EditoIl existe un sentiment très cher aux acteurs de la scène politique tunisienne : le sentiment patriotique. Véritable fonds de commerce inépuisable et adaptable à toutes les idéologies. Qu’ils soient au pouvoir, dans l’opposition ou le cul entre deux chaises, ils se proclament tous de ce sentiment. Chacun d’eux renchérissant sur les autres en ferveurs patriotiques. Chacun à sa manière et selon son intérêt use et abuse de ce mot magique qui s’est transformé au fil des temps en une superstition artificielle alimenté par toute une faune de fossoyeurs « patriotiques ».

La folklorisation du patriotisme et le renforcement de l’Etat-Nation par les pouvoirs en place, la volonté de sa perversion en nationalisme totalitaire par certain, voir en fanatisme religieux par d’autres, constituent autant de truchements aussi subtils qu’efficaces pour ancrer dans les esprits, une identité collective, comme seule identité possible pour l’individu. Ils espèrent par cet artifice trouver le moyen de sceller leurs destins à celui du pays et se prémunir ainsi du jugement de leurs « compatriotes ». Les uns appellent à l’altruisme et à « l’amour de la Patrie » pour accomplir leurs desseins égoïstes, d’autres sous leurs vœux d’union œuvrent pour la discrimination et l’exclusion. Drôle de réalité où l’on appelle à l’altruisme au nom de l’égoïsme, où l’union conduit à la discrimination.

Les tenants du pouvoir, dénoncent « le manque d’esprit patriotique » de ceux qui tentent de « porter préjudice à la Tunisie et à son image ». Vous me direz que cette déclaration est pleine de bons sens pour tous ceux d’entre nous qui aimons notre pays. Cela aurait été le cas si par « Tunisie » il ne fallait pas comprendre : le régime en place ! Détenteur de la loi et à qui revient le droit d’administrer le signifiant de ce qu’est ou non un « patriote ». Certainement quelqu’un qui ne questionne pas, qui ne critique pas, avec une mention spéciale pour ceux qui ne pensent pas ! Encore un signe ostentatoire de ce patriotisme utilitaire et une preuve de cette volonté flagrante de lier notre image collective à celle de l’état et à ceux qui le gouvernent.

L’opposition « démocratique » et « éclairée » ne fait pas mieux ! Les uns, par patriotisme, figurez-vous, crient leurs hontes dés que tel ou tel événement est organisé en Tunisie ou que tel ou tel personne ou pays salue, félicite ou encourage notre pays. « Nous disons au monde entier que c’est une honte d’organiser un tel sommet dans un pays ou il n’y a pas de liberté de presse. (En l’occurrence la Tunisie !) », avait déclaré une des figures de la gauche tunisienne. Plus récemment et à la suite de la candidature de la Tunisie pour siéger au nouveau machin onusien, un autre faiseur d’opinion a appelé à « une opération coup de poing contre cette candidature indigne de la Tunisie de Ben Ali pour ce siège prestigieux » ! Pour être patriote il faut désormais porter la honte universelle sur soi ou carrément se sentir indigne d’exister parmi les nations. Certainement une autre définition du patriotisme !

Les définitions du patriotisme tel qu’elles sont diffusées et pratiquées dans notre pays découlent d’un patriotisme utilitaire. Un moyen efficace pour éviter les critiques et les questionnements envers ceux qui possèdent les bénéfices de ces pseudo-alliances patriotiques. Qu’ils soient religieux, exacerbés, raciaux ou étatiques, ces appels au sentiment patriotique ont été, au cours de ces dernière décennies, le facteur déterminant dans la perte de l’individualité au bénéfice de symboles artificiels brandis ici est là par des marchants sans scrupules.

Dans sa définition du patriotisme, Mark Twain dit : « le patriotisme c’est : soutenir son pays tout le temps, et soutenir son gouvernement quant il le mérite ». C’est déroutant de bon sens mais nous sommes tentés de rajouter : « …et s’opposer à toute personne qui tenterait d’usurper l’image du pays pour accomplir ces desseins personnels »…

Malek Khadhraoui
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