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Ce qui s’est passé le 20 mars, le jour de la célébration du 58e anniversaire de l’indépendance, sur l’avenue Habib Bourguiba, mérite que l’on s’y arrête et que l’on y réfléchisse avec toute la gravité et toute la solennité nécessaires, car nous avons là une petite idée de ce à quoi ont échappé les Tunisiennes et les Tunisiens et un avant-goût de ce qui les attend si par malheur les islamistes s’emparent du pouvoir, de tout le pouvoir.

La célébration de cet événement fondateur de l’Etat tunisien, s’est transformée, par la volonté des Islamistes, en une occasion de communication politicienne : défense du bilan de la Troïka, campagne électorale prématurée et solidarité avec les Frères musulmans égyptiens.

En effet, ces événements auraient pu être pris à la légère, s’ils n’étaient porteurs de multiples significations symboliques et s’ils ne révélaient les projets à long terme de l’Islam politique : ainsi des actes qui semblaient isolés et étaient soit reniés soit attribués à d’autres ; des déclarations qui étaient par la suite soit démenties soit présentées comme des dérapages ou des lapsus, prennent tout leur sens et deviennent cohérents.

L’Etat-nation et la souveraineté

Lors de ce happening antipatriotique, les drapeaux tunisiens étaient rares, noyés parmi la pléthore d’emblèmes d’Ennahdha, les portraits de Morsi et le signe de reconnaissance des islamistes égyptiens, «Rabâa». Les Tunisiens et leur drapeau ont été, ce 20 mars, symboliquement occupés et expulsés de leur lieu le plus emblématique : l’Avenue Habib Bourguiba.

Nous assistons à la négation de l’Etat national et à une filiation explicitement établie avec la Confrérie des Frères musulmans. On comprend après coup la déclaration solennelle faite par Hammadi Jebali au théâtre de plein air de Sousse, le dimanche 13 novembre 2011 « qu’il s’agit là d’un moment divin, dans un nouvel Etat, dans un 6ème Califat, inchallah ». On comprend aussi la substitution par les Salafistes, le 7 Mars 2012 en haut de la faculté des lettres de la Manouba, au drapeau tunisien du drapeau noir, symbole du califat islamique. Cette entreprise de destruction de l’Etat s’accompagne d’une réécriture de son histoire et d’un holdup sur sa mémoire.

L’Histoire et la mémoire

Le rapport islamiste à l’histoire peut être qualifié sans encombre de négationniste. En effet, les partisans de l’Islam politique nient le rôle éminent qu’a joué Habib Bourguiba dans le mouvement national et dans l’accès du pays à l’indépendance. D’où leur volonté d’effacer son souvenir en rebaptisant l’Avenue Bourguiba « Avenue de La Liberté » (Ameur Laarayedh), et de le diaboliser à titre posthume, en remettant en cause son héritage et en le traitant de « juif, de traitre, d’agent travaillant pour le compte de la France, et qu’il détestait l’Islam et l’arabisation » comme l’avait fait Moncef Ben Salem, l’ancien ministre de l’Enseignement Supérieur dans une vidéo en date du 26 janvier 2011.

Par ailleurs, ils font un holdup sur la mémoire et tentent de réhabiliter les putschistes de décembre 1962 et de transformer Chraibi et consort en martyrs. Ils tentent aussi de récupérer Ben Youssef et de s’approprier le Youssefisme, alors que l’un et l’autre, malgré le différend avec Bourguiba, étaient foncièrement destouriens.
Bref, l’arrogance et la soif de vengeance les poussent à faire croire que l’histoire de la Tunisie a commencé le 23 octobre 2011, le jour de leur victoire électorale par ailleurs toute relative et pas du tout transparente.

L’épuration ethnique

De tous les peuples qui se sont succédé en Tunisie, de toutes les civilisations qui s’y sont épanouies, de tous les apports, les islamistes ne veulent retenir que les éléments arabe et musulman au mépris des Berbères, des Juifs, des Africains… appauvrissant ainsi la Tunisianité, cette identité plurielle.

Le Patrimoine et la langue

La recherche d’un monolithisme identitaire et religieux ne se satisfait pas du meurtre symbolique de l’autre, de la répudiation de l’histoire et de la discrimination mémorielle. Parfois, il y a passage à l’acte et recours à la violence. L’adversaire est alors éliminé, et la trace de la différence détruite. Que l’on pense aux différents mausolées soufis saccagés ou incendiés !

Les islamistes, il va de soi, ne font pas usage des langues étrangères même quand ils les maitrisent comme Ghannouchi, qui malgré ses longs séjours en France et à Londres, ne parle qu’arabe. Et pas n’importe quel arabe. Ni le classique ni le Tunisien, mais un arabe oriental très proche de l’Egyptien, langue de la maison-mère de la Confrérie. Et de sacrifier ainsi la succulence du parler tunisien. Phobie de la différence quand tu nous tiens !

On l’aura compris, les Nahdhaouis sont fidèles aux fondateurs, à Mawdudu, à El-Benna, à Qutb, à Safavi, … qui tous ont préconisé la restauration du Califat dans lequel doivent se retrouver tous les musulmans sans aucune différenciation et sous la bannière d’un Islam standard et monolithique. Il s’agit donc de gommer toute différence, toute spécificité et de vivre entre soi, sous le règne du même, de l’indifférencié et de la mort.
Que la petite Tunisie en soit préservée et qu’elle continue à cultiver son exception !