Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

20130806_221926

Si on analyse le mouvement «الرحيل» (Dégage) au Bardo, on peut y distinguer trois grands types d’acteurs :

• L’alliance contre-nature de Nidaa et de la Jabha (et leurs supporteurs de la société civile, des syndicats, etc.) :

– en analysant le comportement de Nidaa, il est clair qu’on est en face de décideurs/leaders qui n’acceptent pas que le pouvoir soit définitivement perdu (alors qu’ils le détenaient depuis des décennies) ; leur position n’a rien à voir avec la nature du parti (Ennahdha ou autre) qui gouverne : qu’il y ait une démocratie ou une dictature dans le pays, l’important est qu’ils aient une certaine maîtrise (assez globale) du pouvoir. Donc, oubliez les arguments avancés : « mode de vie menacé », « économie menacée », etc. Tout est une question de pouvoir, ni plus, ni moins ;

– en analysant le comportement de la Jabha, à ce niveau, on est en face de décideurs/leaders qui n’accepteront jamais (raisons idéologiques et historiques) que des religieux soient au pouvoir, et ce quel que soit leur rendement au pouvoir, les compromis qu’ils feraient, une pratique assez laïque du pouvoir, etc. Donc, oubliez les arguments avancés : « mode de vie menacé », « économie menacée », etc. Tout est une question de ne pas voir au pouvoir leurs vieux ennemis jurés, ni plus, ni moins.

Ceci dit, il est clair que si un parti religieux est au pouvoir, le « mode de vie » sera, dans le meilleur des cas, plus pluriel et donc différent de celui façonné par la précédente dictature. Il est clair que voir au pouvoir des révolutionnaires (pas forcément religieux), vouloir redistribuer (entre les régions, entre les classes sociales, etc.) les richesses de manière bien plus équitable, aura forcément un impact sur le mode de vie (point de vue économique) de chacun. Mais la principale motivation de ces deux mouvement, Nidaa et Jabha, se situe principalement au niveau du pouvoir et de la haine (vis-à-vis d’un ennemi intérieur !).

• Quelques partis, comme l’Alliance démocratique de M. El Hamdi, dont le principal objectif est d’amener à bon port cette phase transitoire que traverse le pays, phase qui vise l’instauration, dans la durée, d’une démocratie. Plus précisément, leur participation au sit-in du Bardo semble motivée par deux objectifs :
– disposer d’une constitution assez laïque (à la turque) qui assurerait les libertés à tout un chacun (le sit-in permet donc de mettre la pression nécessaire pour arracher d’ultimes compromis) ;
– s’assurer que les résultats des futures élections soient crédibles (ceci passe éventuellement par un gouvernement composé de personnalités indépendantes, dans le sens : qui fassent une certaine unanimité).

• De  « simples citoyens », assez nombreux, qui appuient notamment l’alliance Nidaa-Jabha pour la simple raison qu’ils ne voient pas d’alternative ; leur motivation est principalement guidée par la peur : peur de voir disparaître leur mode de vie, peur de voir leur pays plonger dans une orientation qui est très étrangère à leurs habitudes, etc. Donc, là, on est bien en face de gens concernés par le « mode de vie menacée », l’« économie menacée ».

Les événements présents (et ceux passés aussi) ont démontré à quel point Nidaa/Jabha sont antidémocratiques : leurs leaders n’accepteront jamais les résultats des urnes (à moins que ce soient eux les gagnants (voir précédentes décennies !) ).

Maintenant, parmi les « simples citoyens » que j’ai cités, il y en a beaucoup qui ne sont pas forcément à l’aise avec l’appui qu’ils offrent à un des deux partis (ou aux deux) que sont Nidaa et Jabha, puisque leur appui implique de facto un retour au précédent système, à savoir une démocratie à la Zaba ou à la Sissi (au choix). Ces citoyens, tant qu’ils ne verront pas poindre une alternative crédible à Ennadha, appuieront, par défaut, cette nouvelle alliance contre-nature Nidaa-Jabha. Une situation bien bizarre ! Si on prend pour acquis qu’au sein d’Ennadha, il y a des radicaux qui ont une vision bien moins démocratique que d’autres centristes, on a l’impression que ne figurent dans le pays que des partis à orientation dictatoriale (on parle alors de choix entre peste et choléra), ce qui est complètement faux ! D’après moi, la grande majorité du peuple tunisien aspire à vivre dans un pays démocratique (qui implique de facto le respect des résultats des urnes).

Comme beaucoup de mes concitoyens, j’appelle donc à la formation d’une grande « Alliance démocratique », qui viendrait concrétiser une troisième voie, une alliance qui regrouperait tous les partis (Alliance démocratique de Hamdi, Tak, CPR, etc.) qui sont en dehors de l’alliance Nidaa-Jabha, et en dehors du parti Ennahdha. Si cette alliance se concrétise, j’anticipe un fort transfert de supporteurs, jusque là non convaincus par leur position, de Nidaa-Jabha (voire de Joumhouri, etc.) vers cette nouvelle alliance d’aspiration réellement démocratique (ils pourront alors offrir une alternative qui soit compatible avec une destinée démocratique pour leur cher pays). Car autrement, ceux qui croient en la bipolarisation seront éventuellement très déçus aux prochaines élections ; il n’est en effet pas du tout certain, notamment en considérant les élections du 23 et toute la campagne médiatique de peur/avertissements qui les avait (déjà !) précédées, que la population, dans sa globalité (les 11 millions moins les dizaines de milliers qui sont sortis récemment à la Kasbah ou au Bardo), voudra voter pour un retour en arrière !

En résumé :

• la bipolarisation pourrait, in fine, renforcer substantiellement (puisqu’il n’y aura que deux choix) le parti Ennahdha (ce qui pourrait d’ailleurs expliquer le comportement jusqu’au-boutiste de Nidaa et de la Jabha) ; il faudra alors oublier l’éventualité d’une troïka-bis au sein de laquelle certaines forces tenteraient d’équilibrer les choses ;

• l’existence d’une troisième voie, surtout si elle arrive à capter un grand nombre de partis existants, pourrait voir aboutir une troïka-bis (ou un duo !) qui aura alors la particularité d’être bien plus équilibrée (l’équilibre inexistant de l’actuelle troïka étant une de ses faiblesses) et, qui sait, qui pourrait éventuellement gagner les prochaines élections.