Karim Mejri, ex-conseiller auprès du ministre de l’emploi Saïd Aïdi, apporte sa contribution au débat national autour de l’emploi dans une série de 9 articles publiés par Nawaat.org. Dans ce deuxième article, il donne un éclairage sur le recrutement dans le secteur public, considéré par beaucoup comme la seule solution pour sortir du chômage.
Le secteur public, objet de toutes les convoitises
L’Etat est le plus gros employeur du pays. Au lendemain de l’indépendance, être embauché par l’Etat constituait la conclusion logique du parcours d’un étudiant de l’enseignement supérieur. Certains étaient même embauchés avant l’obtention de leur diplôme. Le diplôme a constitué pendant longtemps la garantie d’un emploi, et plus que cela, un gage de réussite sociale assurée. Des générations de Tunisiens ont été éduquées dans le but de réussir leurs études supérieures et avoir un emploi « chez l’Etat ». Malheureusement, ce modèle de réussite et de promotion sociale a tourné au cauchemar avec l’explosion du nombre des diplômés du supérieur et la stagnation des besoins de l’Etat et de ses structures. Notons que, paradoxalement, les meilleurs éléments issus de nos facultés ainsi que ceux qui partent dans les meilleures écoles à l’Etranger fuient désormais l’Etat et ne veulent plus travailler dans l’administration ni dans les entreprises publiques.
En 2011, dans un contexte de crise générale sans précédent, l’Etat a fourni un effort quantitatif et qualitatif visant à atténuer l’ampleur du chômage qui s’était aggravé cette année-là. L’effort quantitatif s’est traduit par un volume de recrutement de 24.000 personnes dans la fonction publique, en plus de 10.000 personnes dans les entreprises publiques. Le chiffre total de 34.000 places ne représente que 4,9 % du nombre total des chômeurs, ce qui veut dire que 95,1 % des chômeurs n’ont pas pu être recrutés dans le secteur public en 2011. Malgré cela, la quasi-totalité des demandeurs d’emploi ont pour seul espoir l’obtention d’un poste dans le secteur public, considérée comme la seule véritable voie de sortie pour échapper au chômage ! Ces demandeurs d’emploi en veulent à l’Etat pour de pas avoir ouvert plus de places. Certains alimentent la frustration en déclarant que l’Etat peut, s’il le veut, embaucher 70.000 personnes en une seule année ! Il est inutile d’argumenter que dans l’état actuel des choses, l’Etat n’a pas les moyens (surtout financiers) pour le faire, et que de toutes les manières la grande majorité de ces emplois seraient alors des emplois fictifs.
L’effort qualitatif pendant l’année 2011 s’est traduit par la mise en application des principes de transparence, de rapidité et de simplicité des procédures de recrutement. Pour ce faire, un site Web unique[1] a été créé, centralisant pour la première fois les concours de recrutement dans le secteur public et permettant aux candidats de postuler en ligne. La sélection des candidats s’est faite sur la base de critères harmonisés, basés sur des données objectives vérifiables, permettant d’attribuer un score à chaque candidat et d’effectuer un classement et une sélection en toute transparence. Aussi, les délais ont été réduits, grâce notamment à des procédures allégées[2] (environ 5 mois contre 14 auparavant). Mais étant placés sous l’autorité de chaque ministère ou administration souhaitant recruter, ces concours n’ont pas manqué de susciter des protestations, parfois justifiées de la part des demandeurs d’emploi. L’appréhension de l’administration face à la nouveauté, la pression des délais en plus de la persistance de certaines pratiques douteuses peuvent expliquer le mécontentement constaté chez beaucoup de chômeurs. Il est toutefois utile de rappeler que plusieurs concours se sont déroulés dans des conditions exemplaires, donnant lieu à l’embauche de plusieurs chômeurs de longue durée.
Les concours de 2011 ont surtout révélé la grande difficulté pour les administrations publiques à gérer des concours dans lesquels des milliers de candidats postulent pour quelques postes ouverts. On le sait depuis longtemps, le secteur public est l’objet de toutes les convoitises et les places s’arrachent comme des petits pains. Cette pression a engendré des retards faramineux dans le traitement des dossiers des candidats ; ainsi, en septembre 2011, certaines entreprises publiques ont informé le ministère de l’emploi que leur programme de recrutement pour les années 2009 et 2010 était encore en cours ! Les dates annoncées pour l’annonce des résultats des concours 2011 ont été rarement respectées. En plus de la difficulté de la tâche (étudier les dossiers selon les nouveaux critères) l’administration souffre d’une incapacité structurelle à répondre à l’urgence et à s’organiser en mode projet ou en mode « Task Force ».
Pour les prochains concours (le gouvernement vient d’annoncer leur ouverture imminente), il est urgent de renforcer les directions de ressources humaines des administrations publiques, de professionnaliser leur personnel et d’opter pour des procédures de plus en plus allégées. Dans ce sens, il est recommandé que l’administration se fixe un délai de 3 mois maximum entre l’annonce du concours et la proclamation des résultats. Ce délai peut être atteint avec l’utilisation croissante des nouvelles technologies, notamment le site Web, qui devra remplacer l’envoi des dossiers papiers. La sélection pourra ainsi se faire sur la base des données que le candidat a déclarées sur le site. Des règles rigoureuses doivent être appliquées afin de prévoir les cas où le candidat sera pénalisé pour fausse déclaration.
De façon plus générale, il faut généraliser le mode de recrutement sur concours. Le recrutement au titre des familles nécessiteuses, qui a donné lieu à plusieurs dépassements de par le passé, devra être remplacé par des mécanismes plus transparents qui ciblent les populations les plus vulnérables : les familles nécessiteuses, mais aussi les handicapés qui n’ont jamais pu profiter des lois en leur faveur qui obligent en théorie les recruteurs à embaucher 1% des effectifs parmi cette population. Ces quotas devront s’ajouter aux quotas spéciaux déjà alloués par le nouveau gouvernement aux familles des martyrs et aux blessés de la révolution.
Bien qu’il concerne a priori toutes les catégories de chômeurs, l’emploi dans le secteur public intéresse davantage les diplômés du supérieur. Ces derniers, quand ils n’ont pas de débouchés réels dans le secteur privé, se tournent vers l’Etat et se disent être « prêts à attendre » le nombre d’années qu’il faut avant qu’une place ne se libère dans le lycée ou l’école primaire de leur quartier (les titulaires de maîtrise considèrent qu’ils devraient obtenir leur place dans l’enseignement, si ce n’est cette année, alors l’année prochaine). L’Etat, qui n’a pas su anticiper cette explosion du chômage, se retrouve à devoir gérer un CAPES où 100.000 candidats postulent pour 3.000 postes. Avec un taux de réussite de 3%, il ne faut pas s’étonner que la frustration soit grande parmi les recalés. L’annulation du CAPES ne résoudra rien et au-delà de l’effet d’annonce, il va falloir trouver un moyen pour sélectionner 3.000 personnes parmi 100.000. La reconversion des diplômés du supérieur vers d’autres spécialités se pose donc aujourd’hui comme une urgence (ce sujet sera traité dans un autre article).
Enfin, il est utile de rappeler que les diplômés du supérieur de plus de 45 ans ne peuvent pas intégrer la fonction publique en vertu des lois en vigueur. Cette population très vulnérable (que j’estime personnellement à plus de 1.000 personnes) devra bénéficier de mesures exceptionnelles : soit le gouvernement est prêt à les intégrer de façon exceptionnelle dans la fonction publique, soit il leur accorde un accompagnement spécifique afin de leur assurer des activités d’autonomie, auquel cas il faut leur épargner la condition rédhibitoire de disposer d’un auto-financement. En l’absence de toutes mesures en leur faveur ainsi qu’en faveur des autres populations vulnérables (handicapés, familles nécessiteuses…), la frustration ne fera qu’augmenter et les espoirs soulevés par la révolution seront vite oubliés.
Prochain article : Le rôle déterminant du secteur privé
Lire dans le même dossier : [Part1]: Qu’est-ce qu’un chômeur ?
1 www.concours.gov.tn
2 Voir les textes suivants : décret-loi 2011-32 du 27 avril 2011 et décret d’application 2011-544 du 14 mai 2011, ainsi que le document explicatif élaboré par le ministère de la Formation Professionnelle et de l’Emploi et distribué à tous les ministères concernés
– l’absence de l’abstraction et donc de l’analyse rend la portée de la démarche adoptée par l’auteur peu féconde.
– l’effort consenti par l’Etat au cours de l’année 2011 est qualifié par l’auteur de quantitatif et qualitatif. les statistiques montrent l’autre revers de la médaille avec une augmentation du chômage en passant de 500.000 mile à 700.000 mille, résultat attendu du moment ou le taux de croissance du PIB est négatif (-1.83%). l’hypothèse d’un apport quantitatif et qualitatif apporté par l’État semble être non soutenable.
– cet effort s’est trouvé borné à une logique néolibérale qui trouve sa concrétisation dans le programme d’ajustement structurel avec l’adoption de la règle suivante” moins d’État et plus de secteur privé”, un choix adopté et approuvé par le régime de Ben Ali et appuyé par la banque mondiale et le fond monétaire international. C’est cette orientation qui va déterminer le lien Etat- marché du travail et de ce fait le sort des milliers des diplômés de l’enseignement supérieur. Une politique d’austérité budgétaire, une politique de privatisation, une politique d’ouverture et d’insertion dans l’économie mondiale fondée sur des activités à faible valeur ajoutée…..autant de choix qui fondent une stratégie économique à visage sauvage sans dimension humaine
Vous avez tout résumé et je vous en remercie; c’est une refonte d’approches dont il est question et l’aide aux plus défavorisés suppose des stratégies de réponse et d’accompagnement totalement en dehors des stratégies classiques. Nous savons quelles existent en dehors des champs rituels mais il faut pour cela des expertises à partir de stratégies nouvelles de soutien et d’accompagnement pour influer sur les logiques comportementales issues de tant d’années de féodalisme et néopotisme.
Il n’y a pas de chomeurs’il y a des gens qui ne veulent pas travailler. En plus il y a un probleme de formation. L’ancien dictateur cherchaient le nombre de diplomes aux depends de la qualite. Il y a aussi de legislation qui ne favorise pas la flexibilite du travail.cette solution peut etre un generateur d’emploi formation.
quand un jeune n’embellis pas son rêve de quelques fantaisies et d’audace , et, qu’il se projette dans un seul horizon qui est la fonction publique ,c’est qu’un vieux est né , et une société plate, pauvre et stérile qui s’installe . RÊVEZ jeunes!! ne serai-ce que deux ou trois ans , la fonction publique est tellement pas une opportunité qu’elle ne risque pas de vous échapper !!!! et tant mieux si elle vous échappe .
@ yaiche chakib
ce n est pas l ancien dictateur, mais plutot l influence americaine,qui produit de la QUANTITE et non de la QUALITE,ya qu a voir le nombre d obese et d abrutissement de la population americaine.les juges americains eux meme n en reviennent pas.
d apres ce que je vois les islamistes aux pouvoir en tunisie vont mener la tunisie vers encore plus de liberalisme et de privatisation a tout va.
donc ce que l ancien dictateur a tarde a faire ,vos chers tres chers islamistes vont le faire
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