Une barque installée au FSM pour dénoncer le sort des migrants – Crédit image : Sana Sbouai – www.nawaat.org

Le 20 mars dernier la campagne Frontexit (Frontex, du nom de l’agence européenne et Exit : sortir en anglais) était lancée à Bruxelles. A l’initiative de Migreurop une campagne de sensibilisation et de plaidoyer quant aux activités de l’agence Frontex est mise en place. Il s’agit d’informer le public, la société civile et les politiques des moyens militaires de Frontex, de l’externalisation du contrôle des frontières qu’elle met en place, de l’opacité de son action et des atteintes aux libertés qu’elle entraîne.

En 2011 deux mille personnes sont mortes ou disparues dans le canal de Sicile en essayant de traverser la Méditerranée. Ces citoyens des pays du Sud comme beaucoup d’autres, n’avaient pas la possibilité d’entrer de manière régulière dans les pays du Nord. Ils n’avaient pas d’autre choix que de tenter une traversée clandestine. Au risque de leur vie. Pourtant en 2011 l’opération Hermes de l’Agence Européenne de contrôle des frontières extérieures battait son plein. Comment, alors que des bateaux et des avions surveillaient l’espace méditerranéen, des gens ont pu mourir et disparaître en mer ? C’est que Frontex est une agence dont les équipes semblent plus occupées à partir en « guerre » contre les migrants qu’à venir en aide à des êtres humains, selon les associations qui ont lancé le 20 mars dernier la campagne Frontexit.

Frontex c’est l’agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne. Elle aide à l’application des règles de la communauté européenne en rapport avec les frontières et coordonne les actions de gestion des frontières de l’UE.

Frontex : une armée qui s’invente un ennemi

Caroline Intrand de la Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Etrangers, présente à Tunis pour le lancement de la campagne Frontexit, l’explique clairement

« Le contexte dans lequel Frontex opère donne l’impression d’être dans un état de guerre. C’est comme si l’UE s’était construit un ennemi imaginaire et que Frontex était l’emblème de cette politique belliqueuse. On a l’impression qu’il y a une armée, avec des hommes mobilisables, qui peuvent porter des armes, qui ont un équipement militaire, qui font des activités de renseignements, qui ont des pratiques de détention, d’expulsion, de déportation et surtout une action qui opère avec beaucoup d’opacité. »

Et pour ce faire l’UE dépense beaucoup d’argent et mutualise les moyens et les équipes de la zone UE.

L’externalisation des frontières ou l’impossibilité de quitter l’Afrique

Pour s’assurer que les habitants des pays du Sud n’entrent pas en Europe, les pays européens s’assurent que ces habitants ne sortent pas de chez eux. C’est un peu l’idée qui transparaît à travers la mise en place d’accord entre pays du Nord et pays du Sud. « Dix-sept accords de travail avec des pays tiers ont été signés. Dont un avec la Tunisie, dans le cadre des partenariats pour la mobilité. Ce sont des accords de deux pages qui ne contiennent rien à part quelques orientations qui sont réputées être une coopération technique entre gardes frontières, ceux de Frontex et ceux des pays tiers, une coopération pour la collecte d’informations, une coopération pour la formation et l’échange de bonnes pratiques et un financement pour mettre en œuvre toute cette coopération » explique Caroline Intrand.

Par ailleurs pour mieux surveiller les frontières Frontex forme aux techniques de contrôle des équipes dans les pays tiers : « Frontex a développé un certain savoir faire en matière de mis en commun des techniques d’interception et de surveillance. L’idée c’est qu’il y ait un corps de gardes frontières européens homogène et qu’il y ait diffusion de ces normes » explique Mme Intrand.

« L’idée est d’empêcher les personnes de quitter le pays, avant même qu’elles aient pu embarquer à bord d’un véhicule »

Et si les migrants arrivent tout de même à quitter le pays et qu’ils sont interceptés Frontex s’occupe d’organiser des retours. En 2011 elle a ainsi organisé 42 retours.

Le communiqué de la campagne Frontexit note à ce sujet : « Frontex pose question notamment concernant la violation des droits lors de l’interception et du renvoi forcé des migrant.e.s. : Que se passe-t-il véritablement aux frontières ? Et qui est responsable de ce qui s’y passe ? »

Caroline Intrand explique également que  : « Les activités de Frontex entrainent potentiellement de graves violations des droits fondamentaux : violation du droit d’asile et du principe de non refoulement (…) entrave au droit de quitter tout pays, inscrit dans la Convention universelle des droits de l’homme (…), atteinte contre la protection contre les traitements inhumains et dégradants, lors du voyage de retour ou par le renvoi vers des pays qui ne respectent pas les droits humains. »

Quid de la répartition de la responsabilité

Même si il y a peu d’information a ce sujet Frontex est impliquée en Tunisie. Nicanor Haon, du FTDES, explique qu’il est difficile d’avoir des informations mais que la Tunisie est considérée comme un pays stratégique par Frontex. La Tunisie serait la clef migratoire de la Méditerranéenne centrale quand on lit les analyses de risques migratoires de Frontex et serait une des principales porte d’entrée de la migration irrégulière vers l’Europe. « La moitié des personnes qui traversent le canal de Sicile sont des Tunisiens et l’autre moitié des Subsahariens. »

En 2011 les zones de passage sont d’ailleurs couvertes par la zone d’action de l’opération de surveillance Hermes de Frontex. Elle a débuté avec la révolution et « avait pour but de stopper « l’afflux massif de migrants ». C’est une opération qui a été difficile à identifier. »

Cette question de la surveillance de la zone de passage de la plupart des traversées irrégulières au départ de la Tunisie met en avant la question de la responsabilité. « Le manque de transparence dans les activités de Frontex est une des caractéristiques principales de l’agence. Toutes les opérations terrestres ou en mer sont définies dans des plans opérationnels. Or ces plans ne sont pas publics. Il n’y a aucune information sur qui va faire quoi, quelles sont les responsabilités, comment se déploie l’opération… donc on ne sait pas ce qui se passe aux frontières et il y a beaucoup de zone d’ombre sur ce qui se passe avec les migrants en mer » explique Caroline Intrand.

D’après elle le mandat de l’agence ne permet pas de clarifier la répartition de la responsabilité entre l’UE, les Etats membres et Frontex elle-même : « Qui est responsable des activités de l’agence ? Qui est responsable en cas de violation des droits fondamentaux ? Ce mandat est schizophrène. »