hybrides F1 donnent des plantes dégénérescentes qui ne peuvent donc être ressemées, et nécessitent un recours intensif aux intrants chimiques. Avec des conséquences lourdes pour les paysans qui se retrouvent pris en otages par les semenciers industriels.
Par ailleurs, une variété doit faire l’objet d’une « protection » par le biais du Certificat d’Obtention Végétal. Or, pour avoir ce certificat il faut que la semence soit inscrite au catalogue officiel. Le serpent qui se mord la queue, en somme. C’est ainsi que s’est mis en place un système d’appropriation du vivant. En effet, cette armada de lois n’a fait qu’accentuer le monopole des multinationales sur les semences. Dans une intervention télévisée datant d’avril 2022, le ministre de l’Agriculture, des ressources hydrauliques et de la pêche, Mahmoud Elias Hamza, a rappelé la loi n° 99—42 du 10 mai 1999, relative aux semences, plants et obtentions végétales, selon laquelle « ne peuvent être commercialisés que les semences et plants des variétés végétales inscrites au catalogue officiel ». Par conséquent, un paysan qui utilise, reproduit, échange ou encore commercialise une semence qui n’est pas dans le catalogue officiel est dans l’illégalité. « Les droits de propriété intellectuelle appliquée aux semences n’ont fait que marginaliser les petits paysans », dénonce Fredj Kaouach. Les accords de libre-échange, essentiellement celui souscrit en 1995 avec l’Union Européenne, n’ont fait qu’accentuer cette tendance en satisfaisant les demandes de l’industrie semencière et des géants de la biotechnologie. Selon la FAO, « un peu plus de 6000 plantes, soit 22% des plantes comestibles, ont été cultivées pour produire des aliments. Parmi celles-ci, moins de 200 plantes étaient à l’origine de la production alimentaire mondiale en 2019, et neuf d’entre elles seulement représentent plus de 66 % de la production végétale totale ».En Tunisie, les semences locales représentaient environ 65% de l’ensemble des semences dans les années 70, elles ne sont plus que 5% aujourd’hui. A titre d’exemple : nous sommes passés de 50 variétés de blé dans les années 40 à seulement 5 variétés de blé aujourd’hui.
Protéger les systèmes semenciers paysans
Face à une réglementation qui favorise les semences hybrides et les pressions des lobbies semenciers industriels, défendre la liberté d’accès et de reproduction de semences, pour préserver la biodiversité et l’autonomie alimentaire des populations, est devenu une nécessité pour de nombreux agriculteurs. Alors que l’ATP organisait chaque année depuis 2015, la « Fête des semences paysannes » où sont échangées ou vendues des graines hors-catalogue, elle a décidé, cette année, de l’annuler. « Si nous nous en tenons à la loi actuelle, nous sommes dans l’illégalité, or nous ne sommes pas en mesure de protéger les paysans et les participants », explique le coordinateur de projet de semences paysannes au sein de l’association.
C’est ainsi que l’Alliance pour la Souveraineté Alimentaire en Afrique (AFSA), dont fait partie l’ATP, a initié depuis plus d’un an, l’élaboration d’un cadre pour le développement de lois favorables aux systèmes semenciers paysans et à la biodiversité, qui sera remis prochainement au ministère de l’Agriculture. Son objectif ? Assurer la reconnaissance et la protection du droit des paysans de définir des règles pour l’organisation de leurs activités semencières, ainsi que la nécessité pour l’Etat de les soutenir. Ce projet de loi s’appliquera aux activités des paysans en matière de sélection, de production, de conservation, d’utilisation, de garantie de qualité et de mise en circulation des semences au sein de leurs réseaux et sur les marchés locaux. « Nous devons nous mobiliser pourdéfendre notre souveraineté alimentaire sinon viendra un jour où les fruits et légumes issus des semences paysannes seront interdits, comme c’est déjà le cas dans certains pays », s’inquiète Fredj Kaouach.
Ce n’est pas parce qu’elles sont locales ou paysannes que les variétés ne peuvent pas répondre au critère DHS. Il y a quelques confusions. Les variétés locales peuvent tout à fait répondre à ces critères, car ces variétés sont issues d’une longue sélection. Seulement les procédures sont hors de la portée des paysans pour les faire reconnaitre et inscrire au catalogue. Et c’est tout de même un comble d’appeler des variétés F1 ou F2 stable alors que leurs progénitures ne conservent pas les caractères du plant mère ! Et là dessus je rejoins bien le témoignage, il s’agit de monopoliser la filière semencière par les lobbies industriels. Enfin , la schizophrénie du gouvernement est toujours fascinante: à quoi sert la Banque Nationale des Gènes si on ne peut pas valoriser ce patrimoine pour notre souveraineté?