EditoEncore une commémoration dont on se serait passé volontiers. Encore une dont la Tunisie s’en passerait bien ! Une année supplémentaire sous la « biensurveillance » du régime Benalien que grand nombre de tunisiens auraient préféré passer sous d’autres cieux. Une célébration dont notre pays se passerait bien, mais qui semble pourtant de plus en plus déterminante pour son avenir. Au point de se demander si l’histoire du pays n’avancerait plus qu’au rythme de cette date fatidique. Et comment serait-il autrement alors que chaque année écoulée nous entraîne plus loin dans l’inconnu et nous renvoie à la figure les échecs du passé, la stagnation actuelle et les peurs de l’avenir. Chaque célébration de ce funeste anniversaire renvoie dos à dos régime en place et opposition et les met face à leurs devoirs manqués.

D’un côté, un régime vieillissant, au pouvoir depuis maintenant 19 ans, déchiré par des luttes intestines qui, paradoxalement, loin de minimiser sa nuisance en amplifie les effets. Un pouvoir politique qui c’est transformé au fil des ans en un syndicat du crime organisé avec ses clans, ses familles et ses règlements de comptes. Des officines secrètes au sein du palais présidentiel aux intentions obscures et aux intérêts contraires à ceux du pays, milices privées au sein des forces de l’ordre à la solde de chacun des clans rivaux et une main mise sur tout ce qui peut ou pourrait rapporter de l’argent. Une telle déliquescence aux plus haut sommet de l’état qu’il en devienne presque impossible d’identifier clairement le rôle et le réel pouvoir de chacun des protagonistes et à leur tête le président lui-même.

Le président qui, pour sortir de se bourbier, prépare un deal à la russe en préparant son poulain, l’actuel ministre de la défense, en lui offrant un tremplin constitutionnel sur-mesure. La partie se complique quand on sait que ce diplomate de carrière a été et pour plus de 20 ans loin de la politique intérieure et qu’il lui reste beaucoup à apprendre sur les nouveaux rapports de forces aux plus hauts sommets de l’état. Quant à la gestion des affaires courantes, celles qui n’apportent aucun bénéfice pécuniaire au tenants du pouvoir, elle est devenue l’affaire d’une horde de conseillers et technocrates aussi dépourvus de réels pouvoirs que de convictions politiques. Le plus souvent, produit du parti unique, véritable vivier de bons exécutants d’une politique absurde aux conséquences désastreuses.

Face à ce régime, une opposition politique complè-tement absorbée par sa lutte pour l’existence, elle peine à renouveler ses idées et à proposer un véritable projet alternatif, capable de répondre aux véritables besoins des tunisiens et surtout capable de susciter chez eux le désir de l’entreprendre. Un manque d’inspiration qui dure depuis des décennies et qui semble s’aggraver avec le temps. Bien qu’en apparence l’opposition tunisienne semble plus visible pour les observateurs étrangers, elle reste en Tunisie inaccessible à une large majorité des tunisiens. Ce manque de visibilité et donc de popularité, n’est pas seulement imputable aux manquements des barons de l’opposition, le régime avec sa répression aussi redoutable qu’efficace, y est pour beaucoup, mais cela ne change rien aux faits. Le manque d’adhésion aux appels de l’« opposition démocratique » la prive d’un facteur déterminant dans son rapport de force avec le pouvoir en place. Le retour en Tunisie de Moncef Marzouki, bien qu’il soit à saluer, ne pourra malheureusement pas changer grand chose à la donne. Après seulement quelques jours, il s’est résigné à ne plus quitter son domicile, ne supportant plus les attaques, indignes mais prévisibles, des sbires du régime.

Que dire alors des tunisiens ordinaires qui eux ne disposent d’aucune couverture médiatique ou de réseaux de soutiens. Ceux-là malgré leur passivité apparente luttent dans le quotidien pour survivre dans un contexte politique et économique de plus en plus incertain. Pour les maintenir loin de la politique, le régime n’exerce pratiquement plus de pression sur eux laissant au « miracle économique tunisien » le soin de le faire. D’ailleurs le nouveau massacre constitutionnel qui se prépare n’échappera malheureusement pas à l’indifférence de la majorité d’entre eux comme c’est le cas pour la polémique contre le port du voile. Alors le défit pour toute tentative visant à capter l’attention des tunisiens et obtenir leurs soutiens, semble résider dans la capacité de leur présenter un projet alternatif capable de les rassurer sur leurs avenirs. Parce que si les tunisiens sont conscients d’une chose c’est de l’incertitude de ce que leur demain sera fait. Peur de l’avenir qui les pousse à s’accrocher à ce qui existe par crainte de ce qui n’existe pas.

Malek Khadhraoui
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