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Lors de sa dernière allocution, le président Béji Caïd Essebsi a instrumentalisé tous les médias pour concentrer l’essentiel de son discours sur une question partisane. Impliquer les médias privés relève de leur libre choix mais y mêler les médias publics s’apparente à un abus de pouvoir. «La patrie avant les partis» ? Pas vraiment.

Le président Béji Caid Essebsi s’est surtout focalisé, dans son discours du dimanche 29 novembre, sur la crise de Nida Tounes. Il lui a consacré 12m20 de son allocution d’une durée totale de 17m10, soit plus de 70% de ce temps d’antenne accordé par toutes les chaînes tv, y compris celles du service public. En faisant ce choix, en temps de crise sécuritaire et économique, le chef d’Etat major s’est montré, avant tout, chef du parti qu’il a fondé. Il a exploité les ressources et les avantages accordés à sa fonction pour des fins partisanes.

L’ombre de l’Etat-parti a plané en cette soirée d’automne sur le Palais de Carthage et sur les petits écrans financés par le contribuable. Pendant cette allocution, Caïd Essebsi s’est détaché des valeurs supposées régir l’Etat démocratique qu’il préside en s’adressant aux citoyens les qualifiant de « ses enfants », dès le début de son discours. Après l’usage abusif des chaînes tv publiques pour des fins partisanes, le chef de l’Etat a choisi le paternalisme plutôt que la citoyenneté au moment où il prône « l’unité nationale ».

Incliné vers la droite, inconfortablement installé sur son siège doré, pliant et dépliant ses genoux pour évacuer le stress, Béji Caïd Essebsi a été filmé au départ, d’une manière frontale en plan rapproché poitrine, un procédé visant à établir un rapport de proximité avec les téléspectateurs, comme s’il les mettait en confidence. Le regard évasif du président s’est rapidement détourné de l’axe de vérité et a affaibli sa position initiale en atténuant sa posture de leader. Quand ses yeux regardent vers le bas, c’est carrément la crédibilité de son discours qui accuse un sacré coup.

Ensuite, le réalisateur de cette vidéo a opté pour un plan américain, un choix favorisant la confrontation en prélude à l’action. Une démarche qui vise à rassembler et mobiliser en temps de crise. Malheureusement, elle a été trahie par le propos du Chef de l’Etat en grande partie consacré à son propre parti et non pas à tous les Tunisiens. La cible est ainsi compromise. Le téléspectateur ne se reconnait pas dans cette mise en confidence et cet appel à la mobilisation, sauf s’il appartient à Nida Tounes. Les réactions sur les réseaux sociaux en témoignent. Au lieu de renforcer le plaidoyer présidentiel de l’unité nationale, les nombreux inserts sur les mains jointes du président, exprimant à la fois l’imploration et l’appel à la solidarité, sont détournés par le propos de Caïd Essebsi. Ces codes non-verbaux ne peuvent créer de la sensibilité qu’auprès des concernés, les militants de Nida Tounes, encore une fois.

L’instrumentalisation abusive des médias publics est devenue le pain quotidien de la présidence. A la veille du discours du Chef de l’Etat, la transmission en direct de la cérémonie de clôture des Journées Cinématographiques de Carthage (JCC) a été subitement interrompue. Au moment où le réalisateur marocain Mohamed Mouftakir, lauréat du Tanit d’Or du meilleur long-métrage de fiction, s’apprêtait à s’adresser au public, la Watania 1 a coupé la diffusion en live pour passer une vidéo enregistré samedi matin. Il s’agit d’images de la réception organisée par la présidence en l’honneur des invités des JCC.

Les tentations autoritaires de l’exécutif et sa volonté de refaire des médias publics un simple appareil de propagande des gouvernants sont plus que jamais d’actualité. L’un des derniers épisodes date de mi-novembre : Le chef du gouvernement a limogé Mutapha Letaief, président directeur général de de la Télévision Tunisienne, sans l’avis conforme du régulateur, la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audio-visuelle (HAICA), comme le stipule l’article 19 du décret-loi 116.