Le gouvernement italien est sans doute celui qui a pris le plus fait et cause pour les autorités tunisiennes depuis les déclarations de Kais Saied au sujet des migrants subsahariens. Le 1er mars, alors que les propos de l’exécutif tunisien continuaient à susciter condamnations et interrogations, Giorgia Meloni appelle son homologue Najla Bouden pour l’assurer du soutien de l’Italie.

Indéfectible soutien italien

A la tête d’une coalition d’extrême droite, la dirigeante italienne place la question migratoire en tête de ses priorités. La Tunisie étant le principal foyer de départ des migrants à destination de la péninsule italienne, l’existence d’un pouvoir fort, à même de contenir les flux humains, fût-ce au mépris de l’Etat de droit, est donc le partenaire idéal pour Rome. C’est sans doute la raison de l’intense travail de lobbying italien en faveur de la Tunisie. La Première ministre a ainsi plaidé la cause tunisienne auprès des Emirats Arabes Unis mais aussi, plus surprenant, auprès d’Israël. Quelques heures avant le vote par le Parlement européen d’une motion condamnant la dérive autoritaire en Tunisie, la Présidente du conseil a réaffirmé devant le Sénat italien, son soutien au pouvoir en place. A noter toutefois qu’aucun eurodéputé italien n’a voté contre la résolution condamnant le pouvoir tunisien.


Pour sa part, le ministre des Affaires étrangères, Antonio Tajani, est même allé jusqu’à affirmer que son pays devait aider la Tunisie pour éviter de favoriser « les Frères musulmans ». Une déclaration qui n’a curieusement pas irrité les proches du pouvoir, généralement prompts à convoquer la souveraineté nationale dès qu’une critique est adressée au régime. Il convient de rappeler que le chef d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, a brandi auprès des Italiens le spectre migratoire et terroriste, et ce, au lendemain du 25 juillet 2021. L’augmentation significative, ces derniers jours, des arrivées de migrants sur les côtes italiennes explique peut-être l’activisme de Rome.

Et Macron suit…

De l’autre côté des Alpes, la situation est légèrement différente. Plusieurs eurodéputés Rassemblement national (ex-Front National), dont le président du mouvement d’extrême droite, Jordan Bardella, ont rejeté la motion. L’ancien ministre et élu d’extrême droite, Thierry Mariani, est devenu la star des réseaux sociaux pro-Saied, depuis qu’une vidéo le montrant défendre le régime en place est devenue virale. Du côté de l’exécutif, le soutien est certes moins caricatural, mais tout aussi affiché. Après avoir déclaré qu’il soutenait « son ami » Kais Saied et qu’il souhaitait que le processus en cours depuis le 25 juillet 2021 « aille jusqu’à son terme », Emmanuel Macron a réaffirmé son soutien la semaine dernière. En marge du sommet des chefs d’Etats et de gouvernements à Bruxelles, le président français a précisé ses convergences de vues avec la présidente du conseil italien.

Les deux parties souhaitent que la Tunisie signe un accord avec le Fonds monétaire international pour éviter l’effondrement économique et endiguer « la pression migratoire aigue sur l’Italie et sur l’Union européenne ». Le locataire de l’Elysée n’a fait aucune mention de la dérive autoritaire pourtant pointée par les eurodéputés de son parti. Comme le gouvernement italien, l’exécutif français souhaite avant tout la stabilité politique et économique du pays ainsi que la coopération en matière migratoire. La majorité présidentielle en France est néolibérale et très en phase avec les préconisations du FMI, d’où l’insistance sur la conclusion de l’accord avec l’institution washingtonienne. Dans un entretien à l’agence TAP, l’ambassadeur de France en Tunisie, André Parant, a annoncé que son pays a mobilisé une enveloppe de 250 millions d’euros conditionnée par la signature de l’accord avec le FMI. D’après les récentes fuites dans la presse, ce même ambassadeur, ainsi que son homologue italien et leurs deux prédécesseurs, sont évoqués dans l’enquête dite du complot contre la sûreté de l’Etat. Plusieurs personnalités sont accusées de s’être entretenues avec ces diplomates sans que ceux-ci ne soient embêtés ni que leurs Etats ne protestent publiquement.

Réserves américaines

Outre-Atlantique, la question des libertés et des atteintes aux droits humains est davantage mise en avant, que ce soit par le Département d’Etat ou par des membres du Congrès. La semaine dernière, la sous-secrétaire d’État américain pour les Affaires du Proche-Orient, Barbara Leaf est repartie de Tunis sans avoir eu l’occasion de rencontrer Kais Saied. Dans un entretien à Diwan FM, la responsable étatsunienne a estimé que la Tunisie s’éloignait du processus démocratique. Pour autant, l’existence d’un régime fort où l’opposition est marginalisée n’est pas forcément pour déplaire à Washington qui connait les difficultés qu’ont eu les gouvernants de la décennie postrévolutionnaire à faire adopter « les réformes » exigées par le FMI. Par ailleurs, le nouvel ambassadeur américain à Tunis a exprimé, lors de son audition par le Sénat l’année dernière, son intention de plaider pour la normalisation de la Tunisie avec Israël. Là encore, cet élément a peu de chances d’aboutir sous un régime démocratique.

Depuis le 25 juillet 2021, les autorités ont espéré une aide des pays arabes opposés aux Frères musulmans (Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis, Egypte…) à l’instar de ce qui s’est passé après le coup d’Etat d’Abdelfattah Sissi en 2013. Deux mois après le virage 80, un responsable de la Banque centrale a indiqué que la Tunisie était en discussion avec l’Arabie Saoudite et les EAU pour un financement qui ne s’est toujours pas concrétisé. A rebours de ce qui pouvait être attendu, c’est le Qatar, pourtant réputé proche des Frères Musulmans, qui s’est montré disposé à aider la Tunisie. En février 2022, le comité de défense de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi a accusé la pétromonarchie d’espionnage en faveur d’Ennahdha, via l’opérateur Ooredoo. Un mois plus tard, Saied a reçu le dirigeant de cette entreprise, désavouant le comité de défense qui lui a servi d’alibi pour dissoudre le Conseil supérieur de la magistrature. Un geste qui a sans doute plu à Doha, qui s’est proposé d’aider la Tunisie, même si pour l’instant, aucune décision concrète n’a vu le jour. Le seul pays à avoir, à deux reprises, prêté de l’argent à la Tunisie, c’est l’Algérie. Depuis 2021, Abdelmadjid Tebboune ne cesse de soutenir son homologue avec qui il partage des visions similaires sur la question des libertés. Le président algérien vient de déclarer que la Tunisie était la victime d’un complot depuis la crise du TICAD, quand le président du Front Polisario a été reçu comme un chef d’Etat. Cet épisode a depuis tendu les relations entre Tunis et Rabat et sorti la Tunisie de sa neutralité sur la question sahraouie.

Regarder vers l’Est

Plusieurs proches du régime, notamment les formations nationalistes arabes exhortent Saied à quitter le giron occidental pour se diriger vers des puissances régionales ou internationales. Si ces forces politiques affichent leur proximité pour le régime islamique, la polémique dite du gâteau a montré que Téhéran n’est pas disposée à lâcher Ennahdha. En outre, le rapprochement de l’Iran et de l’Arabie Saoudite rebat les cartes dans toute la région.

S’agissant de la Russie, là encore, les cercles autour de Saied le poussent à regarder vers l’Est. Une visite du ministre des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, a été annoncée pour février mais ne s’est jamais concrétisée. Rappelons par ailleurs que la Tunisie a voté deux résolutions condamnant l’invasion russe en Ukraine. Si Moscou soutient les régimes illibéraux et entend renforcer son emprise sur le continent africain, un tel vote, perçu comme hostile n’est pas de nature à améliorer les relations avec Tunis.

Poursuivant le même double objectif de présenter un modèle alternatif à la démocratie occidentale et à étendre son influence en Afrique, la Chine est aussi un partenaire en cours chez les proches du régime. Un mois après son coup de force, alors que les premières critiques occidentales ont commencé à être formulées, Kais Saied a reçu Terry He, chef du géant chinois des télécommunications Huawei pour l’Afrique du nord. Depuis la polémique sur les subsahariens et le coup de filet contre les opposants, Pékin a dénoncé les ingérences étrangères dans les affaires tunisiennes. En décembre 2022, Saied a reçu une invitation officielle pour se rendre en Chine. Le régime de Xi Jinping pourrait offrir une bouffée d’oxygène à un pays sous pression occidentale.