Chiboub-jourchi

« Exceptionnel », c’est avec cet adjectif que l’intervieweur a qualifié son invité dès le début de l’émission. « Une personnalité qui suscite polémique », ajoute Jourchi. « Une partie de son expérience est en rapport avec le passé, avec l’ancien régime », renchérit-il avant de souligner qu’« il est en même temps un homme politique, sportif, homme d’affaires et il occupait de nombreuses positions importantes dans l’Histoire de notre pays ». Dans un décor aussi hybride que la coalition au pouvoir, mêlant ethnique, vintage et récupération, Slaheddine Jourchi a été aussi consensuel que les partis gouvernants, aussi pressé à emprunter le raccourci de la réconciliation et aussi désinvolte face à la lutte contre l’impunité.

Confusion et sensationnalisme

« Nous lui parlerons franchement (…). Après, nous jugerons », conclut Jourchi son introduction, confondant ainsi son rôle de journaliste avec celui d’un magistrat. Une position qui le poussera à faire preuve de clémence. Et l’intervieweur ne tardera pas à verser dans le sensationnalisme. « Durant 1 an et 4 mois de détention, une période qui n’est pas facile, est-ce que vous avez pensé à ceux qui ont passé de longues années dans les prisons de Ben Ali ? », lance-t-il à son invité. Environ 15 minutes après le début de l’émission, Jourchi évoque les arrangements comme des alternatives à la justice transitionnelle, au point de susciter l’interrogation de Chiboub. « N’était-ce pas possible d’emprunter un autre chemin ? », questionne-t-il son invité. « Lequel ? », réagit le gendre de Ben Ali. « Béji Caid Essebsi a proposé une justice..euh ou une sorte de réconciliation économique. Il était possible qu’un des responsables intervienne pour résoudre le problème loin des poursuites judiciaires. Est-ce que vous croyez que la justice transitionnelle est un véritable enjeu politique dans le pays ? », poursuit le journaliste et ex-opposant issu de la tendance islamiste, hésitant et trébuchant.

Les ragots plutôt que les faits

Durant 1 heure et 28 minutes, Jourchi n’a évoqué aucune des affaires de corruption dans lesquelles Chiboub est impliqué. Aucun mot sur l’appartement parisien de l’Avenue Kleber d’une valeur de 1,2 million d’euros acheté par l’Emir du Qatar et offert à Slim Chiboub dans le cadre du projet immobilier de Gammarth. Pourtant, la source est assez crédible pour être digne d’intérêt. Il s’agit de « Tunis Connection, enquête sur les réseaux franco-tunisiens sou Ben Ali », ouvrage des journalistes français Lénaïg Bredoux et Mathieu Magnaudeix, paru aux éditions du Seuil en 2012. L’affaire Alstom n’a pas été non plus évoquée par Jourchi. Or, le ministère public suisse a révélé qu’une filiale de ce groupe industriel français a signé, vers la fin des années 1990, des contrats avec la Société tunisienne d’électricité et du gaz (STEG) et que Chiboub y a joué un rôle assimilé à des actes de « corruption ». Aux références claires et crédibles, Jourchi a préféré abuser de la distanciation au point de tomber dans les ragots. « Beaucoup de gens vous considèrent comme une partie de l’ancien régime, du système », « Il y a des gens qui disent que Slim Chiboub a utilisé sa position dans le sport pour renforcer sa position politique » ou encore « des gens de Béjà qui m’ont rappelé les violences et le fait qu’ils aient été contraints à enterrer leurs morts en catimini », des répliques de Jourchi aisément balayées par le gendre du président déchu. Ce dernier n’a eu comme contradicteur que « les gens », anonymes, inodores et incolores.

La récurrence des questions et relances commençant par « pensez-vous que » et « croyez-vous que » avait de quoi rassurer l’interviewé. Chiboub pouvait ainsi prendre le large des « analyses » politiques d’un « témoin historique ». Exit les graves accusations de corruption et l’appartenance à un clan qui a régné sans partage, autant sur le plan politique qu’à l’échelle économique. « S’il s’avère que j’ai réellement commis des dépassements, je m’excuse d’avance », déclare Chiboub. Pourtant, l’ancien manitou du football tunisien a présenté des excuses écrites, le 05 mai, lors de la signature d’un accord d’arbitrage et de réconciliation avec l’Instance Vérité et Dignité (IVD).