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La libération des trois femens européennes, hier dans la nuit, est une nouvelle qui a réjoui beaucoup de monde. En réalité, c’est une triste nouvelle : cette libération est la preuve que la justice tunisienne ne s’est pas défaite de ses habitudes et sert toujours d’outil politique. Amina, elle, ne s’est pas dénudée en pleine rue mais est toujours en prison. Les procédures n’en finissent pas alors que, selon son avocate, son dossier est vide. Pendant leur procès en appel les trois Femen ont exprimé le regret d’avoir choqué les Tunisiens. Aucun regret par contre pour le fait d’avoir servi d’alibi à un pays qui se soucie plus de son image que du sort de ses citoyens. Aucun regret non plus pour le fait d’avoir été l’objet d’une décision politique.

A peine arrivées en France et déjà devant les caméras. Les trois Femen liberées hier soir en Tunisie se sont envolées ce matin pour Paris où elles viennent de donner une conférence de presse durant laquelle elles ont témoigné de leurs conditions de détention et de leur volonté de poursuivre leur combat. Malmenées, violentées, humiliées, elles racontent avoir subi le sort réservé à tous les détenus en Tunisie. Sauf qu’elles oublient que leur procès a été accéléré et que Amina elle, n’a pas pu bénéficier de la même rapidité dans le traitement de son affaire.

Les Femen libérées hier soir

Le 29 mai, soit 10 jours après l’incarcération d’Amina, trois jeunes filles se dirigent d’un pas décidé vers le tribunal de Tunis. Il s’agit de trois Femen européennes qui viennent protester, en se dénudant, contre l’arrestation d’Amina. Elles sont immédiatement interpellées.

Elles seront jugées le 12 juin en première instance sur la base des articles 226 et 226 bis du code pénal tunisien. Accusées « d’atteinte à la pudeur » elles écopent alors de 4 mois et un jour de prison ferme.

Le procès en appel ne traîne pas : le 26 juin, les trois Femen repassent devant le tribunal. Elles expriment des regrets. Leur peine est commuée en sursis. Le soir même elles sont libérées. Une rapidité qui sonne comme une insulte pour tous les justiciables tunisiens qui croupissent en prison en attendant leur jugement.

Ce matin elles arrivaient en France et organisaient à 16h une conférence de presse durant laquelle elles racontaient leurs conditions de détention et leur volonté à continuer leur combat. Elles disaient aussi ne rien regretter. Finalement, elles n’auraient exprimé des regrets que pour en finir avec leur détention.

Au final les trois Femen n’auront passé qu’un mois dans les prisons tunisiennes.

Amina, toujours en prison

Amina n’a pas la même chance. Arrêtée le 19 mai dernier après avoir tagué le mot « Femen » sur un mur à Kairouan, Amina “Tyler” Sboui est toujours en détention au jour d’aujourd’hui.

Le 30 mai elle était jugée sur la base du décret du 18 juin 1894 relatif à la « détention d’outils et d’instruments incendiaires sans autorisation » et a écopé de 300 dinars d’amende pour port prohibé d’un aérosol lacrymogène.

Le 4 juillet prochain aura lieu le procès en appel pour possession de gaz lacrymogène, soit plus d’un mois et demi après le procès en première instance.

En attendant, Amina est toujours détenue pour d’autres charges de « profanation d’un cimetière, atteinte à la pudeur et association de malfaiteurs. L’instruction à ce propos est toujours en cours.

Elle a été entendue le 5 juin dernier à propos de ces poursuites engagées contre elle, des délits passibles de six mois à douze ans de prison.

« L’instruction est toujours en cours, a expliqué Me Radhia Nassraoui, et le juge peut garder Amina en détention, même après le procès en appel pour la détention de gaz lacrymogène. »

Le procès des trois Femen a été très rapide, au point que le délai pour que des associations fassent appel n’aurait pas été respecté.

Un dossier vide

Radhia Nassraoui, l’avocate d’Amina, témoignait dans une interview accordée au magazine Le Point, de la vacuité du dossier, un dossier qui serait monté de toute pièce pour accabler Amina. Deux faux témoignages auraient été déposés rapportant qu’Amina avait voulu se dévêtir. Les deux « témoins » se seraient rétractés depuis.

De plus, le chef d’accusation ” d’atteinte à la pudeur ” retenu contre Amina ne tient pas puisqu’elle ne s’est jamais dénudée en publique. Elle s’est contentée de poster des photos sur internet.

Enfin Radhia Nassraoui explique que le chef d’inculpation “d’association de malfaiteur” était utilisé à l’époque de l’ancien régime contre les ” terroristes et les salafistes”. Amina, elle, a agi seule.

Des décisions politiques 

Ces décisions de justice donnent à voir une justice tunisienne qui semble encline à coopérer avec les politiques et incapable d’agir de manière indépendante.

En effet, quelques jours à peine après l’arrestation des trois Femen, Laurent Fabius, ministre français des Affaires Etrangères déclarait espérer ” la clémence ” en ce qui concernait le jugement des trois activistes.

Une demande entendue semble-t-il : en visite à Bruxelles il y a deux jours à peine Ali Larrayedh se prononçait devant le Parlement européen pour la libération des trois Femen européennes. Il déclarait d’ailleurs dans le journal Le Soir :

« Si la justice tunisienne ne les relaxe pas, nous devrions les libérer. Le Président de la République dispose du droit de grâce dans ses compétences.»

Il s’est par contre bien gardé de conseiller au Président de la République d’utiliser son droit de grâce pour libérer Amina.

L’ambassade de France à Tunis a travaillé à la libération des trois activistes. Lors de la conférence de presse organisée cette après-midi à Paris, les trois Femen ont expliqué avoir formulé des regrets lors de leur procès en appel afin de pouvoir sortir rapidement de prison et avoir de ce fait «  jouer toutes les cartes possibles comme nous a conseillées l’ambassade de France. »

Par ailleurs la visite programmée de François Hollande en Tunisie au mois de juillet a sans doute dû jouer un rôle dans les négociations.

Finalement, la peur de voir la nouvelle image de pays démocratique écorchée à l’étranger, l’a emporté. Une bonne nouvelle pour les trois Femen européennes qui ont effectivement bénéficié de la clémence de la justice.

Mais sur le fond, rien ne change, cette action ne semble en effet n’avoir eu pour effet que d’attiser les tensions dans le pays, créer une nouvelle situation d’injustice et rendre encore plus difficile le cas d’Amina. Sa détention, tout comme son arrestation et celle des trois Femen, a, elle aussi, tout d’une décision politique, sans doute prise dans le but de satisfaire une partie de la société, conservatrice, première cible électorale du parti au pouvoir.