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Le redressement de notre monnaie nationale, ces derniers jours, ne doit pas faire illusion. Nous sommes toujours confrontés à une pénurie relative de devises, vecteur-médiateur de notre croissance et de notre développement. L’histoire économique récente enseigne que notre croissance est tributaire de l’équilibre de nos échanges extérieurs. Lequel équilibre n’est obtenu que lorsqu’un flux suffisant d’investissements étrangers vient combler le déficit de notre balance des paiements courants. Dit en mots plus simples : notre croissance économique est d’autant plus forte que lorsqu’elle réussit à surmonter cette contrainte extérieure: la disponibilité suffisante de devises. Tous les gouvernements qui se sont succédé ne s’y sont pas trompés ! Tous ont cherché à lever cet obstacle : Réaménagement du cadre réglementaire de l’investissement, nouvelles dispositions fiscales, multiplication des colloques, forums, road shows et autres rencontres. Une véritable litanie réitérée sans cesse, depuis le premier jour du plan Jasmin de 2011 à Deauville lors de la rencontre du G8 jusqu’au tout dernier Forum de l’investissement en Tunisie (FIT) le sixième du genre. Quel bilan peut-on tirer !

Résultats mitigés pour la «start-up démocratie»

Des efforts répétés considérables ont été entrepris, pour au final, des résultats en demie teinte pour la « start-up démocratie » (Mehdi Jomaa). Un bilan mitigé, car de toute évidence, la communauté internationale n’a pas abandonné le pays entrainé dans une spirale récessive. Le FMI d’abord dès 2013, suivi par les institutions internationales (BERD, BEI, BM, BAD), auront apporté un soutien direct au budget de l’Etat et réaliseront quelques projets d’infrastructures. De quoi en réalité rester à flot, sans pour autant permettre de sortir du marasme ambiant. L’investissement privé de son côté, que l’on nomme aussi IDE, seul ou en partenariat, n’aura pas suivi en dehors de quelques franchises et quelques extensions de PME. La loi sur les PPP n’aura rien produit, pas plus que les nouvelles dispositions d’incitations à l’investissement. L’investissement privé international continue de bouder la Tunisie ! Pourquoi ?

Toutes sortes d’explications pour ne pas dire de justifications ont été avancées. Un climat des affaires qui ne s’améliore pas assez vite. La persistance de troubles sociaux. L’incurie de l’administration qui multiplie les obstacles. Un système bancaire fragile peu disposé à s’engager sur le long terme. Une Banque Centrale tatillonne quant aux sorties de devises. Il y a un du vrai dans toutes ces déclarations ! Mais en réalité elles tiennent lieu d’alibis dans la mesure où tous les gouvernements qui se sont succédé, ont été proprement incapables de produire une véritable vision d’avenir pour le pays, étayée et sous-tendue par de véritables plans de développement. Celui de 2011-2015 puis celui de 2016-2020 dont la vacuité le dispute à l’invraisemblable (niveau de vie augmenté de 50%) que ne peuvent masquer quelques équations chiffrées prévisionnelles, digne d’un étudiant de 1ère année de sciences économiques.

Vision « passéiste » du développement

Il n’y a aucun parti pris de notre part car l’ensemble des élites s’accorde, peu ou prou, pour dire que les dirigeants politiques n’ont pas été capables de proposer un devenir pour le pays, englués qu’ils sont, dans leur vision « passéiste » du développement. Toujours les mêmes arguments : Une main d’œuvre bon marché et compétitive, une proximité des marchés nord-méditerranée, une fiscalité favorable, des infrastructures adéquates. Autant dire, rien de nouveau !

Pas un seul ministre n’a relayé et décliné ce dernier plan. L’ont-ils seulement lu ? Pas l’ombre d’une proposition de renouvellement du tissu industriel inchangé depuis les années 90. Rien sur la transition énergétique, sur la lutte contre les stress hydrique ! Pas un mot sur la vocation agricole du pays et la nécessaire réforme agraire (terres domaniales sous exploitées). On se surprend à voir que la liste des projets à financer n’a pas été modifiée d’un iota depuis 2010. Il est vrai qu’entre temps les services d’études se sont vidés : Plus personne ou presque pour réaliser les études de faisabilité et d’impact. En revanche des autoroutes, des bretelles, des échangeurs, des ouvrages de franchissement en veux-tu en voilà. Le béton et l’asphalte se portent bien, merci pour eux… à 3 MDT pour 1 km. L’économie de rente et de proximité du pouvoir n’a pas vraiment changé, loin s’en faut !

Rien de surprenant, par conséquent, à constater que les crédits alloués par les institutions financières telles la BM ou la BERD, ne sont engagés au mieux qu’à hauteur de 40 à 50% : défaut ou retard des études, difficultés techniques terrain non identifiées…etc. Des gouvernements qui n’ont eu jusqu’ici pour souci que de prolonger la survie d’un modèle moribond, incapables de proposer la moindre alternative crédible et suffisamment consensuelle. Soyons juste, il y a bien la solution miracle, celles des réformes dites structurelles dont on ne perçoit ni les contours ni l’amplitude pas plus que la pertinence.

Manque total d’imagination

« Fuite en avant et laissez faire » est bien le marqueur majeur et récurrent des politiques économiques qui se sont succédé. Un invariant symptomatique et révélateur tout à la fois d’un manque total d’imagination et d’audace créative et peut être dela peur de faire bouger les lignes. L’endettement a doublé et le rare secteur privé qui ose encore investir se réfugie dans des niches de marché solvables, et à fort rendement financier (franchises, licences, commerce d’importation). C’est tout… sauf du développement !

Pour autant les dirigeants des partis dominants ne cessent de réclamer des moyens financiers. Tous considèrent que les pays développés n’apportent pas véritablement le soutien dont le pays a besoin. Il est fréquent d’entendre que les occidentaux ont abandonné la Tunisie. Que les montants promis lors de ces grands forums ne sont toujours pas au rendez-vous ! « On nous a promis 25 milliards de dollars échelonnés sur 5 ans », se lamente en boucle les gouvernements successifs. Certes mais alors où sont les projets pré-étudiés en attente de ces financements ? Un vide sidéral ! A l’instar de ces milliers d’informaticiens qui ne trouvent pas d’emplois dans le pays, poussés dehors vers l’expatriation, mais vite recrutés par les meilleures entreprises ! Les pages dites de promotion de la « destination Tunisie » sont pléthoriques sur internet, difficiles à dénombrer mais d’une vacuité terrifiante et d’un crétinisme aigüe !  Toujours les mêmes images d’Epinal du « il fait bon vivre en Tunisie, pays du juste milieu » et autres fadaises !

La médiocratie gouvernementale règne sans partage ces dernières années, non pas tant par manque d’intelligence et de savoir mais par manque de vision d’avenir, d’audace et de courage politiques. Pas de vague et gestion du quotidien semble être l’unique leitmotiv ! Ce « laissez-faire les forces du marché » est une impasse. Preuve est faite que le secteur privé est incapable à lui seul de relever les défis de ce 21e siècle, à tout le moins cette phase de transition économique et sociale.

L’Etat doit impérativement se reconstituer des marges de manœuvre et ouvrir la voie à de nouvelles trajectoires de développement authentiquement porteuses (agro-alimentaire, biotechnologies, génériques médicaux, TIC,) et plus largement inclusives. Il n’y a pas d’autre issue que de réinventer un modèle viable qui marche sur ces deux jambes !