Le 28 mars 2013 nous avons publié deux documents confidentiels : une lettre d’intention adressée à Christine Lagarde la directrice générale du FMI relative au prêt de précaution d’une valeur de 2,7 milliards de dinars, et le calendrier 2013 pour la mise en place du programme d’ajustement structurel.

Nous rappelons ici que le FMI propose un plan d’austérité qui inclut un programme d’ajustement structurel aux conséquences sociales néfastes visant à diminuer les subventions sur l’énergie, pour toucher ensuite les produits de premières nécessités tel que le pain. Le FMI aurait aussi proposé d’auditer la STEG et trois banques publiques afin de les privatiser ensuite. Bien d’autres conditions suivront par la suite car quand un pays signe un accord avec le FMI, il ne peut plus prétendre être le maître de sa politique économique. Nestor Kirchner, l’ancien président de l’Argentine l’a bien exprimé en 2005 quand il s’est félicité de l’anticipation du paiement de sa dette intégrale envers le FMI : « L’Argentine commence à construire son indépendance ».

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Le document que nous publions ici est un procès-verbal de la réunion des membres du gouvernement daté du 31 janvier 2013 et portant sur l’accord du FMI. Dans ce PV nous remarquons tout d’abord l’exclusion de l’Assemblé Nationale Constituante du processus de prise de décision. Le conseil n’a réunit que 17 membres; aucun représentant de l’ANC n’a été présent.

En second lieu, nous remarquons que plusieurs membres du gouvernement s’opposent aux conditions imposées par le FMI :

• Abdelwaheb Matar, Ministre de l’Emploi et de la Formation Professionnelle a rejeté toute augmentation des prix dans cette période difficile et a appelé ses confrères à un débat national concernant l’accord avec le FMI.

• Boubaker Kateb, conseiller auprès de la Présidence soutient que les réformes fiscales doivent faire l’objet d’une étude plus approfondie afin d’éviter les « initiatives individuelles ». Mr Kateb fait ainsi allusion au Code des Incitations aux Investissements, rédigé par l’International Finance Corporation (IFC), une filiale de la Banque Mondiale, sans concertation aucune avec la société civile ni avec l’ANC et pourtant présenté en avant première devant l’Assemblé Nationale Française. Un incident qui déshonore et indigne les Tunisiens qui n’ont toujours pas accès au contenu de ce Code.

• Mme Lamia Zouari, Directrice au sein du Ministère du Développement Régional, a souligné que le projet n’a pas été discuté avec son ministère et que plusieurs statistiques présentées sont erronées. Elle rajoute aussi que le calendrier des réformes proposées ne concerne que l’année 2013 alors qu’il y a un besoin de plus de visibilité sur l’année 2014. Mme Zouari faisait probablement référence aux prévisions économiques de 2014 ainsi qu’aux autres conditions qui seront dictées par le FMI pour l’année prochaine.

• Khalil Zaouia, le Ministre des Affaires Sociales, a insisté sur le fait que la mise en place du programme de protection des couches sociales vulnérables nécessite au préalable deux années pour l’achévement du décomptage des familles nécessiteuses. Chose que nous avons soulignée ultérieurement dans notre dernière publication.

Le PV révèle aussi la position de Mr Fakhfakh, Ministre des Finances, qui semble s’inquièter plus de l’attraction des investissements et de la satisfaction des prêteurs. Mr Fakhfakh omet l’impact des réformes sur le niveau de vie du citoyen tunisien. Quant au développement régional, la croissance économique et l’emploi, négligés par Mr Fakhfakh, ils seront irréalisables avec le plan d’austérité prévu. Pour finir, la confiance des investisseurs et des prêteurs ne reviendra pas avec le prêt de précaution du FMI, comme veut bien le croire Mr Fakhfakh, mais plutôt grace à la restauration de la sécurité dans le pays.

Enfin, le conseil a prévu une autre réunion. Celle-ci a finalement eu lieu le 22 Février 2013 alors que le Chef du gouvernement, Hamadi Jebali, a présenté sa démission le 19 Février 2013 (Jort N°23 du 19 Mars 2013) et que le gouvernement de Ali Laarayedh n’a été formé officiellement que le 19 Mars 2013 (Jort N°23 du 19 Mars 2013). Dans ce cadre, nous sommes en droit de se demander à qui incombe la responsabilité politique de telles décisions prises lors de la réunion du 22 Février 2013 dans un contexte de vide politique et institutionnel. L’ANC doit sanctionner ce genre de prise de décision en catimini.

De plus, le gouvernement de Mr Ali Laarayedh doit consulter l’ANC au sujet du prêt du FMI et ne peut seul prendre des décisions aussi lourdes en conséquences qui engagent le pays à très long terme. Rappelons à cette occasion qu’il s’agit d’un gouvernement de gestion des affaires courantes et que même au niveau de la légitimité, les membres de l’ANC sont les représentants du peuple alors que 10 parmi les 17 personnalités qui ont pris la décision concernant ce prêt, à savoir la majorité, n’ont pas été élus par le peuple et ne peuvent donc pas traduire sa volonté. Seule l’ANC est sensée prendre cette décision et c’est d’ailleurs ainsi que ça se passe dans tous les pays démocratiques.

D’un autre côté le FMI menace le gouvernement de revoir sa notation souveraine à la baisse en cas d’adoption du projet d’audit de la dette. Et c’est pour cette raison d’ailleurs que le gouvernement a essayé de retirer le projet d’audit à l’ANC. Or, selon la députée, Mme Mabrouka Mbarek, le projet est toujours d’actualités car seuls les 23 membres de l’ANC qui l’ont proposé peuvent le retirer. Paradoxalement, le chef de la mission du FMI pour la Tunisie, Mr Amine Mati, a commis l’imprudence de nous confier lors de notre entrevue en date du Mercredi 27 février 2013 que l’agence standard and Poor’s l’a consulté avant de baisser la dernière note souveraine de la Tunisie. La dégradation de la note souveraine par S&P avait un impact important sur les négociations entre la Tunisie et le FMI. La Tunisie a vu ainsi ses capacités à emprunter sur le marché international réduites suite à la dégradation de sa note. Chose qui met plus de pression sur la gouvernement afin d’accepter l’offre du FMI et renforce le pouvoir de négociation du Fond Monétaire International.

Quelles alternatives ?

• Engager, dans l’immédiat et avant tout engagement avec le FMI, un dialogue national sur ce prêt ainsi que sur le contenu du Code des Incitations aux Investissements et les soumettre à l’approbation de l’ANC. D’autant que le prêt ne concerne que le budget de 2014 et il n’y a aucune raison de précipiter la signature de cet accord et faire passer ces réformes dangereuses en douce. Le gouvernement démontrera d’ailleurs en acceptant le dialogue national qu’il est ouvert comme il le prétend et que nous somme bien dans une démocratie qui intègre la société civile dans le processus de prise de décision.

• Reconsidérer le projet d’audit de la dette. Dans ce contexte, l’exemple de l’Équateur est à suivre. Il a réussit, grâce à un audit de la dette, à la faire chuter de 24 % à 11 % du PIB sans faire payer le peuple. Par ce biais, les fonds qui pèsent lourdement sur le budget et qui sont dépensés au service de la dette odieuse pourront ainsi être libérés pour le développement régional.

• Mise en place de mesures sérieuses pour limiter l’évasion fiscale et renforcer la bonne gouvernance et la transparence, surtout dans le secteur de l’énergie. Un secteur qui est en train de connaître un boom grace aux nouvelles réserves importantes de pétrole et de phosphate qui sont en train d’être proposées à l’exploitation.

• Bien exploiter les revenus des biens liquidés du clan Ben Ali pour financer le budget de 2014. Au lieu de faire des placements avec ces revenus et choisir l’option “facile” de l’emprunt. Alors que le coût de la dette est très élevé et l’impact social des réformes est très hostile, il serait plus judicieux de les utiliser pour redresser la balance budgétaire

• Sécuriser le pays et renforcer les mesures contre toute forme de violence, qui, malheureusement, a bien l’air d’être politiquement tolérée. C’est le seul moyen de donner confiance aux investisseurs et aux prêteurs et redresser la note souveraine.

• Prospecter d’autres institutions comme le BRICS et des pays prêteurs connus pour leurs réserves en devise comme la Chine et certains pays de l’Amérique Latine. Il faut trouver d’autres prêteurs qui n’imposent pas des conditions aussi paralysantes pour la croissance économique et le développement.

Le gouvernement se trouve aujourd’hui face à un choix difficile : accepter le prêt du FMI avec ses conditions hostiles qui appauvrissent le peuple tunisien, en espérant reconquérir la confiance des prêteurs, ou bien privilégier la “justice sociale” et “l’emploi”, les deux principales revendications de la révolution tunisienne qui ne peuvent être réalisées simultanément avec un plan d’austérité.

L’Argentine a fait ce choix et a même opté pour un défaut de paiement pour sauver le peuple argentin. D’autres pays ont choisi de creuser encore plus leurs déficits budgétaires afin de libérer plus de capitaux pour le développement régional et la création d’emploi. Quelque soit sa décision, le gouvernement doit avant tout revenir à la question centrale : Est-ce bien le projet de société auquel les Tunisiens aspirent et qui répond aux objectifs de la révolution ?