De fait, l’État a bien distribué 168 hectares dans la région de Wadi Kherit pour un droit de jouissance attribué à 500 familles des Ababda en 1973. Au début des années 1980, la région qui dépendait de la mer Rouge a été rattachée au gouvernorat d’Assouan. Mais cette vieille tribu ne se limitait pas à 500 familles, et beaucoup d’entre eux sont restés sans domicile. « Le monde nous est devenu étroit », dit Cheikh Karamallah. Certains sont descendus des montagnes pour aller à Assouan et Kôm Ombo et derrière le lac Nasser ; beaucoup sont néanmoins restés dans les montagnes alors que d’autres se sont installés à Wadi Allaqi et Wadi Kherit, même de manière informelle.
Wadi Kherit doit son nom à une plante réputée dans la région. Dans sa proximité et dans l’étendue du désert Arabique, des générations entières ont vécu de la vente de chameaux, de l’élevage des moutons et de la collecte de plantes médicinales. Ils ont aussi aidé les forces armées comme « pisteurs » en raison de leur habileté à déceler les traces des passages de chameaux et des hommes. Leur compétence dans ce domaine a servi à traquer les contrebandiers et les hors-la-loi.
Une ressource vitale au goût de mort
Souleimane, 28 ans, de la même tribu, vit dans un village qui compte un grand nombre d’Ababda du nord-est d’Assouan. Ils ne savent ni lire, ni écrire, l’État ne s’est pas soucié, jusqu’à un temps récent, d’y construire une école, dit-il. Pas plus qu’il n’a veillé à leur donner les moyens d’y vivre, comme c’est le cas des autres habitants du sud. Les Ababda qui n’ont pas choisi l’exode vers les villes ne bénéficient pas de recrutements dans la fonction publique, ils n’ont pas de pensions de retraite ni de terre à cultiver. Souleimane n’a pas eu le choix, il s’est mis à l’orpaillage dans la réserve de Wadi Allaqi, une des vallées du désert Arabique aride, à 180 km au sud d’Assouan, qui s’étend sur une superficie de 23800 km2. La région, située à la frontière, est réputée depuis le temps des pharaons qui l’ont explorée à la recherche du précieux métal jaune pour en faire des parures pour les vivants et les morts.
Dans son travail de chercheur d’or, Souleimane est passé par des moments durs ; des amis à lui ont trouvé la mort dans le désert, enterrés sous les décombres des mines, ou bien ils sont morts de soif dans l’attente d’approvisionnements qui ne sont pas arrivés à temps. Durant les semaines passées dans le désert, ils étaient pourchassés par les gardes-frontières et ils fuyaient les hyènes qui les entouraient. « J’aurais pu être chaque jour à la place de ceux qui sont morts ou de ceux qui ont été arrêtés », dit Souleimane. Malgré tous ces risques, il assure qu’il n’a pas d’autre choix que de continuer à travailler, jusqu’à ce que son tour arrive pour la prison ou… pour la tombe ; à moins de trouver suffisamment d’or pour se retirer de ce travail en assurant aux siens une vie décente.