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Par Mohammed Samih Beji Okkez, traduit par Henda Chennaoui.

Mardi 25 août 2015, les nouveaux gouverneurs ont prêté serment devant le président de la République Béji Caïd Essebsi. Le chef du gouvernement et le ministère de l’Intérieur ont annoncé trois jours plutôt la nomination de onze nouveaux gouverneurs et le changement d’affectation pour trois autres. Au sein de la coalition au pouvoir, ces nominations ont été accueillies avec tiédeur, voire circonspection, à l’instar du mouvement Ennahdha et Afek Tounes. Sur les réseaux sociaux, une vague de contestation a dénoncé le retour en force des seconds couteaux de l’ancien régime.

Le retour de l’Etat-Parti

Peu connus car peu médiatisés, la majorité des nouveaux gouverneurs est issue des différents secteurs de l’administration publique.

● Fakher Gafsi, gouverneur de Tunis

Né le 16 juillet 1966, sa nomination a provoqué une polémique dans les rangs des anciens de l’Union Général des Étudiants Tunisien et chez les militants des droits des l’homme. Cet avocat auprès de la Cour de cassation a milité au sein de l’UGET, dans les années 80 au moment où le clivage entre la gauche et les islamistes était à son apogée. Ancien membre des Syndicalistes Révolutionnaires (groupuscule d’extrême gauche), défenseur des opposants de Ben Ali, le nouveau gouverneur de Tunis est loin de tout soupçon d’affiliation au RCD. Mais, sa défense de Béji Caid Essebsi dans son procès contre l’ex-président Moncef Marzouki, pour l’annulation de résultats partiels des élections présidentielles de 2014, n’est pas passée inaperçue.

● Ahmed Smaoui, gouverneur de Manouba

Né en 1961 à Gafsa, ingénieur principal en hydraulique, spécialiste du développement agricole avec un master en aménagement hydraulique de l’Université de Montpellier. Il était délégué régional de l’agriculture à Médenine, Nabeul et Bizerte. Son CV mentionne qu’il est expert auprès des Nations Unies en matière de développement régional. Il a occupé, le poste de directeur technique à la Société d’Exploitation du Canal et Adductions des Eaux du Nord, jusqu’à sa récente nomination.Selon le «Jeune Afrique» du 30 août 2015, Ahmed Smaoui est un parent proche de Nabil Karoui. Sa nomination au poste de gouverneur de Manouba serait le fruit des pressions exercées par le parton de Nessma TV sur le chef du gouvernement.

● Omar Ben Mansour, gouverneur de l’Ariana

Né le 27 janvier 1958 à Tunis, Omor Ben Mansour était président de chambre à la Cour de cassation de Tunis (2000-2008) puis, procureur de la République de l’Ariana (2008-2011). Jusqu’à sa récente nomination, il était doyen des juges d’instruction.

● Chedly Bouallégue, gouverneur de Kasserine

Né le 31 juillet 1973, il est titulaire d’une maitrise de l’Institut National du Travail et des Etudes Sociales (INTES).Il a été inspecteur central du travail à l’Ariana, puis délégué d’El Jem et Mahdia. Il a également occupé le poste de maire d’arrondissement à Sidi Bachir (Tunis). Sa nouvelle mission s’annonce difficile, surtout qu’une bonne partie de la société civile à Kasserine s’oppose à sa nomination. Dans une lettre ouverte adressée au président de la République, au président de l’ARP et au ministre de l’Intérieur, un collectif ad hoc a mis en doute la capacité du nouveau responsable à relever les défis économiques et sociaux de la région.

● Radhouane Ayara, gouverneur du Kef

Né le 15 juin 1968 à Béja, originaire de Sousse, il est titulaire d’un master en droit. En 1995, il intègre la Caisse Nationale de Sécurité Sociale où il a occupé plusieurs fonctions aux niveaux central, puis régional, à Ben Arous, Sfax, Sousse et Menzel Bourguiba. Rattaché aux services sociaux de la mission diplomatique à Bonn, il a été propulsé secrétaire général du RCD en Allemagne.

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Radhouane Ayara

● Adel Khabthani, gouverneur de Monastir

Avant sa nomination à Monastir, Khabthani était membre du cabinet du ministre de l’Intérieur Najem Gharsalli chargé des relations avec les partis et la société civile. Avant 2011, il était secrétaire général au gouvernorat de Kasserine et délégué à Mareth du gouvernorat de Gabes. Démis de ses fonctions sous la pression populaire au lendemain de la révolution, il a purgé une peine de quatre mois de prison pour corruption durant sa mission à Mareth. Après sa libération, il rejoint le Mouvement Destourien de Hamed Karoui.

● Mourad Mahjoubi, gouverneur de Sidi Bouzid

Né le 7 juin 1964 à Tunis, il est titulaire d’une maîtrise en Sociologie de la Faculté des sciences humaines et sociales de Tunis (1990). Le nouveau gouverneur de Sidi Bouzid a également obtenu, en 1993, un diplôme d’études approfondies (DEA) en Sociologie.Mahjoubi avait entamé sa carrière professionnelle en 1994 en tant que président de la sous-direction des Affaires administratives et financières au gouvernorat de Ben Arous, avant de se voir confier la présidence du Conseil régional du gouvernorat de Manouba (2002-2011).
En décembre 2011, il avait occupé le poste de Secrétaire général du gouvernorat de Tunis avant d’être limogé par le gouvernement d’Ali Larayedh. Entre 2010 et 2011, il était trésorier adjoint de l’Organisation de Défense du Consommateur.

● Samir Rouihem, gouverneur de Nabeul

Né le 13 avril 1968 à Tunis, Rouihem est ingénieur principal en sécurité informatique. Il avait occupé le poste de premier délégué aux gouvernorats de Jendouba, Tozeur et Sfax en 2013.

● Slim Tissaoui, gouverneur de Siliana

Il était secrétaire général de l’Union régionale du Travailleurs Tunisiens à Jendouba. Durant sa carrière d’enseignant, Tissaoui a travaillé sur la jeunesse et l’enfance au sein de l’UGTT.

● Ahmed Lamine Ansari, gouverneur de Gabès

Né en 1969 à Monastir, Ansari était directeur régional de la CNSS à Monastir avant sa récente nomination.

● Lotfi Sassi, gouverneur de Tozeur

Né en 1961 à Jemmal (Monastir), Sassi a obtenu une maîtrise en planification économique, un master en finances publiques et un diplôme de droit fiscal. Il était responsable régional de la recette des Finances pendant 15 ans. Entre 2012 et 2014, il a été nommé premier délégué au gouvernorat de Gabes.

Les trois gouverneurs réaffectés sont :

● Tahar Matmati, gouverneur de Medenine

Né le 10 octobre 1953 à Bizerte, Matmati est colonel – major. Il a gravi les échelons administratifs pour devenir chef de cabinet au ministère de la Défense, au lendemain de la révolution. Mehdi Jomaa l’a nommé gouverneur du Kef, en 2014.

● Atef Boughatass, gouverneur de Béja

Né le 29 janvier 1974 à Bizerte, Boughatass est diplômé en commerce électronique et de l’ENA en France. Contrôleur des finances, il est nommé en avril 2012 premier délégué au gouvernorat de Sousse, puis de Sfax. En 2014, il a été nommé gouverneur de Kasserine.

● Habib Chaouat, gouverneur de Sfax

Né le 13 avril 1961 à Medenine, il est professeur de l’enseignement secondaire, puis directeur de lycée. Chaouat était délégué, depuis novembre 2011, puis premier délégué dans le gouvernorat de Monastir. En 2014, il a été nommé gouverneur à Medenine avant sa permutation à Sfax.
Des dirigeants de Nidaa Tounes ont exprimé des réserves sur à sa nomination, l’accusant d’être l’un des principaux responsables de la recrudescence du commerce parallèle et plus particulièrement du trafic d’armes dans la région frontalière de Medenine.

Le redéploiement du système

Même si les preuves tangibles de l’appartenance au RCD sont difficiles à apporter, le parcours politique des nouveaux gouverneurs reflète leur ancrage dans l’ancien système. En effet, la plupart d’entre eux ont occupé des postes clés de l’administration qui exigeaient une adhésion sans faille, à l’image de toutes les dictatures.

Le système de la corruption avait conduit à l’insurrection du 17 décembre 2010. Si les mouvements protestataires contre la bureaucratie et le népotisme au sein de l’administration n’ont pas faibli depuis, c’est parce que les mêmes causes donnent les mêmes effets : les nouveaux gouverneurs continuent à incarner jusqu’à aujourd’hui l’ancien système.

Les gouverneurs et les calculs de la coalition au pouvoir

Représentant du pouvoir central à l’échelle d’une région, le gouverneur est l’acteur incontournable de la scène politique, de l’activité économique et de la situation sécuritaire. Le dernier remaniement à la tête des administrations régionales est un nouvel épisode dans la guerre de position entre les acteurs de la coalition au pouvoir, en attendant la mise en application des principes de la décentralisation énoncés dans la nouvelle constitution.

Dans son article 134 la constitution de 2014 accorde aux collectivités locales trois types de compétences : « Les collectivités locales disposent de compétences propres, de compétences partagées avec l’Autorité centrale et de compétences déléguées par cette dernière ». Alors que l’article 138 stipule que « Les collectivités locales sont soumises au contrôle a posteriori, en ce qui concerne la légalité de leurs actes ».

Dans la perspective des élections municipales prévues pour 2016, la nomination des gouverneurs est un enjeu de taille pour les partis, dont certains visent le renforcement de leur emprise sur les rouages de l’Etat, quand d’autre essayent de reconquérir ce qu’ils ont perdu aux élections législatives et présidentielle de 2014.