II y a un an, dans leur ville, ils avaient manifesté contre la misère. Ils ont dû fuir Redeyef pour ne pas finir en prison.

Il y a un an, dans leur ville, ils avaient manifesté contre la misère. Ils ont dû fuir Redeyef pour ne pas finir en prison. Ici, les deux exilés subissent le sort impossible des clandestins. Récits croisés.

Du travail ! Comme une prière qui revient en boucle. Du travail, remâchent sans cesse Badi et Nawfel (1) avec colère, amertume, mélancolie, douleur. Implorants. C’est pour que l’État tunisien leur accorde ce droit, qu’ils ont osé s’opposer au président Ben Ali, il y a un an. Risques insensés.

Lorsque nous les rencontrons dans cette petite salle discrète du centre-ville de Nantes, ce soir-là, un luxe de précautions a été déployé pour que les deux hommes, la trentaine, ne soient pas interpellés. Et expulsés parce qu’ils ont atterri ici, il y a deux mois, sans papiers. Comme 180 de leurs compatriotes depuis les émeutes.

Pourtant, leur vœu le plus cher serait de retourner chez eux. Ils ne demanderaient pas mieux que de quitter séance tenante cette France qui ne veut pas d’eux. Oui mais.

Balles dans la peau

Oui mais, Nawfel soulève ses vêtements. Trouant sa peau, de vilaines cicatrices. Des impacts de balles et la rage dans ses yeux mobiles disent crûment la brutalité exercée à Redeyef. Redeyef, gros bassin minier du sud de la Tunisie, ses 300 emplois octroyés à d’autres bras que ceux du coin, « aux fils de bakchichs », dit-il.

Cette injustice avait déclenché des protestations publiques en janvier 2008. « J’étais allé voir le gouverneur pour demander un emploi. Il m’avait dit d’aller acheter une corde pour me suicider. »

Le 6 juin dernier, le jeune homme était sur la grande place de Redeyef avec des milliers d’autres : « On protestait pacifiquement. Vers midi, les forces de l’ordre ont tiré. On a cru que c’était des balles à blanc. Mais Hafnaoui, 21 ans, a été tué. ll était à côté de moi. Un autre ami, blessé aussi, est mort trois semaines plus tard. Il avait 27 ans. »

Nawfel aussi est touché, transporté à l’hôpital par sa famille. Il y est harcelé, dit-il, par des policiers. « Quand je suis sorti, je n’ai pas reconnu ma ville. Il y avait les chars, Redeyef en état de siège. » Un couvre-feu toujours en vigueur.

Crainte de représailles

Le jeune homme sait qu’il doit fuir, c’est ça ou la prison. Il traverse le désert libyen, monte sur un bateau de fortune pour Lampedusa. Seize heures de traversée pendant lesquelles il a cru mourir. En Italie, il est placé au centre de rétention, s’évade. Et prend le train. Milan, Nice, Nantes… Nantes, parce que les immigrés tunisiens originaires de Redeyef y sont nombreux.

Badi a suivi aussi ce périlleux chemin d’exil, où beaucoup de ses semblables, dit-il, ont laissé leur vie. Même regard de désespérance que Nawfel, mêmes accents révoltés.

Badi était de ceux qui avaient installé une trentaine de tentes à Redeyef, en signe de protestation. Il avait même, un moment, été reconnu par les autorités comme l’un des négociateurs du mouvement. Jusqu’à ce que la répression se durcisse et qu’il soit pourchassé. Contraint à la fuite.

Aujourd’hui à Nantes, il témoigne volontiers, oui. Mais pas à visage découvert. Comme Nawfel, il craint les représailles sur sa famille.

Agnès CLERMONT.

(1) Prénoms d’emprunt.

Source : Oust-France.fr