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Ils sont une dizaine d’enfants, accompagnés de leurs parents, à s’installer dans une salle de l’espace culturel Mustapha Khraief. C’est sur la 9e Symphonie de Beethoven que le petit groupe attend les derniers retardataires, en ce dimanche après-midi. Les mères échangent entre-elles, et les enfants, filles et garçons, se regardent, incrédules. Khaled El Okbi annonce le début de l’atelier, et en rappelle le déroulé : lecture à voix haute d’un petit livre, petit exercice pour s’assurer que les enfants ont bien compris l’histoire, coloriage et goûter. Les enfants sont en 2e et 3e années, et ont entre 7 et 8 ans. Attentifs, ils écoutent l’histoire de L’abeille et du papillon conté par Khaled El Okbi. Après une deuxième lecture, ils s’attardent sur le coloriage et les questions préalablement distribuées. Enfants et parents se parlent avec des sourires et des regards complices. L’après-midi lecture se veut convivial, loin de la pression de l’école.

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Ainsi, chaque dimanche, l’association Cercle de Nefta pour la Culture et la Créativité propose aux écoliers d’assister, à tour de rôle, aux ateliers de lecture, devenus un rendez-vous hebdomadaire depuis plus d’un an. Seul bémol : les enseignants choisissent, en collaboration avec l’association, 7 élèves de 2e année et 7 élèves de 3e année. Les critères sont le niveau scolaire de l’enfant, notamment en expression écrite et son implication en classe. Quid des élèves en difficultés qui n’ont pas d’appétence particulière pour l’écriture ? « Nous sommes dans une phase pilote, mais c’est évident que dans un deuxième temps ces cercles de lecture seront ouvert à tous, sans critères », indique le président de l’association.

Associer les enfants à la lecture

A Nefta, les enfants ont deux options : traîner dans la rue ou devant la télévision.

Un des principaux enjeux de cette initiative est de dissocier la lecture de l’école. « Les enfants ne lisent jamais, sauf si l’instituteur le demande. La lecture est perçue comme une contrainte », explique Khaled El Okbi. Selon une étude réalisée en 2010, 77 % des Tunisiens ont déjà lu un livre et 31 % ont lu un livre en 2009. Par ailleurs, parmi les lecteurs, seuls 23 % lisent entre 6 et 10 livres par an. Des chiffres qui en disent long sur notre rapport aux livres. Ainsi, l’association a voulu associer les habitants de Nefta à la lecture, dès le plus jeune âge. L’objectif est triple : initier les enfants à la lecture, mettre le livre au cœur de l’environnement familial et proposer des activités ludiques aux enfants lorsqu’ils ne sont pas école.

« A Nefta, les enfants ont deux options : traîner dans la rue ou devant la télévision », regrette le président de l’association qui entend par cette initiative combler le vide culturel qui caractérise de nombreuses villes tunisiennes. Une initiative d’autant plus importante à Nefta, qu’elle est l’oasis natale de nombreux écrivains et poètes tunisiens. Parmi eux, Mustapha Khraief, dont le mausolée abrite aujourd’hui les activités culturelles organisées par la société civile. « La lecture a des bienfaits incroyable, tant au niveau intellectuel que relationnel. C’est important d’initier cette pratique aux enfants, car elle permet de rêver, de s’évader, d’explorer des mondes imaginaires, mais aussi de mieux comprendre son environnement », défend Khaled El Okbi. Et de poursuivre :

Il faut que ce goût de la lecture soit transmis le plus tôt possible chez l’enfant pour que cela devienne une habitude et un besoin.

Chaque année, des études scientifiques viennent confirmer l’idée déjà connue que plus un enfant est jeune quand il commence à lire, plus cela l’aidera à développer sa personnalité et son intelligence. Pourtant, cette pratique reste marginale, non seulement au sein des familles, mais aussi dans les établissements scolaires.

Ainsi, l’association a expérimenté différentes formules : plusieurs livres sont mis à disposition des enfants, qui choisissent et lisent avec leurs parents le livre et dessinent une illustration qui résume l’histoire, avec l’aide d’une artiste-peintre ; les enfants et les parents écoutent une histoire conté par un membre de l’association, répondent à des questions par écrit et font du coloriage ; les enfants et les parents écrivent une histoire sous forme de dialogues et proposent une théâtralisation du texte. Souvent, une petite compétition est organisée, avec un prix à la clé pour le gagnant. Quelque soit la formule choisie, l’objectif est le même : renouer avec la lecture.

Un an après le premier atelier, les membres de l’association se réjouissent déjà des résultats positifs observés. « De nombreux enfants et parents regrettent qu’ils ne puissent pas venir chaque dimanche », constate Khaled El Okbi. Dès les premiers ateliers, l’attention et le calme étaient au rendez-vous : en proposant un cadre agréable et convivial, l’association a su attirer les enfants et créer de l’intérêt. Cependant, ils regrettent que ces activités attirent davantage les mères et les filles, que les pères et les garçons. Ils ont aussi noté que les élèves des écoles éloignées du centre-ville, venaient beaucoup moins que les autres. « Il y a encore des ajustements à faire pour avoir une véritable diversité au sein des ateliers », affirme Khaled El Okbi. D’ailleurs, l’association projette de multiplier cette expérience pilote dans d’autres villes, notamment avec l’aide du commissariat régional de l’éducation de Tozeur qui a soutenu l’initiative depuis le début.

Repenser la relation enfants/parents

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Autre objectif stratégique de cette dynamique de lecture : proposer des activités où les parents sont impliqués. « Nous souhaitons que la lecture intègre le cercle familial et que les parents lisent des histoires à leurs enfants : comment arriver à ce but si nous n’invitons pas les parents à venir ? ». A travers ces ateliers, l’association entend encourager les parents à lire, eux aussi, à intégrer dans le budget familial l’achat de livres, mais aussi à emmener régulièrement leurs enfants dans les bibliothèques publiques. En effet, il existe à Nefta une bibliothèque réservée aux livres pour enfants, et deux autres qui ont un rayon assez riche. « C’est la deuxième fois que je viens avec ma fille, et je reviendrais encore, car il n’y pas d’activités à Nefta et les enfants ne lisent jamais », explique une jeune mère de famille. Même son de cloche chez Saloua, mère de deux jumeaux :

Je suis contente de passer une après-midi avec mes enfants, juste pour eux. Nous n’avons pas de livres à la maison et je n’ai jamais pensé en acheter, mais je viens de comprendre pourquoi c’est important de les encourager à lire.

C’est l’occasion d’échanger entre parents et professionnels de l’éducation sur la place de la lecture, mais aussi sur les dangers que peut représenter la télévision, devenue l’un des seuls loisirs des enfants de Nefta. Car indépendamment du vide culturel, la lecture à l’ère numérique est devenue un véritable défi :

Il ne faut pas que la technologie remplace le livre, il est irremplaçable, et notre pari au sein de l’association est de continuer à cultiver et à nourrir l’amour de la lecture et de la langue arabe.

Des petits pas pour accompagner parents et enfants dans la découverte de la lecture.