Cette annonce est intervenue à peine quelques jours avant les négociations pour le déblocage de la deuxième tranche du prêt accordé par le FMI à la Tunisie, en guise de bonne volonté des autorités tunisiennes. La libération de ces 314,4 millions de dollars était capitale pour les finances de l’Etat. Le gouvernement, en pleine crise budgétaire, devait se conformer aux exigences du FMI en accélérant le processus de privatisation et en réduisant ses dépenses. Néanmoins, Al Karama Holding a-t-elle préparé au mieux ces entreprises afin de pouvoir accélérer le processus de cession ? Le pays traverse une grave crise économique et la plupart d’entre-elles sont dans un état tel que les autorités auront du mal à en tirer le meilleur prix. Au contraire, cette précipitation ne peut que favoriser leur bradage.

Hormis les propriétés immobilières, les yachts, les voitures de luxe et les avoirs financiers qui ont été saisis par la justice, la confiscation a surtout concerné 544 entreprises. Banques, assurances, télécoms, énergies, transport, industrie, etc… le clan mafieux avait jeté son dévolu sur les entreprises les plus prolifiques de l’économie tunisienne. Au lendemain de la chute du régime Ben Ali, la valeur globale de ces biens mal-acquis avait été estimée à 13 milliards de dollars, près du quart du PIB tunisien de 2011. L’Etat est pourtant loin de pouvoir espérer ce montant là pour renflouer ses caisses. Bien que le bilan préliminaire dressé en février 2016 par Slim Chaker, l’ancien ministre des Finances, ne prenne pas en compte le gel des avoirs à l’étranger, celui-ci vient confirmer le maigre butin de la cession des biens mal-acquis.

Ces entreprises usaient de passe-droits (crédits bancaires sans garantie, refus de s’acquitter des impôts et des taxes, etc…) qui leur ont permis d’optimiser leurs performances de manière artificielle. Il a donc fallu régulariser leur situation auprès de différents débiteurs. Leur trésorerie a été lourdement affectée par une dette colossale auprès des banques, du fisc, de la sécurité sociale, etc. D’autant plus qu’une bonne partie de ces sociétés a vu son activité se détériorer par la gestion bureaucratique des autorités, ainsi que par la lourdeur et le manque de coordination des procédures judiciaires. Plusieurs entreprises souffrant de mauvaise gestion et de manque de financement sont aujourd’hui en cessation d’activité. Les administrateurs judiciaires, en sous-effectif et peu qualifiés en matière de gestion d’entreprise, ont été accusés de se comporter en liquidateurs au lieu d’en assurer la pérennité économique et valoriser leur patrimoine.

Non seulement la gestion des biens mal-acquis comporte plusieurs zones d’ombre, mais elle est aujourd’hui entachée par des soupçons de malversation. Les doigts sont pointés vers une collusion entre les administrateurs judiciaires, les membres de commissions de confiscation, les politiques et le milieu des affaires. Evoquant leur valeur avant la confiscation, des experts estiment que certains biens mal-acquis ont été volontairement délaissés. Dans certains cas, c’était en vue de leur rachat à un prix symbolique, un délit d’initié. Des soupçons alimentés par les propos du magistrat Leïla Abid qui a dénoncé des cas de détournement de fonds. Elle a cité la société Bien Vu dont l’audit a révélé des opérations fictives d’un montant de 15,8 millions de dinars. Restée prudente dans ses propos, la juge s’est dite étonnée du comportement des représentants du ministère des finances et du chef du Contentieux de l’Etat.