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“Omar, Azzedine et leurs six complices ont été condamnés, mercredi 30 septembre, à des peines allant de six mois avec sursis à deux ans de prison ferme par le tribunal correctionnel d’Ajaccio.”

Les neveux du président tunisien, Zine El-Abidine Ben Ali, auraient-ils un goût un peu trop prononcé pour le luxe et les beaux bateaux ? Moez et Imed Trabelsi – c’est leur nom – sont poursuivis en Tunisie pour avoir passé commande à quelques aigrefins de la Côte d’Azur pour obtenir l’objet de leur désir.

Moyennant quelques dizaines de milliers d’euros, Moez et Imed se seraient adressés à Omar Khelil et Azzedine Kelaiaia, deux types sans envergure, pour trouver de quoi satisfaire leurs rêves de grand large. Poursuivis pour “vols en bande organisée”, Omar, Azzedine et leurs six complices ont été condamnés, mercredi 30 septembre, à des peines allant de six mois avec sursis à deux ans de prison ferme par le tribunal correctionnel d’Ajaccio.

Bien que mis en examen dans la même procédure, les cousins Trabelsi n’ont pas été jugés.

Fin 2005 et début 2006, Omar et Azzedine se sont pliés en quatre pour honorer de prestigieux clients. Ils ont recruté quelques comparses, délinquants amateurs férus de nautisme et empêtrés dans des problèmes d’argent, qui ont convoyé vers la Tunisie trois bateaux volés dans les ports du Lavandou (Var), de Cannes (Alpes-Maritimes) et de Bonifacio (Corse-du-Sud). Cedric Sermond, un professionnel du nautisme familier des pontons, connaît les ports de plaisance et sait repérer les “belles unités”. C’est lui qui a choisi le Sando au Lavandou, le Blue-Dolphin à Cannes et le Beru-Ma à Bonifacio.

A l’issue d’un périple entre Corse et Sardaigne, ponctué de quelques avaries, les trois bateaux ont fini par accoster à Sidi Bou Saïd, non loin de Tunis. On n’aurait probablement jamais retrouvé leur trace – et personne ne s’en serait inquiété – si, le 5 mai 2006, cette fine équipe n’avait pas eu la mauvaise idée de jeter son dévolu sur le Beru-Ma, propriété de Bruno Roger, dirigeant de la banque Lazard Frères et ami de l’ancien président de la République Jacques Chirac.

Un enquêteur de la compagnie d’assurances Generali a découvert le navire estimé à plus d’un million d’euros, amarré à Sidi Bou Saïd, tout en identifiant celui qui se l’était approprié : Imed Trabelsi. Dès lors, le bateau a été rapatrié vers son port d’attache et, après avoir remonté la chaîne de commande, les gendarmes ont interpellé, en septembre 2006, ceux qui ont exécuté l’opération et leurs intermédiaires.

Confondus par l’enquête et dénoncés par les autres prévenus, Moez et Imed Trabelsi, “organisateurs et commanditaires de l’opération” comme l’a souligné, dans ses réquisitions, le procureur de la République Thomas Pison, n’ont pas comparu. Et pour cause : début août, le parquet avait choisi de ne pas les citer. Motif : “Le 28 juin 1972, la France et la Tunisie ont signé une convention. Les Tunisiens résidant en Tunisie sont jugés en Tunisie. Il appartient à la justice tunisienne, qui n’extrade pas ses ressortissants, d’examiner cette affaire”, s’est justifié M. Pison, qui a demandé de disjoindre le cas des deux Tunisiens. M. Pison se dit convaincu que, malgré le pedigree des suspects, la justice tunisienne fera son travail. Pour preuve, selon lui, une information judiciaire a été ouverte le 18 septembre par le parquet de Tunis et les cousins Trabelsi seraient poursuivis pour “complicité de vol et recel”.

Diplomatie oblige

Et si les magistrats tunisiens tardent à examiner les charges qui pèsent contre les neveux du chef de l’Etat, ou s’ils rendaient une décision trop clémente au vu des charges retenues en France, la justice française ne serait pas en reste. “Elle conserve son droit de poursuite à l’encontre des deux suspects pour les faits commis sur le territoire français”, s’est défendu le représentant du parquet.

L’argument n’a pas convaincu les défenseurs des autres prévenus. Diplomatie oblige, “la justice française a baissé les bras face aux autorités tunisiennes”, a plaidé Me Antoine Sollacaro. “Ce n’est que basse politique, s’est-il indigné. Les organisateurs de ce trafic échappent à la justice alors qu’on s’en prend aux lampistes.”

Autre avocat, Me Jean-Michel Mariaggi s’est insurgé : “Les Trabelsi financent les coups et l’achat des bateaux volés. On condamne les sous-fifres et on exempte les commanditaires. Comment expliquer qu’une juridiction française puisse absoudre les auteurs principaux et charger ceux dont l’accusation reconnaît qu’ils sont secondaires ?”

Yves Bordenave
LeMonde.fr