Mercredi 13 mars, jour anniversaire de la mort de Zouhair Yahyaoui, cyberdissident tunisien, l’association Vigilance a organisé une conférence sur la liberté de la presse au sein de l’université de la Manouba. Que gagne-t-on en garantissant la liberté de la presse ? Réponses de Om Zied, Hamida El Bour et Kamel Labidi.
Naziha Rjiba aka Om Zied, journaliste, présidente de l’association Vigilance :
- Que gagne-t-on en garantissant la liberté de la presse ?
Nous gagnons le droit à l’information qui est un droit essentiel et indéniable. C’est un droit qui aide au processus démocratique dans la mesure où avec différentes analyses du paysage politique les gens sont éclairés et comprennent mieux comment faire leur choix.
Le 13 mars est une journée spéciale en Tunisie. Nous avons rendu hommage la veille à Zouhair Yahyahoui. J’ai pu témoigner avec beaucoup de tendresse en son souvenir. C’était un sacré résistant !
- Va-t-on vers une garantie de la liberté de la presse en Tunisie ?
Oui certainement, dans les faits nous tendons vers cela. Il y a des entraves et nous allons avoir encore beaucoup de travail et d’obstacles à balayer. Mais nous y arriverons certainement… à moins que… à moins qu’il n’y ait de la violence et là les journalistes seront en première ligne.
- Que représente pour vous le fait de faire une conférence sur la liberté de la presse au sein d’une université ?
Cela a un double sens pour moi. J’ai toujours été privée d’enseigner à l’université parce que je ne suis pas « orthodoxe », je ne suis pas calme. Mais je ne le regrette pas.
Par ailleurs c’est une fierté d’être ici car c’est un nouveau mariage entre l’université et l’information, qui sont d’habitude sur deux chemins parallèles qui ne se rencontrent jamais. Et j’espère que cela donnera de beaux enfants !
Hamida El Bour, spécialiste des médias, enseignante à l’ IPSI :
- Que gagne-t-on en garantissant la liberté de la presse ?
On gagne tout ! On gagne l’aboutissement du processus démocratique, on gagne la bataille de la citoyenneté, car celle-ci passe par le fait que les individus vivants dans une société en connaissent les problèmes. Et ceci passe par la conscience de ses droits et de ses devoirs, ce qui se fait à travers les médias. On garantit la prospérité et le développement car via la liberté de la presse il y à un véritable diagnostique des problèmes et donc on peut chercher les bonnes solutions.
- Va-t-on vers une garantie de la liberté de la presse en Tunisie ?
Pour moi c’est un processus qui implique une action collective, qui se fait au niveau du gouvernement, via la mise en place du cadre institutionnel qui garantit la liberté de la presse, mais aussi par des formes de régulation et d’autorégulation des entreprises de presse et de médias. Il doit également y avoir un travail au niveau de la société civile qui doit être vigilante et dénoncer toutes les atteintes contre la liberté de la presse. Et puis ce processus implique une action individuelle de chaque journaliste qui doit avoir conscience du fait qu’il est responsable de la liberté de la presse aujourd’hui et qu’il ne doit pas retourner à ce qu’il faisait et à ce qu’il ne faisait pas avant. Il y a donc une responsabilité collective et individuelle pour ce combat de tous les jours.
Un combat qui ne sera jamais fini. Il suffit de regarder les sociétés démocratiques pour le comprendre. Il y a toujours cette bataille. Ça fait partie de l’ambiance démocratique. Il y aura toujours des dérives mais ce qui est important c’est qu’il y ait toujours des gens qui dénoncent les dérives. Il y aura toujours des manquements mais il faut qu’il y ait toujours des structures qui dénoncent ces manquements pour les faire cesser. Il y a aura des pressions et il faudra faire en sorte que ces pressions ne compromettent pas l’action des médias, des médias qui sont au service des citoyens.
- Que représente pour vous le fait de faire une conférence sur la liberté de la presse au sein d’un université ?
L’université est un espace de débat et de discussion. Par ailleurs nous sommes à l’université de la Manouba, l’université qui après le 14 Janvier crée le premier prix de la presse. C’est aussi l’université qui abrite la seule institution de formation des journalistes et communicateurs dans le pays. Donc pour moi, c’est un cadre idéal.
Kamel Labidi, INRIC, vice-président de l’association Vigilance :
- Que gagne-t-on en garantissant la liberté de la presse ?
Sans liberté de la presse un pays est condamné à tomber entre les mains d’un régime autocratique, d’une dictature. Les citoyens sont privés des bienfaits d’une presse libre. Avec une presse libre les citoyens sont invités à prendre part au débat sur la chose publique. Ils peuvent ainsi empêcher les gouvernants de prendre des décisions injustes. L’apprentissage de la démocratie ne peut se faire sans une presse libre. En Tunisie on a vu les lignes rouges disparaître, les citoyens parler, les médias se faire l’écho des contestations, des revendications, du discours protecteur du droit du citoyen à une vie libre et digne on a vu les médias exercer une pression sur les gouvernants. Avec le temps les citoyens réalisent que la liberté de la presse n’est pas la chasse gardée des journalistes. Ils comprennent que c’est un outil indispensable pour améliorer leurs conditions de vie et donner à leurs enfants un pays libre.
- Va-t-on vers une garantie de la liberté de la presse en Tunisie ?
Le premier problème c’est l’absence de volonté politique. Mais c’est une question de temps. Les Tunisiens sont décidés à exercer des pressions sur le nouveau pouvoir, qui réalise qu’il est de l’intérêt du pays d’avoir une presse libre. Je pense qu’au sein du pouvoir certains commencent à réaliser qu’ils ont perdu en matière de crédibilité et de bonne gouvernance en ouvrant un front contre les journalistes, en essayant de mettre la presse au pas et en privant la Tunisie d’un cadre juridique, qui n’est peut-être pas exemplaire, mais qui, de l’avis des experts et des organisations, est un cadre adéquat.
La liberté de la presse est un combat. Ceux qui ont intérêt à ce qu’il y ait une presse libre doivent continuer le combat. Le pouvoir finira par comprendre que la page de la main mise sur la presse est tournée. La balle est encore dans le camps des journalistes et de la société civile. Il faut être vigilant.
- Le fait d’organiser une conférence sur la liberté de la presse un 13 mars, dans une université, cela a un sens particulier ?
Oui. Si Zouhair Yahyaoui était encore vivant il serait parmi nous. Il restera un symbole pour la liberté d’expression, une liberté qui a été bien mieux protégée par les nouvelles technologies. Zouhair restera un symbole pour les internautes de Tunisie et du monde arabe. C’était un véritable précurseur. Si la Tunisie a fait des pas vers la démocratie c’est en partie grâce à Zouhair et des hommes comme lui, grâce à leur combat et à leur modestie.
Il faudrait trouver les meilleurs exemples de financement des médias dans le monde. Il faut éviter que le contenu soit dicté par les annonceurs. L’indépendance des médias, la liberté de la presse s’acquièrent par des finances saines et transparentes.