A l’avant première du très attendu Saffeh Nabeul de Karim Berhouma, le 16 décembre au Colisée, le public, les journalistes et les invités étaient nombreux. De par son synopsis et son affiche, le film a attiré un large public venu chercher des sensations fortes et découvrir l’un des personnages les plus marquants de la Tunisie : le tueur en série Naceur Damergi. Un sombre personnage des années 80 qui a fait plus de 13 victimes âgées de 7 à 20 ans dans la région de Nabeul. Il a été exécuté à l’aube du 24 mai 1990.
Le réalisateur Abdelhamid Bouchnak apparaît sur scène pour présenter le film. Présence symbolique pour soutenir un film hors des circuits habituels, ça veut dire: autoproduit, s’inscrivant dans l’horreur et boudé par les festivals de films d’auteurs notamment les JCC. Le festival en prendra d’ailleurs pour son grade lors de l’intervention du réalisateur Karim Berrhouma et du producteur Mejdi Housseini qui ira jusqu’à remercier les JCC de ne pas l’avoir sélectionné. Le personnage principal est joué par Ahmed Landolsi qui a connu une longue traversée du désert et dont la fierté de jouer le premier rôle d’un film hype est perceptible. Au-delà de l’habituel “Il est dur de faire un film en Tunisie”, on retiendra une information capitale : le film a été tourné en 14 jours avec peu de moyens bien que le projet ait été porté par son réalisateur durant cinq ans.
Se lancer dans le biopic d’un tueur en série est d’abord une affaire de structure narrative. Il s’agit ainsi de maîtriser l’aspect psychanalytique d’une figure complexe, pour identifier l’origine du mal. Pour ce film, le challenge est d’autant plus important que la fin de Naceur Damergi est connue d’avance.
L’histoire commence en 1971, première incarcération du tueur en série dans la prison de Nadhour. Il y rencontre son père, joué par Fathi Akkari, un vieux sage qui règne en maître dans les bas fonds de l’enfer carcéral. On comprend alors que Naceur est le fils d’une prostituée et qu’il n’a jamais connu son père. Cela le marquera à vie d’un sentiment de rejet qui deviendra plus tard une rancune morbide. Le cinéaste s’attèle aussi à montrer les pratiques policières d’une extrême violence plus particulièrement la torture au temps de Bourguiba et ensuite sous le règne de Ben Ali. Pour une scène d’interrogatoire, il n’hésitera pas à filmer en insert une bouteille en verre ensanglantée faisant référence à une pratique tristement célèbre de la police tunisienne.
La deuxième partie débute en 1987 dans la région de Nabeul, où Naceur commence la série de kidnappings et de meurtres avec une première victime. Or il est difficile de saisir le moment clé du passage à l’acte. Pourquoi ce jour-là ? La pulsion sexuelle est extrêmement vague et n’est pas amenée lors des 28 minutes écoulées avant ce chapitre. Certes, son obsession est de se marier avec des gamines. Mais tout cela est raconté, jamais montré. On ne sait pas comment il regarde un corps d’enfant. Et pour un thriller psychologique, il est quasi indispensable de s’attarder sur les détails malsains du point de vue du monstre et non pas de l’extérieur. De plus, pourquoi cette pulsion est-elle si existentielle pour Naceur? Il est loin d’être le seul à avoir été rejeté et à avoir grandi dans la violence. Ces questions resteront sans réponses car le scénario penche plus vers la reconstitution des faits que vers la plongée psychologique.
Le film tombe ensuite dans la redondance, de par la répétition des scènes de kidnapping, de meurtre et les allers-retours des familles des victimes au commissariat de police. A la soixantième minute, après un flashback traumatique de l’enfance du meurtrier, le cinéaste nous sert une mise en scène surconsommée de nuit sous la pluie. Ahmed Landolsi y apparait peu crédible. La complexité s’effrite dans un monologue où le protagoniste crie : “je suis l’ange de la mort”, tout en bougeant ses mains comme une marionnette désarticulée. Le too much ne fait pas l’intensité. Le too much est aussi à déplorer dans l’habillage musical quasi constant qui renforce les scènes superficiellement. La quasi-absence de silence dans le film, finit par affaiblir la tension.
Au final, Saffeh Nabeul est une tentative locale s’inscrivant dans un genre particulier, en l’occurrence l’horreur. Et on ne peut que saluer le défi de tourner un long métrage en 14 jours. Même si le langage cinématographique ne s’éloigne guère des codes commerciaux US rabâchés. Avec une image ternie, le gros plan face caméra du tueur tout sourire, la timeline qui s’appuie sur des flashbacks, et le fait qu’il soit poursuivi par un seul enquêteur.
Actuellement en salles, Saffeh Nabeul attirera à coup sûr le grand public. C’est l’un de ces films qui donnent de la vitalité au secteur et aux salles de cinéma. Mais on repassera pour l’originalité.
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