Manifestation devant la foreuse le 11 juillet 2013. Crédit image : Sana Sbouai www.nawaat.org

À Ouled Nsir, dans le gouvernorat de Kairouan, une foreuse perce le sol depuis près de deux mois en continu à la recherche de pétrole. Les habitants, victimes des nuisances de cette exploration, ont à nouveau manifesté aujourd’hui, comme ils l’ont déjà fait le 11 juillet.

Le soleil qui tape fort à Kairouan n’a pas dissuadé les agriculteurs et habitants de la région de Ouled Nsir de manifester. Au contraire. L’été et l’attente ajoutent à l’énervement. Dans cette région, où il n’y a pas d’eau courante depuis plus d’un an, subir les conséquences d’une exploration pour un puits de pétrole ne passe pas du tout.

Aujourd’hui, 22 juillet, les agriculteurs sont venus manifester au sein des locaux du gouvernorat pour dire leur mécontentement face aux conséquences de l’exploration. Il y a dix jours, déjà, ils étaient réunis devant la grande foreuse. Une machine qui fonctionne jour et nuit et creuse à plus de 2 000 mètres à la recherche de pétrole. « Elle fait tellement de bruit que l’on ne peut pas dormir », se désole un des manifestants.

Pas d’eau courante depuis plus d’un an

Ici les habitants sont des habitués de l’injustice. Au milieu des manifestants, le 11 juillet dernier, il y avait S. et Nizar, deux jeunes déjà présents lors d’une manifestation il y a environ un an. En plein ramadan, les habitants de la région avaient coupé la route en signe de protestation face à l’absence d’eau courante. Les forces de l’ordre étaient intervenues. Il y avait eu des affrontements. Des jeunes avaient été embarqués et jugés. Parce qu’ils voulaient de l’eau. S. est recherché pour la peine à laquelle il a été condamné. Nizar a fait sa peine. Ou presque : « On a été condamnés, et puis Chokri Belaid, Allah yarhmou, s’est occupé de notre cas, et notre peine a été réduite. »

L’eau est coupée parce qu’elle est détournée par des agriculteurs, et pour les habitants c’est aux autorités de régler le problème. Un an après les protestations les robinets ne laissent toujours rien couler et les habitants paient un dinar le baril d’eau de 20 litres. « Mais le problème c’est qu’elle est salée et qu’on ne peut même pas la boire », s’indigne Mabrouka, une vieille dame qui habite le coin. Pas d’eau, pas de travail non plus. La plupart des jeunes sont au chômage.

Moi, avant, je travaillais et puis je me suis mis à l’agriculture. Mais là les oliviers sont en train de mourir.explique Yacine

Les conséquences de l’exploration pour du pétrole

Messaoud Romdhani discute avec les habitants, lors de la manifestation du 11 juillet. Crédit image : Sana Sbouai www.nawaat.org

Si les arbres meurent, pour les habitants, c’est du fait du forage en cours de réalisation depuis le début du mois de juin. C’est la compagnie canadienne Dualex, spécialisée dans l’exploitation et la recherche de pétrole et de gaz, qui travaille dans le bassin méditerranéen, qui s’en occupe. Dans quelques jours l’exploration est censée donner un résultat, d’après le site internet de la société : soit il y a du pétrole et l’exploitation commence, soit les résultats ne sont pas satisfaisants et l’exploration cesse.

Peu importe finalement, car les dégâts sont là. Après un mois et demi de forage incessant les vibrations ont causé des fissures dans les maisons. Le rapport du FTDES mentionne 625 habitations endommagées et parle d’indemnisations « insignifiantes qui ne couvrent en aucun cas les coûts occasionnés – sans compter que 45% du montant d’indemnisation fait l’objet de soustractions arbitraires ». Les habitants auraient reçus entre 400 et 600 dinars par foyer.

Et puis il y a les plantations malades, les animaux affectés… D’après le rapport de la section de Kairouan du FTDES, qui s’occupe de l’affaire, suite à la demande des habitants, « les eaux usées chargées en produits chimiques industriels sont rejetées sur les terrains agricoles sans aucun traitement ».

Les enfants eux aussi seraient touchés. Des femmes présentes dans la manifestation racontent être malades depuis que le forage a commencé. Plusieurs fois par jour une odeur désagréable s’échappe du forage. Mais le lien est difficile à faire et la compagnie nie toute responsabilité :

Le médecin de la compagnie ainsi que le DG nient tous liens. Ils expliquent que le travail est fait dans le respect des normes et qu’il n’y a pas de pollution. rapporte Messaoud Romdhani, du FTDES et vice-président de la LTDH.

« Les habitants de Ouled Nsir, dans la délégation de Bou Hajla, ont appelé le FTDES pour parler d’une catastrophe écologique et du fait que le gouverneur ne les a pas écoutés » témoigne Messaoud Romdhani.

Mécontents face à l’injustice, les habitants ne se sentent pas écoutés par le gouverneur

Deux agriculteurs de Ouled Nsir assis sous un arbre malade, devant le site d’exploration. Crédit image : Sana Sbouai www.nawaat.org

Aujourd’hui, lundi 22 juillet, les habitants de Ouled Nsir se sont retrouvés « nombreux malgré la chaleur » au siège du gouvernorat à Kairouan, rapporte Messaoud Romdhani, parce qu’ils veulent être entendus.

« Les citoyens demandent au gouverneur d’agir pour les intérêts des habitants du gouvernorat, pas pour ses intérêts personnels. »

Le représentant de l’État n’est pas dans les bonnes grâces de la population car, selon eux, il prendrait parti pour la société Dualex.

La façon dont une réunion a tourné court la semaine dernière n’arrange rien. En plein pourparlers, le gouverneur se serait emporté contre M. Romdhani, et un de ces collaborateurs aurait tenté de faire preuve de violence à son encontre. Un comportement qui a choqué les habitants de la région de Bou Hajla, qui voient dans ce geste une nouvelle forme d’injustice.

Il y a un an, quand les habitants ont protesté pour demander le retour de l’eau courante, ils pensaient que le gouverneur, représentant de l’État, ferait quelque chose. Rien ne semble avoir été fait. Alors depuis les habitants de Ouled Nsir rient en se remémorant la fois où, pour ramadan, le gouverneur est venu se joindre à eux pour la prière et a dû faire ses ablutions avec une bouteille d’eau minérale. C’est que, comme tous les habitants du coin, il a trouvé un robinet à sec.

Nous avons tenté de joindre le Directeur Général de Dualex à Tunis, qui ne semble jamais disponible pour discuter. Contacté par téléphone, le gouverneur a préféré raccrocher. Les habitants ne comptent pas s’arrêter là et ont déjà prévu une autre manifestation.