Vendredi 20 janvier 2017, le Tribunal de première instance de Sidi Bouzid décide de reporter au 17 février le procès des dix jeunes de Regueb. L’affaire remonte à janvier 2016 lors des événements survenus après la mort de Ridha Yahyaoui à Kasserine. Les dix jeunes sont accusés d’avoir brûlé une voiture et vandalisé le poste de police de la ville. Cinq accusés sont en détention depuis une année dans la prison de Sidi Bouzid. Les avocats de la défense soupçonnent une manœuvre de vengeance, vu l’absence de toute preuve, selon eux, contre les accusés.

Sans casier judiciaire, mais maintenus en détention

L’inquiétude se mélange à l’amertume sur les visages maigres des pères et des frères venus seuls au procès. Boubaker Abidi, 66 ans, vendeur ambulant de poterie, est le père de Amine. Selon lui, l’affaire est un règlement de compte puisque son fils est connu pour son engagement politique depuis la révolution, et même avant. «Ils n’ont aucune preuve contre mon fils ni les autres. Mais que faire devant le bataillon de policiers obstinés à se venger ? », s’interroge Boubaker, avant que son fils Kais ne poursuive : « Les mêmes policiers qui ont témoigné contre Amine et ses camarades les ont menacé de prison pour les manifestations et sit-in en 2011, en 2014 et 2016. Nous avons même entendu parler d’une liste de 40 jeunes. La police les a dans le collimateur depuis un moment pour nettoyer la ville des agitateurs, comme ils disent  ».
Les 12 mois de détention des cinq jeunes de Regueb n’ont aucune explication logique selon les avocats de la défense. « Le procès a été reporté deux fois à la demande de la défense. Le tribunal persiste à vouloir garder les accusés en détention sans explication valide, surtout qu’ils ont un casier judiciaire vide » explique Charfeddine Kellil, un des avocats de la défense. La plupart des familles des détenus sont démunies et isolées. Kais Abidi essaye, tant bien que mal, de motiver les jeunes de Regueb à soutenir son frère et les autres détenus.

Malheureusement, le système sait très bien comment affaiblir la résistance. Ils ont choisi les dix personnes les plus actives de la ville pour donner l’exemple. En plus, depuis l’année dernière, plusieurs chômeurs ont réussi à être embauchés, du coup ils se font discrets et évitent les problèmes.

Pour Charfeddine Kellil, le seul motif de détention des accusés repose sur « les douze témoignages de policiers qui n’étaient pas tous sur les lieux quand la voiture a été brûlée et le poste de police vandalisé. Il faut préciser que nous avons prouvé la rancune qui existe entre ces policiers et les jeunes de Regueb, surtout Amine et Borhen Abidi, son cousin. Le témoignage des policiers est truffé de contradictions, il était impossible d’identifier les coupables, vu qu’il faisait très noir et que les manifestants sur place étaient plus d’une centaine », affirme l’avocat.

« Je sais que mon fils ne va pas bien ! »

Kais et Naïma Labidi, frère et mère de Amine, détenu depuis un an

Amine Abidi, Borhen Abidi, Mahmoud Akrout, Marouen Ben Mohamed Taieb, Mohamed Ben Mohamed Taieb, Moncef Ayouni, Ghassen Abidi, Houssem Hilali, Montassar Ayouni et Mohamed Riadh Hilali devraient répondre de quatre chefs d’accusations : dégradation préméditée du bien d’autrui, provocation d’incendie dans des locaux non habités, provocation d’incendie dans le bien d’autrui et vol d’un dossard de policier.

A la barre de la petite salle d’audience, l’avocat de la défense, Khaled Aouinia, fustige les lois scélérates.

Les lois que vous invoquez pour condamner ces jeunes sont colonialistes. Pour nous réprimer, les colons liaient les révoltes à la criminalité et au vandalisme. Aujourd’hui, quand la Tunisie a brisé ses chaines grâce aux sacrifices de Regueb, l’appareil répressif de l’État persiste à vouloir punir Regueb.Khaled Aouinia, avocat

Dans leur plaidoirie, Aouinia, Kellil et leurs confrères ont rappelé le contexte politique des mouvements sociaux de janvier 2016 ainsi que les compromis qui ont été trouvés dans des affaires similaires.

À 30 kilomètres du Tribunal, Regueb rappelle le calme qui précède la tempête. À Cité Ezzouhour, où la police a tué cinq jeunes en janvier 2011, les murs sont encore tagués de « ACAB » et de « Regueb ne pardonnera jamais ! ». Avant de nous accueillir dans sa famille, Kais Abidi tient à nous montrer les différentes cachettes utilisées par Amine et ses camarades quand la police venait les chercher durant les dernières semaines de la dictature.
Naïma, mère de Amine, essaye de garder son calme en attendant la libération de son fils. Au quotidien, elle aide son mari à vendre la poterie pour nourrir ses treize enfants. Après la révolte de Regueb et la chute de la dictature, elle pensait que la situation de sa famille allait changer.

« Ce n’était que de vaines promesses ! Au lieu de nous aider, le pouvoir nous enlève nos enfants ! » proteste Naima. Assise au milieu d’un salon mal éclairé, elle tire son foulard pour cacher ses mèches grises. « Ils sont venus le chercher à trois heures du matin comme un criminel. Amine était calme et n’a même pas résisté. Cela ne les a pas empêché de nous insulter et nous terrifier », se souvient-elle. « Quand je lui rends visite en prison, il est souriant. Mais je sais … je sais que mon fils ne va pas bien ! Personne ne peut supporter une telle injustice », affirme Naïma en retenant ses larmes.