Quatre ans se sont écoulés depuis l’adoption le 13 septembre 2017, par le Parlement, de la loi sur la réconciliation administrative. Le premier article du texte juridique stipule que  cette « loi organique a pour objectif d’instaurer un environnement propice à même d’encourager notamment la liberté de l’initiative au sein de l’administration, de promouvoir l’économie nationale et de renforcer la confiance dans les institutions de l’Etat, et ce à l’effet de réaliser la réconciliation nationale». Mais qui a profité de cette loi favorisant l’impunité ?

Le 2 juillet 2021, Nawaat a déposé une demande d’accès à l’information auprès du ministère de la Justice, pour s’enquérir du nombre des bénéficiaires de la loi sur la réconciliation administrative. L’objectif étant de tenter d’évaluer l’efficience de cette loi en termes de « libération de l’initiative au sein de l’administration ». Cette législation aurait-elle permis de réaliser les fins pour lesquelles elle a été a priori promulguée ?

A cet égard, le responsable de l’accès à l’information relevant du ministère de la Justice nous a renvoyés sa réponse le 23 août 2021. «Les informations concernant le nombre de bénéficiaires de la loi sur la réconciliation administrative ne sont pas disponibles dans les statistiques du ministère de la Justice », a répondu le responsable. En clair, il parait donc difficile d’identifier les personnes  concernées par cette loi.

Or dans son article 2, ladite loi dispose que « les fonctionnaires publics et assimilés tels que définis aux articles 82 et 96 du code pénal ne sont pas responsables pénalement pour les faits commis, contrevenant aux règlements ou causant un préjudice à l’administration et qui ont procuré à un tiers un avantage injustifié, sans qu’ils en soient eux-mêmes bénéficiaires ».

Quant à l’article 82 du Code pénal, il précise : «Est réputé fonctionnaire public soumis aux dispositions de la présente loi, toute personne dépositaire de l’autorité publique ou exerçant des fonctions auprès de l’un des services de l’Etat ou d’une collectivité locale ou d’un office ou d’un établissement public ou d’une entreprise publique, ou exerçant des fonctions auprès de toute autre personne participant à la gestion d’un service public. Est assimilé au fonctionnaire public toute personne ayant la qualité d’officier public, ou investie d’un mandat électif de service ou désignée par la justice pour accomplir une mission judiciaire ».

Par conséquent, le champ de l’application de la loi parait particulièrement large, puisqu’il englobe les directeurs généraux, les secrétaires d’État, les dirigeants de différents services publics et autres hauts responsables de l’administration, ayant trempé dans des transactions suspectes au profit de personnalités influentes ou proches du régime.

Et certaines de ces affaires ont défrayé la chronique, comme notamment le procès de Cactus Prod, qui appartenait à Sami Fehri et Belhassen Trabelsi, le gendre du président déchu Zine El Abidine Ben Ali. La boîte de production avait utilisé les équipements de la Télévision nationale et exploité le temps d’antenne pour engranger les profits de juteux contrats publicitaires.

Autant d’actes passibles de sanctions en vertu de l’article 96 du Code pénal. Cependant, Abdelwahab Abdallah, conseiller de Ben Ali et cinq anciens directeurs généraux de l’Etablissement de la télévision tunisienne (ETT) ont bénéficié de la loi sur la réconciliation administrative. La chambre criminelle du Tribunal de première instance de Tunis a décidé de les relaxer en mars 2021, en application de cette loi.

A noter qu’en février 2018, plusieurs  responsables de la Société tunisienne d’entreprises de télécommunications (Sotetel), ont également bénéficié d’une amnistie dans le cadre de l’activation de la loi sur la réconciliation administrative. La Sotetel était théoriquement l’employeur de Borhan Bsaies, l’ancien propagandiste du régime de Ben Ali et ex-dirigeant du parti Nida Tounes, qui a touché un total de 198 mille dinars pour son emploi fictif.

Les exemples de faits de corruption avérés graciés en vertu de cette disposition légale abondent. Même si la loi a été rejetée par les partis d’opposition, la majorité des organisations non-gouvernementales et de nombreux jeunes militants. La campagne « Manich Msameh »  a été justement initiée pour combattre ce type d’absolution. Mais le manque de transparence et de statistiques concernant les personnalités ayant bénéficié de la loi sur la réconciliation administrative paraît relever d’une politique délibérée. Pas vraiment de quoi  « promouvoir l’économie nationale et renforcer la confiance dans les institutions de l’Etat ».