Des dizaines d’étudiants piétinent devant l’Office des œuvres universitaires du nord, au centre de Tunis, en ce mois d’octobre. Leur problème ? Ils n’ont pas de logement, alors que la rentrée universitaire a eu lieu il y a déjà un mois. Les voici donc à attendre leur tour pour se renseigner sur leurs demandes d’hébergement ou à défaut, en déposer une nouvelle. Beaucoup sont éparpillés aux alentours de l’établissement. Impossible pour nous, comme pour les étudiants sur place, de rencontrer Chokri Akrimi, directeur général de l’Office, malgré nos sollicitations répétées. «Avec la rentrée universitaire, il est tellement débordé », lance sa secrétaire.

L’hébergement universitaire est accordé aux nouveaux étudiants, âgés de moins de 26 ans, orientés vers des établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Il est attribué à l’étudiant de sexe masculin pour une période d’une année et pour une période de deux années à l’étudiante. Les étudiants gravement handicapés et ceux parrainés par l’Etat sont prioritaires. Et ce, à condition d’avoir une distance égale ou supérieure à 30 km entre le lieu de résidence et l’établissement universitaire.

Dans la salle d’attente, il y a Ines, étudiante en 2ème année en sciences de gestion à la Faculté des Sciences économiques et de gestion située au campus d’El Manar. Originaire de Menzel Abderrahmane, du gouvernorat de Bizerte, elle patiente pour une affectation dans un foyer public. « En attendant, ils me disent de faire la navette », raconte-t-elle, scandalisée.

Originaire de Monastir, Sabrine est étudiante en 3ème année à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales à l’Ariana. Elle sollicite un droit à l’hébergement à titre exceptionnel.

La jeune fille est boursière. « Je suis prioritaire pour bénéficier du logement », revendique-t-elle. Son père est ouvrier et sa mère ne travaille pas. « Je n’ai pas les moyens de louer une chambre dans un foyer privé », confie-t-elle. Alors pour le moment, elle se débrouille en profitant en catimini de la chambre d’une amie hébergée dans le foyer public, situé à El Menzah 1.

 

Le dilemme de l’hébergement étatique

 

Ces étudiantes ne sont pas les seules à galérer pour trouver un hébergement dans une structure publique. Ce jour-là, l’Union générale des étudiants de la Tunisie (UGET) a organisé un sit-in au sein de l’Office. Les slogans portés rappellent le droit des étudiants à un logement dans un foyer public. La cheffe de file des protestataires est Chaima Attafi, étudiante en master et secrétaire générale de l’UGET à l’Institut national du travail et des études sociales (INTES), à l’Ariana.

Parmi les étudiants contestataires, plusieurs ont été affectés dans des foyers assez éloignés de leurs universités. Les étudiants de l’INTES ont été ainsi logés dans des foyers à El Ouardia ou à Montfleury (une distance de 10 km). Quant aux filles, elles ont été hébergées dans des foyers à Menzah 7 (5 km), déclare Chaima Attafi à Nawaat.

La militante fustige une politique de répartition des étudiants entre les foyers qui ne tient pas compte de l’élément de la distance entre l’établissement universitaire et la structure d’hébergement. « Cette distance engendre des frais de transport quotidiens et des déplacements épuisants alors que l’étudiant devrait se concentrer sur ses études », déplore-t-elle. Et de préciser que ce problème ne concerne pas seulement les étudiants de l’INTES, mais il est généralisé et resurgit à chaque rentrée universitaire.

Par ailleurs, Chaima Attafi critique le manque de coordination entre les directeurs des foyers et les Offices des œuvres universitaires et les établissements universitaires, entravant ainsi l’affectation convenable des étudiants suivant une cartographie claire.

Parfois, on a des chambres pouvant héberger trois étudiantes alors qu’elles sont occupées par une seule. Des fois, c’est l’inverse, des chambres pour deux où logent trois étudiantes, voire quatre !

s’exclame Attafi.

Or, le nombre de places dans chaque chambre est de trois lits au maximum, en vertu de l’arrêté du ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique du 18 janvier 2016, fixant les conditions et les critères d’attribution de l’hébergement universitaire ainsi que les montants de la contribution financière des étudiants.

Ahlem Dakhlaoui El Chater, directrice générale aux affaires estudiantines au ministère de l’Enseignement supérieur, admet qu’il y a des dérogations « exceptionnelles » à cette règle, en raison de la saturation de la capacité d’accueil de certains foyers.

On préfère attribuer un logement à un étudiant, même sans confort optimal, au lieu de le priver de ce droit,

justifie la responsable ministérielle.

La hausse du taux de réussite au baccalauréat se répercute sur le nombre d’étudiants bénéficiaires de l’hébergement dans un foyer public. Toutefois, la saturation concerne notamment l’Office des œuvres universitaires du nord qui regroupe 11 gouvernorats, en l’occurrence, Tunis, Manouba, Ariana, Ben Arous, Zaghouan, Nabeul, Bizerte, Béjà, Jendouba, le Kef, et Siliana. Ils sont 25.149 étudiants hébergés dans les foyers de cette région. Ce nombre est en baisse dans le Sud avec 15.376 étudiants hébergés et 13.243 dans le Centre du pays. « Plusieurs étudiants aspirent à quitter leur région et débarquer à Tunis. Il y a aussi une concentration d’établissements universitaires dans la capitale », explique Dakhlaoui El Chater.

Face à cette situation, la secrétaire générale de l’UGET à l’INTES constate le recours à des pratiques frauduleuses pour accéder au logement. D’après elle, le népotisme sévit ainsi dans certaines structures.

On permet à des étudiants de se loger seuls dans des chambres destinées à deux personnes. On octroie aussi à certains le droit à l’hébergement étatique alors qu’ils ont les moyens de se diriger vers le privé. Cela se fait au détriment d’étudiants qui sont réellement dans le besoin,

dénonce l’étudiante.

L’étudiant paye le même tarif, à savoir 10 dinars par mois, alors que le coût réel de cet hébergement est estimé entre 80 dinars et 120 dinars selon l’établissement, indique la directrice générale aux affaires estudiantines du ministère.

 

Foyers publics délabrés

 

Des chambres exiguës et humides, des matelas usés, des armoires cassées, des salles de révision peu spacieuses. Ainsi décrit la représentante de l’UGET l’état de  certains foyers publics. A cela s’ajoute un problème majeur d’hygiène dû au faible nombre d’ouvriers. « Il faut impérativement procéder à des recrutements », lance-t-elle. Dans certains foyers, les étudiantes sont amenées à faire elles-mêmes le ménage, raconte-t-elle.

Les militants de l’UGET relèvent également la qualité médiocre de la restauration universitaire. Selon les données fournies par le ministère, il y a 80 restaurants universitaires, 42 d’entre eux sont situés au sein même des foyers et 38 se trouvent à proximité des établissements universitaires. Ils dispensent près de 68 mille repas par jour. Afin de garantir la qualité de ce service, la politique du ministère se dirige vers la certification des restaurants selon les standards internationaux. Pour le moment, seuls deux restaurants ont été certifiés. La dépense moyenne par restaurant universitaire varie entre 200 et 500 mille dinars, fait savoir la représentante du ministère.

Dans le sillage de la politique d’austérité de l’Etat minimisant le recrutement dans la fonction publique, la directrice générale aux affaires estudiantines avance que son ministère tend à satisfaire les besoins en termes de ressources humaines en procédant à la formation et au recyclage du personnel, aussi bien les restaurateurs que les chargés du ménage ou encore les gardiens des foyers.

Comme d’autres ministères, nous essayons auprès du ministère des Finances d’avoir notre part d’ouvriers de chantiers et de les former pour combler nos besoins dans ce sens,

ajoute la responsable ministérielle.

Concernant l’infrastructure des établissements, le ministère assure que 80% des restaurants et des foyers sont en cours de réparation. « Si dans certains établissements, un changement d’architecture est possible, ce n’est pas le cas de ceux situés en plein centre-ville. Le réaménagement nécessite également du temps », souligne la représentante du ministère. Et d’indiquer que 10,78 millions de dinars sont consacrés pour la construction de nouveaux foyers et 20,61 millions de dinars pour le réaménagement.

Outre les besoins de première nécessité, les foyers sont censés mettre en place des activités sportives et culturelles ainsi qu’un soutien psychologique. Ces services sont quasi-absents, dénoncent les membres de l’UGET. « Même pour l’organisation d’un évènement, on te fait poireauter et tu finis par laisser tomber », regrette Chaima Attafi. Le membre du bureau exécutif de l’UGET rebondit dans ce sens : « la vie universitaire est cruciale pour la structurationd’une pensée chez les jeunes. Mais il y a une volonté de les détourner des vrais enjeux d’intérêt public ». Dans ce cadre, il dénonce « le noyautage » des universités par des organisations liées à des partis politiques, et ce, à travers des activités purement futiles tournées vers la distraction ou des encouragements financiers.

Tout ceci s’inscrit dans un climat marqué par l’absence d’une stratégie politique ciblant l’étudiant dans les foyers ou les universités. Ces jeunes, notamment ceux qui sont loin de chez eux, ne sont pas encadrés.

On est dans une logique de débrouillardise sur tous les plans. C’est ainsi que les autorités perçoivent les choses. L’intégration des étudiants par exemple se fait à travers un évènement folklorique. Il existe bel et bien des psychologues dans les foyers, mais ils sont peu nombreux,

dénonce Mohamed Awled Mohamed.

La représentante du ministère avance le chiffre de 60 psychologues répartis sur l’ensemble des universités et des établissements relevant des œuvres universitaires. Mais elle assure qu’une plateforme de soutien psychologique a été lancée pour remédier au faible nombre de spécialistes. Quant aux activités sportives et culturelles, 64 terrains de sport seront équipés entre 2023 et 2025. Il y a 256 animateurs culturels dans les foyers. Le ministère œuvre à activer les conventions avec les ministères de la Culture, celui de la Jeunesse et du Sport ainsi que le ministère du Tourisme, après la période de stagnation imposée par les difficultés économiques que connait le pays, mais surtout suite au Covid-19.

Pour assurer la sécurité des étudiants, des caméras de surveillance seront installées à l’extérieur des foyers, selon la représente du ministère. Des mesures qui ne favorisent guère une véritable vie universitaire épanouissante, estiment les membres de l’UGET. Certaines villes auraient pu profiter de la présence massive des étudiants pour les dynamiser sur les plans culturels et économiques. Des clubs auraient pu s’installer dans les foyers et investir ainsi dans les talents des étudiants. Or c’est loin d’être le cas dans de nombreux foyers, martèlent-ils.

Peu de choses sont mises en place pour encourager les étudiants à s’activer ou même à profiter des services existants,

regrette le membre du bureau exécutif de l’UGET.

De son côté, la directrice générale aux affaires estudiantines au ministère de l’Enseignement supérieur insiste sur le fait que son département avance par objectif. Le but étant de créer de véritables cités universitaires dispensant divers services. Autant d’aspirations qui restent tributaires des ressources humaines et financières du ministère. 21% du budget dudit ministère est consacré aux services estudiantins. « Ce taux est resté, à peu près, le même durant les deux dernières années budgétaires », assure sa représentante. Le statu quo prédomine par conséquent au niveau de la mobilisation des moyens financiers.