Les accords évoqués par l’Instance Vérité et Dignité (IVD) en mars 2018 sont les accords d’autonomie interne du 30 Juin 1955 et l’accord d’indépendance du 20 Mars 1956. Ces deux accords qui actent sur le papier l’émancipation de la Tunisie vis-à-vis de la France ne sont pas secrets.
La convention d’autonomie interne de 1955 énonce en son article 33 que:
Le Gouvernement tunisien s’engage à donner, à condition égales, la préférence à des entreprises françaises ou tunisiennes ou créées à cette fin d’un commun accord entre les deux gouvernements pour l’obtention des permis de recherche et d’exploitation et des concessions.
Cet article fait mention des activités extractives, coeur de l’économie coloniale. Rédigé à une époque où le rapport de force est favorable à Paris, il fait la part belle aux entreprises françaises.
En mars 2018, l’IVD a également mis à la disposition du public des contrats d’exploitation pétrolière et minière passés entre des entreprises françaises et le gouvernement tunisien. Ils illustrent les effets des accords de 1955 et 1956 sur la gestion des ressources naturelles tunisiennes. Cette publication et les réactions qu’elle a suscitées (du fait des avantages accordés aux entreprises étrangères) ont donné lieu à une réponse de l’ambassade de France:
Des décennies après l’Indépendance tunisienne, la réalité du partenariat économique entre la France et la Tunisie est évidemment aujourd’hui toute autre et n’obéit plus aux logiques du passé. En réaction à certaines allégations ou interprétations qui pourraient entretenir la confusion, l’Ambassade de France en Tunisie précise ainsi qu’aucune entreprise française ne bénéficie de conditions préférentielles ou de droits particuliers pour exploiter les ressources naturelles en Tunisie dans les domaines de l’eau, des phosphates ou du pétrole.
Toutefois, la consultation du Journal Officiel de la République Tunisienne révèle que les articles et décrets de la période coloniale ont continué à être cités par les ministères tunisiens dans les textes officiels, y compris après la révolution de 2011. Ainsi, en 2017, les décrets se rapportant à l’octroi de concessions de prospection se réfèrent à des textes de l’époque coloniale.
Le cas du sel
Comme le relevait Nawaat dans un article paru au moment de la polémique soulevée par les publications de l’IVD, la Cotusal, la Compagnie générale des salines de Tunisie bénéficiaire des accords de 1949, a vu son droit d’exploitation des mines de sel renouvelé et élargi à de nouvelles mines, sous Bourguiba et sous Ben Ali.
Au moment de son investiture, après la révolution de 2011, le Premier ministre Mehdi Jomâa promettait une révision des contrats facilitant l’accès aux sous-sols tunisiens aux entreprises étrangères. Notamment ceux datant de l’époque coloniale. Mais dès mars 2014, le ministre de l’Industrie, de l’Energie et des mines Kamel Ben Naceur accordait une concession d’exploitation de 30 ans sur de nouvelles salines à la Cotusal. Nawaat précisait dans son article que:
L’octroi de cette concession s’est basé sur la loi Constituante n°2011-6 du 16 décembre 2011 sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics, en dépit de la ratification de la nouvelle Constitution [de 2014], dont l’article 13 dispose:
«Les ressources naturelles sont la propriété du peuple tunisien, la souveraineté de l’Etat sur ces ressources est exercée en son nom. Les contrats d’exploitation relatifs à ses ressources sont soumis à la commission spécialisée au sein de l’assemblée des représentants du peuple. Les conventions ratifiées au sujet de ces ressources sont soumises à l’assemblée pour approbation.»
Sur ce point, l’ambassade française, dans le communiqué suscité, explique:
La société COTUSAL, détenue par des capitaux tunisiens et français et ne produisant du sel que sur marais salants, a indiqué à l’Ambassade avoir demandé à maintes reprises l’abandon de la convention de 1949 conclue avec l’État tunisien. La COTUSAL applique évidemment la loi et s’acquitte des taxes et impôts en vigueur. Toutes les extensions de l’entreprise se sont ainsi faites conformément à la législation en vigueur, au code minier de 2003 et en dehors de la convention de 1949.
En résumé: des avantages importants ont bien été accordés à des entreprises étrangères, et notamment françaises après l’indépendance de la Tunisie. Et même après le renversement du régime en 2011, certains textes de l’époque coloniale ou postérieurs consacrant ces avantages continuent d’être cités dans les textes officiels. La révolution a permis d’ouvrir le débat à ce sujet.
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