Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

La littérature à consonance religieuse abonde. Toutes sortes de recueils, d’essais, d’ouvrages, de manuels exposent, commentent, interprètent tel ou tel aspect du corpus théologique. Il y en a pour tous les goûts. Du simple bréviaire binaire (choses à faire ou à ne pas faire), au traité métaphysique sophistiqué, en passant par une variété infinie de brochures apologétiques et de publications scolastiques.L’engouement tient le plus souvent au caractère totalisant et englobant des approches.

La religion a, -par essence-, réponse à tout ! Il y a bien des polémiques sur tel ou tel précepte, tel ou tel commandement, et plus généralement sur tel ou tel aspect du Droit (au sens juridique), mais on a peine à trouver des ouvrages et traités d’économie. Il n’y a pas de penseurs de l’économie à proprement parler dans la tradition islamique, si ce n’est celle du sous ensemble lié à l’organisation de la société et de l’Etat ! Est-ce à dire pour autant qu’il n’existe aucun corpus théorique et idéologique autre que celui originel de la liberté du commerce, de la libre circulation des marchandises, et des règles chariaiques de la contractualisation. Auquel il faudrait rajouter désormais les préceptes de la finance islamique !

Cet ensemble de règles de Droit et de pratiques associées constitue-t-il une doctrine exhaustive au sens de système économique et social à l’instar de celui du « mercantilisme » du 16e siècle, des « physiocrates » du 17e siècle, ou bien encore du « libéralisme » et du « socialisme » des siècles suivants. A ces grands courants doctrinaires structurants il faudrait ajouter les différentes écoles à l’instar des keynésiens, monétaristes, de l’ordo-libéralisme, de la régulation….que sais-je encore !Cette pensée doctrinaire structurante n’est, d’ailleurs, pas l’œuvre exclusive de l’occident dominant ! Mais rien de tel dans le monde dit « arabo-musulman », si l’on veut bien écarter momentanément l’œuvre d’Ibn Khaldoun et quelques traités d’agronomie, de fiscalité, de commerce…

Il importe avant d’aller plus loin de s’arrêter quelques instants sur ce que signifient certains termes passés dans le langage courant, en l’occurrence le concept sulfureux d’idéologie et son antonyme de pragmatique. Idéologie ne signifie pas dogmatisme. Si la synonymie s’est imposée avec le temps, c’est suite à l’échec fatal de l’idée socialiste et du retour en force de l’idée libérale triomphante rebaptisée pour la circonstance de pragmatisme. Idéologie signifie ensemble structuré d’idées, de représentations du monde, de croyances comme de connaissances. A l’instar de M Jourdain découvrant qu’il faisait à tout moment de la prose, nous sommes animés et mus instinctivement, pour ne pas dire, impulsivement par nos référentiels communs et partagés de croyances, de préjugés, d’illusions, d’opinions. A ceci près queles idées dominantes d’une époque et d’un lieu ne sont jamais que les idées des classes dominantes. On comprend mieux alors pourquoi certaines strates de la population se réfugient derrière des termes tels que « modernisme » « progressisme » indistinctement de « centrisme » et « pragmatisme ». Des notions ambivalentes, équivoques et évasives à souhait, qui servent autant de justifications au statu-quo social, au maintien de leurs prérogatives et privilèges que du déni des réalités paroxystiques et exacerbées que connait le pays: Déclassement accéléré des couches moyennes inférieures, paupérisation des couches populaires, obturation de toute perspective de « mieux vivre » sous les prétextes fallacieux du « manque de moyens du pays », sans oublier d’évoquer aussi une jeunesse en totale désespérance !

Le séisme électoral est venu ébranler toutes ces certitudes idéologiques, mobilisées et invariablement resservies depuis la chute de l’ancien régime, contre l’obscurantisme, le conservatisme, le sectarisme, l’intégrisme ombrageux. Usée jusqu’à la corde, l’idéologie de la « bien-pensance » s’est littéralement effondrée, laissant resurgir ses propres refoulés : l’indétermination face à la corruption, la vacuité du projet des élites dirigeantes, la faillite des politiques publiques.

Est-ce à dire, pour autant, que nous soyons sortis d’affaire ? Certains vont jusqu’à dire que l’écroulement du paradigme moderniste-démocratique-progressiste (termes outrageusement usurpés, s’il en est), constitue un tournant irréversible et historique où désormais allaient dominer les nécessités de rompre avec la corruption de la vie publique, les arrangements et accommodements avec l’affairisme, les cooptations de connivence, les collusions d’intérêts. En réalité, rien de tel si l’on veut bien examiner avec soin les deux séquences électives. L’immense clameur sortie des urnes de l’élection présidentielle est bien plus symbolique qu’efficiente et porteuse de concrétisations, si l’on met en regard les aspirations exprimées lors des législatives ! Simple hiatus ou contradiction insoluble ? Bien malin qui pourrait répondre à cette aporie !

Observons quele mouvement insurrectionnel fondé surle triptyque « travail, liberté, dignité »,  et ses prolongements ultérieurs, se sont très vite heurtés aux puissantes résistances de « l’establishment » entêté à sauver ce qui pouvait l’être. De fait l’espoir d’émancipation s’est vu dénié toute légitimité par le« système » acharné à vouloir prolonger la survie de pratiques sociales anachroniques et dommageables, faisant fi de l’intérêt général. Mais alors qui est cet « establishment » ou ce « système » ? Les coalisés libéraux de la première heure, frères ennemis quant au mode de vie en société, mais complices s’agissant du maintien des orientations économiques, pratiques sociales, et politiques publiques invariablement libérales ! Collusion donc des bonnets blancs et blancs bonnets, formule lapidaire, que nous réutilisons, depuis la troïka, du gouvernement d’union nationale dans ses versions renouvelées dans la forme mais jamais sur le fond (Document de Carthage I puis Document de Carthage II etc…)

Si donc l’élite dirigeante dite moderniste a perdu toute crédibilité, la mouvance islamiste aspire à la même notabilité et aux avantages et privilèges qui l’accompagnent, sans toutefois ne rien changer au paradigme économique maintenu artificiellement en vie à coup de subventions « intéressées » des grandes puissances et de crédits d’emprunts auprès de bailleurs de fonds internationaux. Il faut tout de même être simultanément sourd et aveugle, pour ne pas constater les similitudes, que dis-je, les concordances et les équivalences étroites entre les propositions économiques de la galaxie moderniste et celles de la nébuleuse islamiste.Programmes, priorités, choix en matière fiscale, budgétaire et monétaire, sont quasi identiques, toute différence observable n’excède pas l’épaisseur d’une feuille de papier. Reste que peu de nos compatriotes, obsédés par leurs chimères et fantasmes, n’ont pas réellement pris conscience de ce jeu de dupes.

Si l’immense clameur d’un « mieux vivre » est venue buter une première fois sur la concorde moderno-islamiste, elle risque de se voir opposer, une seconde fois, une fin de non-recevoir par une nouvelle conjuration cette fois-ci islamo-moderniste. Rien n’est évidemment joué d’avance ! La jeunesse et ses forces alliées, sont-elles en mesure de produire une perspective alternative et les nouvelles élites capables de la mener à bien…tel sera donc l’enjeu de la prochaine législature !