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L’extraction à grande échelle du pétrole et du gaz en Algérie; l’extraction du phosphate, l’agro-business à forte consommation d’eau ainsi que le tourisme au Maroc et en Tunisie, sont tous des aspects d’un modèle de développement extractiviste. Ce modèle engendre des conséquences sociales et environnementales désastreuses, touchant les sections les plus marginalisées de la société.

L’extractivisme fait référence aux activités de surexploitation des ressources naturelles destinées en particulier à l’exportation vers les marchés mondiaux. En tant que tel, il ne se limite pas aux minéraux et au pétrole : il s’étend aux activités productives qui surexploitent la terre, l’eau et la biodiversité, comme l’agro-business, la sylviculture intensive, l’élevage industriel des poissons et le tourisme de masse. Selon une nouvelle étude de Transnational Institute « Extractivisme et Resistance en Afrique du Nord », cet extractivisme est largement incompatible avec la justice sociale et joue un rôle fondamental dans la crise écologique en Afrique du Nord. Il crée ce que Naomi Klein appelle des « zones de sacrifice », des zones ravagées de façon disproportionnée par l’extraction et la transformation, habitées par des personnes dont les corps, la santé, la terre et l’eau sont sacrifiés pour maintenir l’accumulation du capital.

Les différents cas de résistance contre le secteur extractiviste en Algérie (Ain Salah et Ouargla), au Maroc (Khouribga, Safi et Imider) et en Tunisie (Kerkennah, Gafsa et Gabes), illustrent des schémas plus larges d’accumulation primitive dans le Sud global, où l’accumulation par dépossession prend la forme brutale de l’extraction et du pillage des ressources naturelles, ainsi que de la dégradation des environnements et des écosystèmes par la privatisation et la marchandisation des terres et des eaux. Cette tendance s’est intensifiée au cours des dernières décennies, à la suite de la restructuration néolibérale de l’économie et de l’infiltration du capital transnational, y compris de type extractif.

Ce modèle prédateur s’enlise dans de graves tensions, ce qui génère protestations et résistances. Les travailleurs pauvres et les chômeurs ruraux d’Afrique du Nord sont les plus touchés par la crise multidimensionnelle. Composés de petits agriculteurs, d’ouvrier(e)s ruraux/rurales quasiment sans terre, de pêcheurs et de chômeurs, les mouvements qui émergent dans toutes ces lutes résistent au pillage de leurs ressources souterraines, à la spoliation de leurs terres, à la destruction envahissante de l’environnement et à la perte de leurs moyens de subsistance. Ces mouvements, qui luttent pour leurs droits et gagne-pains, sont traversés par de multiples tensions et contradictions comme c’est le cas pour les revendications d’emplois dans des industries qui externalisent des coûts environnementaux et sociaux très élevés. Pour saisir la nature de ces mouvements, il faut traiter des questions comme : doit-on considérer ces protestations, soulèvements et mouvements comme principalement environnementaux, ou s’agit-il de protestations fondamentalement anti-systémiques ? S’agit-il d’épisodes circonstanciels de résistance ou s’agit-il plutôt du plus récent développement dans la trajectoire historique de la lutte de classes contre la dernière offensive capitaliste en Afrique du Nord ?

L’extractivisme au Maghreb/Afrique du Nord n’est pas un nouveau phénomène. Comme mode d’accumulation et d’appropriation en Afrique du Nord, il s’est structuré sous le colonialisme au XIXe siècle pour répondre aux demandes des centres métropolitains. Ceci a consolidé l’insertion subordonnée de l’Afrique du Nord dans l’économie capitaliste mondiale, en maintenant les relations de domination impérialiste et les hiérarchies néocoloniales jusqu’à ce jour.

Le Maghreb joue un rôle géostratégique dans le secteur de l’extraction, du fait de la richesse de son sol et de sa proximité avec l’Europe. L’Algérie est ainsi le troisième fournisseur de gaz de l’Europe, tandis que le Maroc et la Tunisie sont des acteurs majeurs dans la production de phosphates utilisés comme engrais agricoles et nourrissant le capitalisme agraire mondial. Ces deux pays exportent en outre des quantités considérables de produits agricoles vers l’Europe. Cette importance stratégique se reflète dans les tentatives du Nord de contrôler ces ressources par des pressions politiques, militaires et économiques. En attestent les accords de «libre-échange», tels que les négociations en cours sur les Accords de libre-échange complets et approfondis (ALECA) avec la Tunisie et le Maroc.

Les États d’Afrique du Nord facilitent l’entrée et le fonctionnement du capital extractif transnational en adoptant des lois favorables aux industries extractives. Le dernier épisode dans ce sens est la tentative précipitée du régime algérien de passer une loi des hydrocarbures qui est plus libérale et plus favorable aux intérêts de grands groupes pétroliers internationaux, dans un contexte de soulèvement populaire. Mais la résistance au capital extractif surgit et elle est dirigée par les communautés les plus directement touchées par ses opérations destructrices, ainsi que par le « nouveau prolétariat » formé par le processus « d’accumulation par dépossession». Il n’y a aucun doute que ces mobilisations dévoilent les contradictions internes de l’extractivisme et du capitalisme, contribuant ainsi à forger la conscience de classe nécessaire pour renverser le capitalisme et construire à sa place une alternative durable.

Alors que depuis plus de trois décennies, les gouvernements successifs du Maghreb ont misé sur un modèle de développement extractiviste néolibéral, l’extractivisme n’est pas la voie à suivre pour le développement, capitaliste ou non. Sans industrialisation de l’intérieur, il n’y aura pas de développement. Le « nouvel extractivisme » défendu par les gouvernements progressistes ou post-néolibéraux en Amérique latine n’est pas non plus la solution. La (re)-primarisation des économies des pays du Maghreb et le renforcement de l’extractivisme sont caractéristiques de l’économie politique du développement dans la région et dans les périphéries en général. Toute exploration du « développement alternatif » doit nécessairement porter sur l’extractivisme en ouvrant de nouveaux horizons de réflexion et en construisant des discours anticolonialistes et anticapitalistes. Au final, la lutte pour des transitions justes vers des modèles de développement postextractivistes sera fondamentalement démocratique et nécessitera une intégration régionale, de manière autonome et non subordonnée à la mondialisation.

Vous pouvez lire toute l’étude ici.