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Il ne faut pas être grand clerc pour s’apercevoir que nos hommes politiques, dans leur majorité, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, ou encore à cheval entre les deux, nous laissent, par leurs écarts de langage et de comportement, souvent groggy. Il suffit juste de les observer lors de leurs performances télévisuelles et de prêter l’oreille à leur discours pour s’en rendre compte. De par des échanges souvent tendus, ils frisent le ridicule et virent parfois au pugilat. Si bien que parfois on a l’impression que certains d’entre eux se font inviter par des animateurs sans scrupules, dans une course à l’audimat, juste pour amuser la galerie. Embourbés dans des diarrhées verbales et des discours superfétatoires, de surcroît truffés de platitudes et de généralités, ils nous apparaissent entièrement déconnectés de l’amère réalité que vit le citoyen lambda au quotidien. Mais qui s’en soucie vraiment ? S’ils ne contreviennent pas à la civilité par l’usage de l’insulte et du juron, ils déblatèrent les uns contre les autres.

Photo-Mourad-Ben-Cheikh-Ahmed

L’inénarrable Adnane Mansar n’a-t-il pas abaissé le débat politique à un niveau sans précédent en accusant la ministre de la Jeunesse et des Sports d’avoir substitué son vrai prénom Mabrouka par celui de Majdoline ? L’accusation, bien que fantasmagorique, est à la limite du régionalisme bête et méchant. Les pour et les contre Hafedh Caid Essebssi ne sèment-ils pas eux aussi la zizanie en créant toutes les conditions de l’implosion de Nidaa Tounes ? Et tout dernièrement cerise sur le gâteau, le clash entre Khaled Chawket et Walid Jalled qui étaient, lors d’un échange violent et obscène sur un plateau télé, à deux doigts d’en venir aux mains.

Le pauvre quidam, lui,  en a par-dessus les oreilles de ces balivernes. Ce qu’il retient finalement des propos soporifiques et démagogiques de ces apprentis sorciers, c’est bien une morbide et triste image de la politique, laquelle met au grand jour leur ineptie, leur immaturité, leur infantilisme et même leur arrogance. Sans oublier, et c’est peu de le dire, leur goût pour les extrêmes. Ils vacillent entre un catastrophisme exagéré quant à la description de la situation économique du pays et un simplisme béat quant à l’imagination des solutions suggérées. Pour cela, ils versent volontiers dans le populisme le plus abject qu’il soit. Leur seul objectif est de séduire le plus grand nombre possible de citoyens. Sinon les avez-vous un jour entendus développer des propos intelligibles pour le commun des mortels en s’appuyant sur des statistiques et des faits tangibles ? Les avez-vous entendus donner leur propre point de vue, d’une manière un tant soit peu objective, sur l’école de demain, sur les TICs, sur l’écologie, sur la jeunesse, sur les régions déshéritées de la Tunisie profonde et paysanne, sur les énergies renouvelables, sur la recherche scientifique, sur la santé publique ou sur les métiers d’avenir ? Que nenni. Et pour cause, ces politicards de la onzième heure en sont incapables. La politique pour eux se résume bien au crêpage de chignon et à des apparitions répétées sur les plateaux de télé à la limite de l’exhibitionnisme bon marché.

Deux passages télé, l’un de Hamma Hammami et l’autre de Samia Abbou en disent long sur comment on conçoit la politique chez nous. Lors de l’émission de Mériem Belkadhi, le Chef de file du Front populaire brandit devant la caméra une déclaration d’honneur attestant qu’il ne possède ni bien immobilier ni même une simple petite voiture. Et, au cours de l’émission Pour ceux qui osent seulement, animée par Samir El Wafi, Madame la députée était tellement embourbée dans une querelle de clocher avec l’un des invités de l’émission qu’elle est demeurée impassible face à un drame humain raconté par un pauvre hère qui venait de perdre femme et enfants suite à l’effondrement du toit de son gourbi. Hamma Hammami est loin d’être, sans trop rentrer dans les détails, le prolétaire ou le fils du peuple qu’il veut nous faire croire. Quant à Samia Abbou, elle est à mille lieues de l’image de femme qui déborde d’empathie envers les plus démunis qu’elle aime bien véhiculer.

Ainsi va la vie politique en Tunisie. Nos élus, nos ministres, nos gouvernants, nos chefs de files, nos députés sont plus préoccupés par leur propre image et carrière que par les soucis et préoccupations du citoyen lambda et sa dure condition de vie. Ils s’épient les uns les autres et se tirent dessus au moindre faux pas. Du bon peuple, ils n’en ont rien à cirer. Ils ne s’intéressent à lui que pour exploiter sa misère à des fins purement électorales. La résultante de leur guéguerre sans fin est la ramification de leurs propres formations politiques si ce n’est leur implosion. Qu’en est-il d’Ettakatol, d’El Joumhouri, de Hezb Harak Tounes Al Irada, du CPR, et j’en passe ?  La seule formation qui persiste et dure est celle des islamistes d’Ennahdha. Mais celle-là est-elle considérée comme un parti politique ou plutôt une secte avec un gourou à sa tête, à qui il faut vouer une allégeance aveugle comme condition sine qua non pour se faire accepter.

Le petit peuple, lui, désespère de ces faux Che Guevara, Allende, Fidel Castro et Gandhi. Il tourne le dos à leur joute verbale, laquelle ne lui a rien apporté, et à cette démocratie erratique qui n’a jamais été à son service. Il a cette ferme conviction qu’il est tombé de charybde en scylla. D’ailleurs, il est au demeurant encore plus misérable qu’il ne l’était du temps de Ben Ali, encore plus abattu et plus résigné, si bien qu’il désespère des lendemains qui chantent qu’on ne cesse de lui promettre.  Et pour cause, l’intérieur du pays est encore plus déshérité, nos rues sont encore plus insalubres, notre taux de chômage est trois fois plus élevé et le coût de la vie est de plus en plus cher. L’espoir a du mal à renaître en chacun de nous tant la vie politique demeure immorale et marquée par le sceau de l’égoïsme et l’égocentrisme, de l’opportunisme et des petits calculs d’épicier.  Sinon pourquoi change-t-on de partis politiques comme de chemise? Pourquoi se cramponne-t-on à la tête de sa formation politique des années durant ?

N’a-t-on pas paradoxalement accusé Ben Ali d’avoir remporté des élections à 99, 99% et d’être demeuré une éternité – vingt-trois ans – à la tête de l’Etat? Que deviendront le Front populaire sans Hamma Hammami, l’ULP sans Slim Riahi, Ennahdha sans Rached Ghannouchi, Machroou Tounes sans Mohsen Marzouk ? Ici et là, c’est toujours le même culte de personnalité qu’on promeut à tout va. Avant le 14 janvier 2011, on avait à supporter un seul dictateur. Aujourd’hui ils sont malheureusement plusieurs à jouer le même rôle au sein de leur propre camp politique.  Entre temps,  de l’autre côté de la Méditerranée, ils nous observent avec délectation en train de singer leur démocratie. Arrivera-t-on à l’ancrer dans notre société et à l’enraciner dans notre culture, dans nos comportements et nos mentalités? Difficile, quand on est dépourvu de principes ou de culture citoyenne porteuse de valeurs universelles telles le respect mutuel, la tolérance, l’altruisme, la probité et l’intégrité morale et intellectuelle.

Hélas, on aurait aimé voir parmi nous des Christiane Taubira, ex ministre de la justice et garde des sceaux sous le gouvernement français de Valls, qui un jour claqua la porte et quitta son ministère à bicyclette, joignant ainsi l’action à la parole, ou des Nicolas Hulot, chargé de questions environnementales sous le même gouvernement, qui refusa d’être rémunéré en conséquence. Ceux-là même, s’ils se battent c’est pour des idéaux. Ils ont ce courage et cette grandeur d’âme qui nous ont toujours manqué, qui leur ont permis de transcender leurs propres ambitions et leurs propres égos, et de vaincre leurs démons d’indifférence. Demandez à un de nos ministres si d’aventure il est prêt à laisser tomber sa Mercedes pour une simple bicyclette. Je vous laisserai deviner un peu la réponse.