Environ 2500 Tunisiens apprennent chaque année la langue allemande au centre culturel allemand, Goethe-Institut, d’après sa directrice du département de Langue, Amel Saïd, interviewée par Nawaat. « Ce nombre est en nette augmentation ces dernières années », ajoute-t-elle.
A cet égard, le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) a publié en 2020 une étude intitulée «Migrants potentiels et étudiants en langue allemande à Tunis : La dynamique de la migration régulière de la Tunisie vers l’Allemagne après la loi Fachkräfteeinwanderungsgesetz du 1er mars 2020». Son auteure, Marie Schneider déclare à Nawaat que « les écoles proposant l’enseignement de l’allemand fleurissent partout ». Et de souligner : «la concurrence est forte entre elles, donc les prix sont relativement accessibles».
Dans le Centre de formation en langue allemande de Tunis (IDAF), il faut compter 400 dinars pour un cours intensif de six semaines permettant d’obtenir le niveau de maitrise minimal de la langue allemande. Environ mille personnes étudient l’allemand dans cet institut, déclare le directeur de l’établissement, Nafaa Abid, à Nawaat. Et de poursuive : « on est 30 institutions de ce genre à proposer cet apprentissage. Chacune accueille environ mille personnes. On compteainsi à peu près 30 mille individus étudiant l’allemand chaque année ».
L’étude de Marie Schneider dresse le profil des étudiants disséminés dans différents établissements. Le nombre de femmes équivaut celui des hommes, relève l’étude. Au Goethe-Institut, la majorité des étudiants sont âgés entre 18 et 35 ans, selon sa représentante. La tranche d’âge entre 26 et 35 ans représente la majorité (56,7%) de l’échantillon de l’étude du FTDES, suivie par la tranche d’âge 19-25 ans. 80% d’entre eux sont célibataires. 53,3% ont un diplôme de licence et 30% un diplôme de master, d’après la même source.
L’allemand comme critère de sélection
Il existe plusieurs niveaux d’apprentissage de l’allemand (A1.1, A1.2, A2.1, A2.2, B1.1, B1.2, B2.1, B2.2 et B2.3.C1.C2). Ce curseur a été établi par le cadre européen commun de référence pour les langues. Le niveau B1 est celui requis pour les candidats à l’émigration afin d’obtenir un visa de travail en Allemagne. Ce visa est valable pendant 6 mois. Entretemps, le migrant doit parvenir à décrocher un emploi. Il doit également atteindre le niveau B2, explique Marie Schneider.
D’après Amel Saïd, l’octroi de la certification du niveau requis de maitrise de l’allemand est indispensable pour entamer un projet migratoire en Allemagne. C’est le Goethe-Institut qui est habilité à faire passer des tests de niveau, même aux Tunisiens ayant appris l’allemand dans un établissement privé. Mais le niveau de maitrise de la langue varie selon les profils des migrants. « Le niveau demandé pour un médecin n’est pas le même que celui exigé pour un infirmier ou un technicien », explique Saïd.
D’après la représentante du centre culturel, le plus grand nombre de ceux qui étudient l’allemand sont des aides-soignants, des médecins et des ingénieurs. Ces professions sont fortement demandées en Allemagne. Un constat confirmé par le directeur de l’IDAF. La plupart de leurs étudiants appartiennent au corps médical, fait-il savoir.
« A ces profils s’ajoutent les élèves qui envisagent d’entamer leurs études universitaires en Allemagne (représentant environ 30% des étudiants) et à moindre échelle, ceux qui vont partir dans le cadre du regroupement familial », précise la responsable à Goethe-Institut.
L’étude du FTDES confirme cette tendance. 73,3% des personnes interrogées comptent atteindre le niveau B2, requis pour exercer le travail d’infirmier ou d’ingénieur en Allemagne. 10% souhaitent avoir le niveau A1 pour obtenir un droit à un regroupement familial. 10% aspirent à atteindre le niveau B1 pour décrocher un permis permettant de chercher un travail en Allemagne.
Les établissements prodiguant des cours d’allemand font de la migration en Allemagne un argument publicitaire. Certains proposent de jouer les intermédiaires entre leurs élèves et des employeurs germaniques. Des agences ont vu le jour en jouant sur cette promesse, engrangeant au passage des gains financiers considérables, explique l’auteure de l’étude du FTDES.
La nouvelle politique allemande
Tout ce système puise dans une politique allemande faisant de la maitrise de la langue un critère de sélection pour l’embauche de nouveaux travailleurs issus d’autres cultures. La langue reflète un enjeu politique. Elle est présentée comme étant un élément indispensable pour l’intégration des migrants dans ce pays.
La migration des Tunisiens vers l’Allemagne ne date pas d’aujourd’hui. Mais les travailleurs tunisiens venus après la guerre en Allemagne, étaient principalement des jeunes hommes, sollicités pour participer à la reconstruction du pays. « On ne leur demandait pas d’apprendre la langue parce qu’on voulait qu’ils partent après quelques années. Maintenant, l’approche du gouvernement allemand a changé. Ils ont réalisé que l’Allemagne a besoin de migrants qui s’installent et s’intègrent », déclare Schneider. Et de poursuivre : « Pendant longtemps, l’approche vis-à-vis des immigrants était multiculturelle, jusqu’à ce qu’Angela Merkel déclare en 2010 que «le multiculturalisme avait complètement échoué». Maintenant, l’approche est la suivante : apprenez d’abord la langue et faites vos études dans votre pays d’origine, puis venez en Allemagne. Cela soulage évidemment le système éducatif allemand et fournit des employés qualifiés qui sont immédiatement prêts à commencer à travailler ».
Selon le rapport de l’enquête nationale sur la migration internationale Tunisia-HIMS, publié en 2021, élaboré par l’Institut National de la Statistique (INS), en collaboration avec l’Observatoire National de la Migration (ONM), la France, l’Italie et l’Allemagne restent les destinations les plus attractives pour les migrants potentiels. En effet, sept individus sur dix ayant l’intention d’émigrer veulent s’installer en Europe, notamment, dans ces trois pays. Ces préférences sont liées notamment à l’existence de réseaux d’aide et d’assistance familiaux ou autres connaissances, selon la même source.
Le rapport relève que le continent européen abrite 83,3% de l’ensemble des migrants tunisiens. Trois pays en accueillent les trois quarts : la France (52,5%), l’Italie (14,1%) et l’Allemagne (8,2%).
Pour endiguer les dangers grandissants relatifs à la pénurie de main-d’œuvre, l’Allemagne, touchée de plein fouet par le vieillissement de sa population, mise sur les travailleurs étrangers. Elle est amenée à accueillir 400 mille immigrés par an pour répondre aux besoins de certains secteurs économiques. Et les Tunisiens y trouvent leur compte.
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